Chapitre 5
★
🎵 And you know I will fight till the end
In a flash in a blink of an eye
It all can change over night 🎵
Blink – Ben Onono.
★
La nuit était tombée. Plus aucune lumière ne traversait les gigantesques fenêtres. Il n'y avait plus que l'obscurité qui emplissait la pièce. Une obscurité silencieuse et rassurante, un moment de répit bienvenu.
Jayce somnolait sur son fauteuil, la tête contre le dossier, les paupières closes, la bouche légèrement entrouverte. Il avait réussi à trouver un peu de calme, bercé par les rayons déclinants du soleil et la fatigue qui l'avait enveloppé comme une couverture réconfortante, même s'il n'était pas réveillé depuis bien longtemps. Les émotions de la journée l'avaient épuisé.
Mais son esprit finit par se remettre en marche, et Jayce remua en grimaçant, avant d'ouvrir les yeux et de remettre les pieds dans la réalité. Il ne distinguait pas grand-chose, mais les étoiles dans le ciel, accompagnées de la lueur argentée de la lune, dessinaient vaguement les contours des meubles, et bien sûr de Viktor.
Sa poitrine se soulevait imperceptiblement sous la couverture. Son visage était paisible, comme s'il était tout simplement en train de dormir, plongé au pays des rêves, là où tout était parfait.
Jayce sentit son cœur se serrer dans sa poitrine. Il aurait même pu parier qu'il ne s'était pas décontracté une seule fois depuis qu'il avait déposé Viktor dans ce lit. Il ne réalisait toujours pas. Il ne voulait toujours pas l'accepter. Viktor était là, mais en même temps, il ne l'était pas.
Il releva les yeux et avisa les deux plateaux de nourriture posés sur une petite table en verre. Son estomac gronda. Ses mains tremblèrent légèrement. Il était encore affamé. Il devait reprendre des forces.
Jayce se leva de son fauteuil et traîna les pieds vers le plateau, les membres courbaturés. Il le saisit distraitement et s'installa de nouveau à sa place, à côté du lit, là où il pouvait veiller sur son ami. Ses doigts saisirent distraitement une cuillère pour avaler sa soupe mais son regard était bloqué sur Viktor et un horrible sentiment ne pouvait s'empêcher de venir nouer ses entrailles. Il tenta de lever les yeux vers la fenêtre, d'échapper à cette vision déchirante, mais le corps de Viktor ne voulait pas quitter son esprit.
Il lâcha la cuillère, prit le morceau de pain et avança vers le fond de la pièce, dans une volonté absurde de fuir la réalité. Il avait besoin de se concentrer sur autre chose. De diriger son attention vers autre chose.
Piltover, illuminée par les lumières nocturnes, presque magique dans cette atmosphère, comme figée dans le temps, s'étendait de l'autre côté de la vitre. Elle était magnifique. À première vue, elle semblait être la même que celle qu'il connaissait. Au contraire, il ne distinguait pas réellement Zaun. Il porta son regard là où elle se situait, de l'autre côté du pont, mais il y avait autant de lumière qu'à Piltover, il y devinait la même agitation douce qui baignait la ville lorsque la nuit tombait. Il ne distinguait pas de différence, pas un seul détail qui lui permettait de séparer les deux dans son champ de vision.
L'obscurité engloutissait peut-être la triste réalité. Zaun était destinée à rester dans les ombres, même dans les autres mondes. À moins que...
Jayce mâchait la mie de son pain distraitement. Les questions déferlaient. Zaun était peut-être différente ici. Mais à quel point ? Une curiosité familière l'envahit. L'envie d'en apprendre plus. D'explorer. De comprendre, d'apprivoiser ce monde.
Puis, soudain, la morsure de la nostalgie. Le manque. Son Piltover.
Il passa une main lasse sur son visage et se perdit à nouveau dans la contemplation des habitations dorées, dans les contours flous et les minuscules silhouettes qui parcouraient encore les rues. Il se força à laisser de côté ses pensées pour savourer ce moment de paix.
Un bruit étouffé atteignit ses oreilles. Jayce fit volte-face et vit Viktor remuer dans son lit. Il lâcha la miche de pain sur le plateau et se précipita à son chevet, le cœur battant à vive allure dans sa poitrine.
Viktor gémissait. Ses traits s'étaient plissés, et il bougeait légèrement sous la couverture qui remontait jusqu'à son menton. Jayce ne savait que faire. Il souffla son prénom mais il n'eut aucune réaction. Son regard dériva sur le plateau rempli et une idée germa dans son esprit. Si Viktor devait reprendre des forces, il devait se nourrir. Ce n'était pas avec une simple perfusion qu'il allait retrouver un peu de vitalité.
De nouveau debout, il attrapa un bol de soupe et une cuillère et s'accroupit près de Viktor. Sa jambe blessée appréciait peu d'être tordue dans une telle position, mais il ne s'en préoccupa pas. Il avait assuré qu'il allait sauver Viktor. Il pouvait commencer dès maintenant. Plus vite il reprendrait des forces, mieux ce serait.
Jayce glissa la cuillère dans le bol puis l'approcha des lèvres de son ami. Il avait cessé de remuer pour se replonger dans son immobilité presque rassurante. La cuillère toucha ses lèvres, et s'immisça entre elles, doucement, pour déverser le liquide dans sa gorge. Mais Viktor fronça les sourcils, secoua la tête, et refusa d'avaler. Jayce recula la cuillère, et fixa d'un air absent la soupe couler sur son menton. Un clignement de paupières, et il avait repris ses esprits. Il se jeta sur un chiffon posé sur la table de chevet et s'empressa d'essuyer la peau de Viktor.
Des larmes qu'il ne pensait pas retenir vinrent se coincer au coin de ses yeux. Il tenta de les chasser. Ses doigts tremblaient autour du chiffon. Viktor était toujours inconscient, comme si rien ne s'était passé. Comme s'il n'avait pas refusé d'avaler la soupe. Jayce se crispa. Non, ce n'était pas ça. Ce n'était pas volontaire.
Ce ne pouvait pas être volontaire.
Jayce se redressa et posa violemment tout ce qu'il tenait. Il avait l'impression d'avoir été brûlé. Il avança d'un pas lourd vers la fenêtre et laissa son front se heurter doucement à la fraîcheur salvatrice de la vitre. Son souffle ralentit. Ses paupières se fermèrent. Il déglutit difficilement. La scène repassait en boucle dans son esprit.
Il n'allait pas y arriver, il ne pouvait pas supporter cette situation, il ne pouvait pas continuer comme ça, il le savait, il le sentait, c'était déjà beaucoup trop...
Jayce se rua dans la salle de bain et claqua brusquement la porte. Un juron lui échappa. Le son résonna douloureusement à ses oreilles. Il pensa à Viktor. Viktor, infirme. Viktor, allongé dans ce lit, incapable de faire un seul mouvement, amorphe, incapable de manger, incapable d'ouvrir les yeux, de parler, d'être tout simplement là.
Quelques jours. Un peu plus d'une semaine. Il n'y avait que ce temps si insignifiant qui était passé. Ce n'était rien. Mais Jayce avait l'impression qu'une éternité s'était écoulée. Une éternité sans Viktor. Alors qu'il l'avait retrouvé. Après l'avoir perdu. Encore et encore et encore.
D'un mouvement du poignet, il ouvrit rageusement le robinet. Le bruissement de l'eau l'arracha à ses pensées. Il se concentra sur le jet qui pulsait. Il s'aspergea le visage et leva machinalement les yeux vers le miroir. Il se heurta violemment à son reflet. Un hoquet étranglé lui échappa.
Des gouttelettes glissèrent de sa barbe et s'écrasèrent sur la porcelaine. Sa barbe. Ses cheveux. Son visage. Jayce fixait un fantôme. Les traits tirés, les cernes, la peau abîmée, les cheveux emmêlés, sales, trop longs. Son reflet le terrifiait presque. Dans ses pupilles ne gisait qu'une faible étincelle. Balayée par les épreuves, la petite flamme vacillait. Comme si elle allait finir par être emportée par une brusque rafale. Jayce se frotta vigoureusement le visage, pour échapper à ce reflet, pour échapper à cette vision désolante.
Sa mâchoire était légèrement déformée, là où elle s'était écrasée sur le sol, lorsqu'il était tombé dans le gouffre, au sein du monde apocalyptique. Il cligna des yeux. Pendant un court instant, le miroir devint pierre, des pierres recouvertes d'inscriptions et de schémas fous. Jayce se revit graver cette même pierre, désespéré, emporté par le délire. Il recula brusquement et chassa l'image d'un battement de paupières.
C'était derrière lui. C'était fini. Il était là à présent.
Nouveau flash, et tout revint. Jayce retint un gémissement. Il se précipita sous la douche et la déclencha. Le jet pulsa et tomba sur lui bruyamment. L'eau l'engloutit. Ses vêtements l'absorbèrent. Le jet était brûlant. Il était trempé. Ses cheveux s'agitaient sur ses épaules et projetaient des gouttelettes sur la paroi. Il secouait la tête, il voulait chasser ses souvenirs. Sa paume se posa sur le carrelage en face de lui. Sa respiration était haletante. Il enleva ses vêtements et les jeta au bord de la cabine, et l'eau put enfin glisser sur sa peau. La chaleur participa à son retour à la réalité. Comme des flammes qui le dévoraient. L'eau était brûlante, mais la douleur était bienvenue. C'était comme si elle enlevait tout, elle chassait tout. Toutes les pensées, les questionnements, toute la souffrance, fuyaient hors de lui, remplacés par la brûlure du liquide.
Jayce soupira. Il se passa une main sur le visage, se laissa engourdir par la vapeur et la chaleur. Tout était plus calme. Seul le bruissement de l'eau résonnait à ses tympans. Son cœur ne pulsait plus aussi fortement dans sa poitrine. Son corps fut secoué par un spasme. Il hoqueta et sa vision se troubla, sans qu'il sache si c'était la douche ou des larmes incontrôlables qui recouvraient ses joues.
La tension qui s'était envolée de ses muscles revint à l'assaut. Un sanglot lui échappa. Des larmes dévalèrent sa peau, presque insignifiantes, mêlées au jet brûlant qui prenait toute la place. Jayce se recroquevilla sur lui-même. Seul, dans la cabine carrelée, terrassé par ce poids incommensurable sur ses épaules, Jayce aurait voulu s'effondrer. Il aurait voulu hurler.
Mais il ne pouvait pas. Il était fort. Il avait survécu. Il s'en était sorti. Il ne pouvait pas s'écrouler. Il n'avait aucune raison de s'écrouler. Il était là, en vie, en sécurité, en bonne santé. Il était là.
Une vague d'énergie le traversa. Ses sanglots se tarirent dans sa gorge. Il se redressa, remua ses orteils et toucha du bout du doigt la structure métallique qui entourait sa jambe. Il planta son regard dans le carrelage gris qui lui faisait face, empli d'une détermination nouvelle.
Il n'était pas question d'abandonner. Il n'était pas question d'échouer. Il se l'était déjà répété inlassablement. Il avait déjà essayé de se persuader. Alors pourquoi son esprit restait-il aussi buté ?
Jayce arrêta la douche, trouva une serviette et l'enroula autour de sa taille. Il nota distraitement sa perte de poids et ses muscles moins dessinés qu'auparavant. Tous ces jours passés allongé avaient eu des conséquences sur sa condition physique... Ses doigts effleurèrent la cicatrice sur son épaule, séquelle de l'attaque qui avait interrompu violemment la commémoration organisée pour rendre hommage au Conseillers de Piltover. Il savait qu'une autre barrait son dos, souvenir de la tronçonneuse qui s'était enfoncée dans sa chair. Jayce grimaça. La douleur n'était plus là, mais parfois, il avait l'impression d'entendre encore le vrombissement de l'arme dans ses tympans.
Pour chasser ses pensées, il leva la tête et osa se confronter à nouveau à l'homme dans le miroir. La vapeur recouvrait à moitié la surface, alors il l'enleva d'un geste de la main et découvrit avec un léger soulagement que la douche semblait lui avoir fait un peu de bien. Mais ses cheveux étaient toujours trop longs. Et sa barbe le démangeait. Il fouilla dans les tiroirs de la commode dorée et trouva avec surprise ce qu'il cherchait.
D'un geste hésitant et maladroit, il sectionna quelques mèches et fit glisser les lames des ciseaux pour désépaissir sa barbe. Les poils tombèrent dans le lavabo pendant quelques instants, jusqu'au moment où Jayce s'examina avec un air satisfait. Ses cheveux lui arrivaient derrière les oreilles et sa barbe était moins broussailleuse ; il ne paraissait plus aussi négligé. C'était la première étape. Il avançait. C'était important. Surtout s'il allait devoir se présenter au Conseil dans les prochains jours.
Jayce rangea les ciseaux, nettoya le lavabo, et récupéra ses vêtements en se réprimandant silencieusement. Ils étaient trempés. Il ne pouvait pas enfiler ça. Heureusement, Lana lui avait apporté de quoi s'habiller quelques heures auparavant, lorsqu'elle avait déposé les plateaux. Mais ils n'étaient pas dans la salle de bain...
Jayce se sentit soudainement gêné à l'idée de retourner dans la chambre, à moitié nu, pour aller chercher ce dont il avait besoin, mais il balaya cette sensation absurde et sortit de la salle de bain sans réfléchir.
La vapeur s'échappa et s'envola dans la pièce principale. La froideur du carrelage sous les pieds de Jayce le transperça, contraste saisissant avec la chaleur dans laquelle il avait été enveloppé pendant de longues minutes. La lumière se déversa sur le sol et illumina légèrement la chambre. Jayce avança au milieu des ombres et saisit vivement les habits, étendus sur le dossier d'un autre fauteuil.
Il se réfugia dans la salle de bain aussi vite qu'il en était sorti, et enfila la chemise et le pantalon avec hâte, désireux de pouvoir sentir contre lui la douceur de vêtements propres contre sa peau. Un sentiment intense de réconfort l'emplit et se diffusa dans ses membres. C'était comme s'envelopper dans une couverture réconfortante.
Puis, Jayce retourna dans la chambre et s'affala dans son fauteuil. Il savait qu'il aurait été plus cohérent de se rendre dans sa propre chambre et se coucher dans son lit, mais il ne voulait pas laisser Viktor seul. Il paraissait tellement fragile... Tellement chétif et frêle sur ce matelas immense.
Les cheveux de Jayce gouttaient encore légèrement sur le sol. Seul le bruit régulier des gouttelettes retentissait dans l'immensité de la pièce.
Jayce soupira. Il ne savait pas quoi faire. Ses pensées avaient enfin décidé de le laisser tranquille – au moins pour un instant. Il se sentait apaisé. Par sa douche, ses vêtements, l'obscurité. Ses paupières devinrent lourdes. Il les sentit se baisser sans qu'il arrive à les retenir. La fatigue l'emportait à nouveau, alors il se laissa sombrer dans un sommeil lourd et profond, enfoncé dans le fauteuil moelleux, en essayant d'ignorer le souffle léger de Viktor qui atteignait ses oreilles.
★
Encore un chapitre bien calme... Je plaide coupable, il ne se passe encore une fois pas grand-chose, mais c'est normal, c'est mon choix de faire avancer les choses lentement xD
Mais ça va avancer dans le chapitre d'après hihi :D C'est pour ça que je l'ai déjà commencé et que je vais essayer de le poster rapidement !
Je vous remercie d'être là et de me lire ! Vous n'imaginez pas à quel point ça me fait plaisir ! Merci pour les commentaires, vos compliments me remplissent de joie et de motivation ♥
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro