Au commencement ce n'est qu'un grignotement de cœur, comme un picotement régulier qui lui rappelle la faille du monde. Et puis tout à coup le grignotement devient une morsure, ouvrant une plaie saignante, le sang coule un peu et c'est le sang des femmes qui meurent sous les coups assassins, il lui tâche les côtes et se disperse dans la poitrine. Et quand il sèche et s'évapore et qu'elle croit être guérie la blessure s'infecte, déborde de pus, ce pus qui condamne tous ceux qui souffrent et luttent et meurent parce que le monde ne leur a pas permis de se soigner. Alors elle, elle cherche à guérir ce cœur à l'agonie, d'en extraire les vices et les souffrances, mais l'opération échoue et soudainement son cœur explose.

Se brise. Mille millions de morceaux de cœur qui sont comme autant de cris de lutte dispersées dans une machine cruelle. Les bouts d'organes se glissent dans les veines et les artères, fondent, se muent en un liquide brûlant. Et la substance se répand. Elle atteint d'abord les poumons, s'y immisce, volant la place de l'air jusqu'à sa suffocation. Elle glisse, ensuite, le long de son diaphragme, de son intestin, forme une boule dans son estomac, c'est comme une étoile sur le point d'exploser qui brûle à la place de son plexus solaire, sentiment étrange que l'astre lui confère sa force alors qu'il finira par la tuer. En elle la température monte, monte, monte, inexorable, au rythme de celle de la planète dont personne ne semble se soucier. Le liquide ne s'arrête pas, il s'épaissit, descend le long de ses jambes, se transforme en un fourmillement frénétique que seule la création d'un monde nouveau pourrait calmer. Il gagne également ses bras, faisant inlassablement lever ses poings au rythme des trahisons et de la corruption du système, et chaque saccade n'est pas un choix mais un ordre de son corps à l'agonie.

Alors enfin la bouillie de cœur atteint son cou. Remonte le long de sa trachée. Lui pique la gorge, les yeux, le nez, avec un goût de bombe lacrymogène. Le rouge lui monte aux joues, rouge sang rouge révolution, dans ses oreilles un bourdonnement perpétuel. Et là, alors que son corps entre dans une transe folle et absolue, ses lèvres délicatement s'ouvrent. Tirent leur force des milliers d'indignation qui se consument à l'unisson de la sienne. Imperceptible d'abord, une mélodie s'en échappe. Enfle. Résonne. Est reprise. Elle emplit son corps et l'air et le monde, et reste, alors que tout s'abîme et s'effrite et disparaît elle reste. Elle n'est rien mais elle est tout ce qui compte. Un chant de révolte. 

Ça m'a fait beaucoup de bien de retrouver quelques profils familiers hier (pas nombreux certes, mais présents tous de même), alors contre toute attente - de ma part en tout cas - je vous partage un autre texte que j'ai écrit récemment. Je le trouve moins bien mais j'aimais bien l'idée, alors...