Cela fait quelques mois que je ne suis plus importante. Je ne sais pas d'où est venue cette révélation. Je ne serais pas célèbre. Je ne vais pas sauver le monde. Je ne suis pas différente. Les gens ne me trouveront jamais géniale, ou sublime, ou grandiose. Je suis quelqu'un, seulement quelqu'un. Parmi sept milliards et c'est tout. Je ne suis pas vraiment une auteure ou une comédienne. Je suis une adolescente qui fait du théâtre une fois par semaine et écrit des alexandrins de treize pieds. Je tremble à l'intérieur mais moins que lorsque j'étais importante. Mes sentiments s'effritent depuis que je me rends compte qu'ils n'ont pas plus de valeur que ceux d'une autre. Mes rapports aux autres deviennent classiques. Je suis méchante pareille, impolie pareille, amusée sans être drôle pareille. Je ne suis plus fougueuse, plus fascinante dans ma bizarrerie, juste banale.

Cela fait quelques « moi » que je ne suis plus importante. Je n'écris plus depuis. Presque plus. A quoi bon écrire si je ne suis pas importante ? Si mes mots n'ont pas plus d'intérêt que ceux des autres, qu'ils ne sont pas plus beaux, qu'ils ne leur parlent pas. Mes textes ont perdu le rang superbe que je leur accordais. Ils n'ont plus de valeur. Pas plus que la liste de course de ma voisine ou que le devoir de maths de mon frangin. Ce ne sont que des bouts d'humanité. Avant, je trouvais ça sublime. Maintenant, maintenant que cette humanité est quelconque, vaguement unique mais sans intérêt, pourquoi la partager ? J'ai l'impression que je n'en ai même pas le droit. Que ce serait me donner une importance que je ne devrais posséder, que ce serait forcer les gens à me lire, à me complimenter, à me rassurer. A quoi bon ? Je ne le mérite pas. Pas plus qu'un autre qui n'aurait pas écrit. Je ne suis pas plus importante, je ne mérite pas plus de louanges.

Je rêve encore un peu, mais j'ai peur que ça s'arrête. Que même mon propre cerveau estime que je ne suis pas digne d'intérêt, pas digne de créer ces mondes éphémères alors que je ne suis pas capable d'avoir la moindre influence sur le mien. Mes rêves de jours ne me mettent presque plus en scène. Je ne crois plus en moi. Je ne me déteste pas vraiment, peut-être même moins qu'avant. Avant, je me haïssais le soir et je me disais le matin que j'étais seulement différente, que cela me rendait sublime. Maintenant, je me dis que « je fais avec », mais ce avec n'est rien d'autre que normal. Je m'ennuie sans m'ennuyer, je vis un peu plus mais beaucoup moins fort, je suis rarement vide mais jamais tout à fait remplie. Je ne sais même plus ce que j'écris, je crois que même cela n'a pas d'importance.

Je crois que j'ai besoin d'être aimée. D'être aimée très fort, trop fort, que quelqu'un vive pour moi. C'est tellement égoïste. Et pourtant, je crois que c'est la seule chose qui pourrait me redonner de l'importance. Mais cela n'arrive pas, en moi tout crie que cela n'arrivera jamais. Alors je pleure un peu, dors beaucoup, lis des livres que j'oublie, parle aux gens que je laisse indifférents. Car je ne suis plus importante.