Chào các bạn! Vì nhiều lý do từ nay Truyen2U chính thức đổi tên là Truyen247.Pro. Mong các bạn tiếp tục ủng hộ truy cập tên miền mới này nhé! Mãi yêu... ♥

Pas de noël pour monsieur Henri

[TW : SUICIDE] Rien d'horriblissime à priori mais je préviens quand même pour des personnes particulièrement sensibles à ces sujets.

          

Accoudé à sa fenêtre, monsieur Henri regarde les flocons tomber,  s'écraser par terre et se transformer aussitôt en boue aqueuse. « Pauvre neige », pense le vieil homme : les trottoirs de Paris sont sales et trop chauds pour la faire tenir. Son esprit mélancolique divague le long de sa petite rue bruyante, en cette nuit de fêtes. Les guirlandes de la famille Prévert, qui clignotent depuis une semaine de l'autre côté du trottoir, l'éblouissent à n'en plus finir. Et, bien qu'il ait une grande difficulté à l'avouer, le mettent dans une humeur terriblement jalouse.

Car Monsieur Henri est seul. Seul face aux publicités écœurantes d'échange familial de cadeaux qui débordent de tous les magasins, et même du petit Simply Market où il va faire l'intégralité de ses courses. Seul face à l'odeur de dinde cramée qui monte de l'appartement de mademoiselle Acajou jusque dans ses narines. Seul face à cette satanée famille Prévert et leurs enfants parfaits sortis de téléfilms des années 60. Seul face aux chants de  l'insupportable chœur d'adolescents qui s'est posté juste sous son immeuble. Seul, dans son petit deux pièces sous les toits quand même trop grand pour lui tout seul. Même cette vieille pie réac de madame François a ses chats pour lui tenir compagnie.

Il y a un mois, comme chaque année depuis dix ans – ou onze, il ne sait plus, voilà que lui aussi perd la mémoire, enfin bref, depuis qu'elle a ses gamins – Cécile, sa fille, lui a envoyé un message. « Désolée. Les enfants ont choisi le Sud et les parents de François. On viendra te voir après :) ». Toujours le même message. Enfin presque : le sens du smiley change. Parfois comme ci  « :) » et parfois comme  ça « (: ». Et  bien ! Si les enfants préfèrent leurs autres grands-parents, il ne peut pas leur en vouloir. La maison est plus grande, et une virée en train plus séduisante qu'un trajet en métro crasseux. N'empêche que, tous les ans, il est seul le jour de Noël. Et cette fois-ci ne fait pas exception. Bien sûr, il pourrait suivre la petite famille en Provence. Mais il n'a pas de voiture, et puis celle de Cécile est trop petite, et puis le voyage en train coûte trop cher, et puis de toute façon les parents de son gendre ne l'apprécient guère.

Les rides de son front s'accentuent légèrement pour l'empêcher de pleurer. Il se trouve ridicule, lui, un brave vieil homme qui a vécu bien des misères, lorsqu'il sent les larmes prêtes à lui piquer les yeux à cause d'un simple Noël qu'il ne vivra pas. Il a l'habitude, ça ne devrait plus le toucher. Et pourtant, tel un enfant qui commande toutes les fois le même cadeau en espérant que celle-ci soit la bonne, il attend fin novembre le message de sa fille fébrile et des étoiles plein ses yeux voilés. Pire ! Même après que la sentence soit tombée, il continue de s'accrocher à l'espoir un peu mauvais d'un nouveau  sms de Cécile lui annonçant que les enfants ont changé d'avis, ou bien que la mère de son mari s'est cassée la jambe, bref, n'importe quoi qui lui permette enfin de serrer sa famille dans ses bras le soir du réveillon.

Mais là, c'est trop tard. La soirée du vingt-quatre est déjà bien entamée, et sa fille lui a envoyé il y a quelques heures une photo pixelisée du sapin tout décorée.  « Pas de noël pour monsieur Henri ! » cela aurait fait un bon titre de conte pour enfants, pense-t-il avec amertume. Oh, pas d'inquiétude ! Cécile tiendra sa promesse : tout le petit monde, rentré du Sud, débarquera chez lui aux alentours du deux janvier. On se plaquera des bisous sur les joues et le vieil homme offrira des cadeaux auxquels les enfants ne prêteront pas attention : ses présents seront forcément moins biens que ceux des autres grands-parents. Monsieur Henri boira et dira qu'il les aime. Mais ce ne sera pas pareil. Ce ne sera plus Noël.

Minuit sonne à l'église du haut de la rue. Un cri excité mais poli s'échappe de la fenêtre des Prévert et des rires francs se mêlent à l'odeur de la volaille de madame Acajou. Une bourrasque violente ébouriffe la barbe blanche de monsieur Henri et un petit flocon vient se coller à sa paupière. Grelottant, il  ferme sa fenêtre, et avec des gestes lents et précautionneux, descend du rebord. Il tâtonne, ne faisant guerre confiance à ses yeux faiblissant, et pose la main sur sa canne. Alors, sans autre bruit que celui du morceau de bois sur le parquet, et de sa démarche de vieillard qui l'insupporte, il regagne sa chambre.

Monsieur Henri s'assoit tout d'abord sur le bord de son lit et masse délicatement ses tempes douloureuses. Il voudrait se coucher, mais son regard ne cesse d'attraper la porte du minuscule cagibi, en face de lui. Il n'ose pas souvent y entrer : il ne veut pas déranger ses habitants. Cependant, aujourd'hui, le vieil homme se dit qu'il a bien le droit de combler un peu sa solitude. Alors il récupère la canne qu'il a posé sur le lit, se relève avec un petit soupir de douleur et fait les quelques pas qui le séparent de la petite pièce. Il pose les doigts fripés de sa main libre sur la poignée et, avec une douceur inouïe, abaisse silencieusement celle-ci. 

Le frisson glacial qui s'en dégage lui réchauffe immédiatement le cœur. La présence irréfutable d'autres âmes l'enveloppe de toutes parts. Il se sent comme un nouveau-né posant ses yeux sur des dizaines de visages épanouis et chaleureux. Battant des paupières, un peu stupéfait par ce que le monde semble lui dire : tu es à ta place.

-        Bonjour, annonce-t-il d'une voix imperceptible et tremblante.

Et les fantômes lui répondent, d'une manière qu'on ne peut qualifier, à la fois murmure et cri, son et silence.

Il rentre dans le cagibi où il tient à peine debout. Il ramène doucement la porte, car les fantômes n'aiment pas la lumière, mais la laisse tout de même entrouverte, car c'est lui qui a peur du noir. Il inspire un bon coup. L'odeur du vieux bois des armoires se mêle à celle de la peinture écaillée du plafond. Les ectoplasmes viennent tour à tour lui chatouiller la joue pour le mettre à l'aise, et la solitude de Monsieur Henri disparaît aussi vite qu'un flocon de noël au milieu du mois de juillet.

Le vieil homme n'en a jamais parlé à personne. Déjà, parce qu'il n'a personne à qui parler. Tous ses amis sont morts, loin ou internés. Et Cécile... Elle a assez de préoccupations comme ça pour s'intéresser aux aventures de son père. Ensuite, parce que de toute façon, Monsieur Henri ne veut pas passer pour un fou. Ah ! Il sait bien ce qu'on dit des vieux qui voient des fantômes ! Des faibles un peu tarés qui ont succombé au charme des histoires pour oublier qu'ils vont bientôt crever, des maladroits qui rejettent la faute sur des esprits frappeurs, des croyants qui veulent se donner de l'originalité. Peuh ! Le vieillard tient à garder une réputation d'homme sain d'esprit, surtout qu'il sait qu'il ne rentre dans aucune de ces cases. Se donner l'air original ? Comme-ci les  « étrange, ce bonhomme » de ses voisins ne lui suffisaient pas. Monsieur Henri assume très bien sa maladresse et puis ses esprits à lui ne s'aventurent jamais hors de leur petite pièce. Et, de toute façon, les fantômes qu'il sent ne correspondent en rien à ceux des histoires.

D'abord, il y a Gérard. Son bon ami Gérard, qu'il reconnaîtrait parmi mille, voire parmi un million ou un milliard, même lorsqu'il ne peut pas vraiment le voir. Celui-ci tourne autour de lui, aussi vif que lorsqu'ils avaient vingt ans et qu'ils aidaient à la ferme des Leroux. Parfois, il s'arrête, et lui souffle à l'oreille une de leurs vieilles farces qui les faisaient partir dans un fou rire sans fin. Ah, ce bon Gérard, qui avait bien réussi sa vie, s'était trouvé une chouette famille, et était parti d'un cancer de la prostate avec son éternel sourire aux lèvres trois ans plus tôt.

Ensuite, il y a Léa, la jolie et lumineuse Léa, son premier amour de jeunesse. Oh, leur idylle n'avait duré qu'un juillet et un demi août, mais leur amitié était restée intacte de longues années durant. Cela faisait vingt étés qu'il n'avait pas vu son sourire, emporté sous les coups de son mari. Monsieur Henri avait pensé à le tuer ; il ne l'avait jamais retrouvé, le salaud ayant disparu on ne sait où avant l'arrivée de la police. Même maintenant, en sécurité dans la pièce de son ami, le fantôme garde des nuages sur le soleil de son rire. Le vieil homme envoie un baiser du bout de ses doigts, et il ressent au fond de son cœur qu'il a touché le spectre de la femme.

Il y en a d'autres, de bons amis, d'anciens professeurs, ses parents aussi, aussi amoureux qu'à leur premier baiser. Ils enveloppent de tendresse leur fils, et celui-ci se sait aimé d'un amour indiscutable. Chacun prend sa place, plus ou moins voyants en fonction de l'importance qu'ils ont eu dans la vie du vieil homme. Et au milieu, plus présentes encore que les autres, trônent les deux plus grandes joies et les deux plus grands regrets de sa vie.

Sa femme, Colette, et sa fille cadette, Eléonore. La première tient la seconde dans ses bras. Le vieil homme ne peut pas vraiment les regarder comme on regarde un tableau, mais il sait avec une certitude absolue ce qu'elles font. Les fantômes n'ont pas besoin des sens pour montrer qu'ils sont là, malgré leur disparition. Les deux femmes avaient péri, il y a trente-sept ans de cela, dans un accident de voiture, dont monsieur Henri se savait seul responsable. Ils rentraient de chez des amis, l'homme avait un peu trop bu. Un mauvais coup de volant, un véhicule les percutant par derrière. Classique, peut-être. Tragique, surtout. La petite Eléanore de cinq printemps était décédée sur le coup, et Colette s'était éteinte à l'hôpital des suites de sa blessure. La relation de Monsieur Henri avec Cécile, âgée alors de huit ans, était restée entachée à jamais.

Colette sourit. L'étincelle de ses yeux montre au vieil homme qu'elle ne lui en veut pas. Celui-ci en tire un réconfort indescriptible. Il l'aime. Autant qu'au premier jour, plus encore peut-être : on dit que l'absence crée le désir. C'était elle qui l'appelait « monsieur Henri », en insistant sur le « o » de monsieur, lorsqu'il sortait ses beaux chapeaux et ses airs distingués pour l'emmener au cinéma ou au théâtre. Il avait gardé l'appellation à jamais.

Eléanore, elle, remplit le cœur du vieil homme d'une douceur naïve. Il ne parvient pas à dire si elle semble avoir cinq ans ou bien si elle a grandit pour devenir une femme mûre et intelligente. Sûrement un peu des deux. Monsieur Henri se retrouve jeune papa, serrant l'une de ses filles dans ses bras maladroits.

Alors, enveloppé de toutes parts par les figures de son passé, il s'abandonne tout à fait à la joie qu'elles lui procurent. Ce n'est bien sûr pas la première fois qu'il pousse la porte de la pièce aux fantômes, mais c'est certainement celle où il passe le plus de temps. Et, ainsi bercé de leur amour si doux en comparaison de sa solitude extérieure, il prend une décision.

Il va les rejoindre. Ne plus les voir seulement occasionnellement, comme un intrus simplement spectateur. Faire tomber la barrière, devenir une part du tout si rassurant qu'ils forment. Avoir droit au bonheur sans conditions, partout, tout le temps. Monsieur Henri l'a bien mérité.

-        J'arrive, souffle-t-il d'une voix chaleureuse.

Le vieil homme ouvre plus largement la porte et se faufile dans sa chambre, sa canne à la main. Le changement de lumière éblouit un instant ses yeux fragiles, puis il se remet en route vers sa fenêtre, plus déterminé que jamais. Il va devenir un spectre, sans aucune hésitation possible.

Et si ça rate ? Et si il disparaissait, purement et simplement ? Bah, ce n'est pas comme si Monsieur Henri avait grand-chose à perdre. Qu'est-ce qu'il lui reste, au fond ? Des noëls qui ne sont pas des noëls, des messages que sa fille lui envoie par pitié, une routine solitaire et ennuyeuse, des voisins casse-pieds. Non, vraiment, rien qui ne l'empêche de prendre le risque.

Il arrive à sa fenêtre. Laisse tomber sa canne dans un claquement sonore. Sort son petit mobile démodé. Tapote un message de ses doigts pâteux trop gros pour les touches. « Ne venez pas le deux. Vous ne pourrez pas me voir ». Appuie sur la touche « envoyer ». Laisse un immense soulagement envahir sa poitrine. Pose ses mains sur la poignée de la fenêtre. L'ouvre.

Et alors, il appuie avec forces ces paumes sur le bord, jette un ultime  coup d'œil à la guirlande des Prévert, laisse son oreille une dernière fois se combler des chants catholiques et sa narine s'emplir de la dinde de Madame Acajou, prend une grande inspiration, hisse une jambe, regarde en bas, hisse la deuxième jambe, regarde de nouveau en bas, ferme les yeux. Et chute.

Monsieur Henri est mort.

Vive Monsieur Henri.

Suis assez fière de ce texte je vais pas vous le cacher. Pas forcément toujours satisfaite du style mais j'aime bien l'idée tout ça tout ça. Sinon de base c'est pour le concours de Noël de MiladyCoulter dans son livre A vos plumes. Je vous invite à aller y faire un tour, le concept est vraiment sympa ! Et toi Milady je te laisse me dire si c'est pas trop hors sujet haha, au pire pas grave j'ai adoré l'écrire XD.
Sinon j'ai eu envie de faire des calins à mon personnage pendant littéralement l'intégralité de l'écriture la nouvelle et je me sentais tellement triste à la fin...

Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro