Le lac de maman
Le temps s'égrène le long des sapins. Tends la main, mon chéri. Saisis-le et couvre-t'en. Un lac s'étend à perte de vue, tu ne peux l'attraper avec tes yeux noisette, il est trop vaste. Laisse-le, il ne va pas s'en aller, ne t'inquiètes pas. Il n'y a pas de bruits, mais n'ait pas peur. Bientôt le chant du silence te pénètrera par partout, il suffit de rester patient, comme lorsque Papy t'emmènes prendre des photos avec son bel appareil argentique. Respire, chhhht, respire. Ça sent bon la forêt, un peu comme le parfum de tatie Claire. Tu sais, celui qu'elle met tous les ans à Noël, quand tu étais plus petit, tu l'aimais tant que tu venais te nicher dans son cou, après c'était la galère pour te décoller d'elle et t'asseoir à ta place, faut dire que t'étais coriace... Enfin bref, tu te figures bien la scène ?
- Oui oui, t'inquiètes, continue !
Toi tu es bien au chaud au milieu de tous ces arbres, et tu souris, de ton joli sourire qu'on n'a vu nulle part ailleurs, et tu es extasié. Tu ne bouges pas, pas vraiment, comme invisible, tu es un peu le vent, partout, nulle part, ce vent que Mamie aime tant, si bien qu'elle reste pendant des heures dehors et qu'elle finit par attraper la crève, une vraie enfant celle-là, mais on la comprend, ça te plait d'être le vent mon lapin ?
- Ouuuuuuui ! Papa, t'es le meilleur raconteur d'histoires de la terre tout entière !
Bon, bon, n'exagérons rien... Bref, tu es là, pour une plus ou moins courte éternité, c'est toi qui choisit. Tu trouves ça beau, beau comme les sculptures de tonton Henri, beau comme les origamis de ta cousine Aria, elle est vachement douée cette gamine quand même... Tu trouves ça beau, au-dessus des mots que tu voudrais trouver. Tu sais que Jeanne n'aimerait pas, elle aurait un peu peur, c'est trop sombre tout ça pour elle, tu la connais ta grande sœur, elle préfère les trucs plus colorés et plus doux, genre coucher de soleil et compagnie. Mais toi, tu te sens bien. Tu as toujours eu cette âme poétique, tu t'es toujours servi de la mélancolie comme d'une couverture. Un drôle de gamin, ça ne fait aucun doute. Le meilleur gamin de cette putain de Terre.
Fais pas ces yeux surpris, tu sais bien que je t'adore petit coquin. Reprenons mon histoire, tu veux bien ? Les arbres se reflètent dans le lac, ça fait l'infini un peu, ton regard divague des vrais arbres au reflet, ça y est, tu ne peux plus les distinguer. Tu décides d'avancer un peu, tout doucement, tu es à peine une brise à ce moment-là, faudrait pas abimer le décor, t'imagines le désastre... L'odeur change un petit peu. Au fur et à mesure que tu te rapproches du lac, la forêt prend dans tes narines une teinte plus mouillée, la même qui ruisselle sur les fenêtres de la maison en Bretagne de tes grands-parents maternels. Ça emplit tes poumons et ta tête et ton corps tout entier même si tu n'en as pas vraiment tu t'en fiches, et si tu voulais tu pourrais t'envoler, mais tu restes sur Terre, parce que la forêt a besoin de toi, et que tu te sens bien. Le chant du silence, tu sais, celui dont je t'ai parlé tout à l'heure, il devrait commencer à s'immiscer en toi, doucement, mais si ce n'est pas le cas ne t'inquiètes pas ce n'est pas grave, il ne devrait pas tarder. Tes mains, pour une fois tu ne les tritures pas dans tous les sens sans savoir où les mettre, non, elles sont là avec toi, invisibles, t'accompagnent dans ton voyage, tu pourrais t'en servir mais tu n'as pas besoin, tu pourrais les regarder mais c'est inutile, tu sais qu'elles sont là, c'est suffisant. Si ton petit frère te dessinait à ce moment-là, il a beau être tout débutant avec les crayons, sûr qu'il serait beau à avoir, son portrait. Dis, mon Romain, elle te plait mon histoire au moins ?
- Mais oui, je te dis ! Continue, j'écoute, mais je ne peux pas parler, je suis dans ma forêt !
Ah, je te reconnais bien là... Tu trouves soudain, à quelques mètres du lac, un petit repli accueillant, sans doute l'habitat d'un quelconque animal, ça sent le vivant. Presque personne ne pourrait se faufiler, même pas ton cousin Emil qui vient d'avoir sept ans, mais toi tu peux, parce que tu es le vent, ne l'oublies pas, tu t'assois à l'intérieur, et tu te dis que tu pourrais rester là une éternité, parce que tout est rassemblé pour ton bonheur. Tu fermes les yeux doucement, fermes tes yeux mon lapin, et tu voix le paysage devant toi, encore plus beau, encore plus vrai, et tu te laisses doucement bercer...
- Wow. Mais dis-moi papa, je suis tout seul ?
Mais non, tu n'es pas tout seul ! Il y a Papy qui est là, perché sur un arbre, prêt à te prendre en photos. Il y a Tatie Claire que tu ne peux pas voir, mais qui embaume tout l'air de son doux parfum avec sa tendresse habituelle. Il y a Mamie qui s'est perdue, que tu peux faire voler quand tu le souhaites avec ton pouvoir venteux, et qui t'aime plus fort que jamais, il y a tonton Henri, c'est peut-être lui qui a construit les arbres, je ne sais pas, et Aria qui fait voler des oiseaux en papier au-dessus de toi. Jeanne n'est pas vraiment là, mais elle te regarde depuis son beau soleil qui se couche, c'est un peu comme si elle était là finalement. Tes grands-parents sont là, ils ont rempli le lac avec leurs larmes bretonnes. Et Théo, ton adorable petit frère, qui essaye coûte que coûte de dessiner le vent mais qui y arrive, regarde il est tout fier il te montre ton portrait, et Emil, il est un peu déçu de pas pouvoir s'être faufilé dans ton petit recoin, mais il est vachement mature ce bout d'chou, il se dit qu'au moins toi tu es heureux, et il y en a d'autres sûrement, tes cousins issus de Germain, le fiancé de ta tante, tes ancêtres, et...
- Et Maman ?
Et moi, moi qui essaye de tisser les fils de brouillard même si on ne m'a jamais vraiment appris à me servir d'une machine à coudre, moi qui les ai tous conviés à venir te rejoindre pour t'offrir un peu de rêve, moi qui te couvre de ma voix maladroite pour te montrer tout ça, moi qui n'ai jamais vraiment été doué de mes mains et qui ai trouvé une autre manière de construire, moi qui espère te capturer dans mon univers un petit peu, moi qui t'aime plus que tout, moi qui...
- Et Maman ? Elle est où ?
Maman est dans le lac, mon chéri, Maman est dans le lac. Là où elle a toujours voulu reposer. Elle dort, ne fais pas de bruits. Elle ne te parle pas, mais ne t'inquiètes pas, mon amour ; elle veille sur toi.
Voilà donc mon texte, toujours pour le tournoi des 24 plumes de PtiteRenarde , pas dans sa version finale normalement mais bon j'espère qu'il vous plait.
Fallait donc s'inspirer de cette photo (putain ça charge pas C'est chiant) :
Voilà !
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