Si tu voyais comme la Lune est jolie, aujourd'hui. 

Tu sais, ma Lila, tu étais un peu ma lune, toi aussi. On dit d'untel qu'il est notre soleil. Mais toi, tu étais vraiment une lune, qui brille dans l'obscurité, pâle, douce, qui veille sur quelques étoiles déchues. Qui se dévoile un peu plus chaque nuit, mais qui garde sa face cachée.

J'aurais dû te le dire plus souvent. Ça t'aurait peut-être consolé, de savoir que tu étais ma lune. Tu aimais beaucoup la Lune.

La première fois, on avait six ans. C'était le quatorze juillet, ça sentait bon la cerise un peu partout, les champs étaient plus dorés les uns que les autres et moi j'étais content parce que j'avais mis mon nouveau bermuda. Pour la première fois, j'allais voir le feu d'artifice. Avant, j'étais trop petit, alors il fallait que j'aille me coucher. Et puis cette année, mes parents avaient dit oui, et moi j'étais tout fier.

On s'était assis dans l'herbe, devant le grand lac : c'était là qu'ils le tiraient. Au final, ça m'avait un peu ennuyé, et ma tête me faisait vraiment mal. Et puis, tu m'avais remarqué. Quoi de mieux qu'un enfant de son âge qui semble bailler aux corneilles lorsqu'on veut s'amuser ? Tu m'avais accosté et puis tu m'avais dit :

« J'aime pas les feux d'artifice. Ça sert à rien, ça fait mal aux oreilles, et on voit même plus la Lune, c'est nul. »

Moi j'avais souris, et puis on avait un peu discuté je crois. Je ne me souviens plus trop.

La deuxième fois, on en avait sept. C'était un peu avant Noël. Ton frère et ses amis avaient voulu embêter le facho. Ils avaient forcé la porte de la grange, mit un peu de bazar dans ces récoltes, tagué sur le mur en bois « la jeunesse emmerde le front National ». Rien de criminel, jusqu'à ce qu'ils voient les tracts de la manif pour tous que M. Herbert aimait distribuer. Et pris par la rage de l'action, sans vraiment réfléchir, ils avaient mit le feu aux prospectus, ces cons. Alors qu'ils étaient dans une grange pleine de paille. Tout avait pris feu vite, et moi j'avais eu très peur. On avait tous évacué, par peur que ça se propage. Par un curieux hasard, ou pas, on n'était pas nombreux, dans le coin, tu t'étais retrouvée à côté de moi. Tu m'avais pris la main, inquiète, et tu m'avais soufflé à l'oreille :

« - Est-ce que tu crois que la Lune va penser que le feu c'est le soleil et que comme il est là elle va s'en aller ?

- Non, je t'avais répondu. La Lune, elle est beaucoup trop intelligente et elle connaît super bien le soleil, elle va pas le confondre »

Après, on avait entendu la sirène des pompiers et j'avais pleuré, parce que je pensais que ça voulait dire qu'on allait mourir. Alors tu m'avais serré dans tes bras très fort, et puis tu m'avais encore parlé de la Lune.

Et puis, il y a eu toutes ces autres fois, où on s'est allongé dans l'herbe en se tenant la main pour regarder la nuit, un peu comme des amoureux, les gens aimaient bien dire qu'on était amoureux, mais moi je m'en fichais parce que je savais que ce n'était pas vrai. 

Et puis, il y a eu toutes ces autres fois, où on s'est réfugiés dans ta chambre, sous la lucarne pour rêver un peu tous les deux.

Et puis, il y a eu toi Lila. Toutes ces années il y avait toi. Toi et moi. Lila et Camil. On se sentait vachement forts, tous les deux ensemble. Tu sais j'ai encore ton rire qui sautille dans ma tête, et puis ton odeur astrale, et puis tes yeux gris qui admirent, et puis là tu vois je pleure. On dirait un peu des larmes de lune. C'est comme ça que t'appelais la rosée du matin, tu t'en souviens ?

Si tu voyais comme la Lune est jolie, aujourd'hui.

Seulement jolie. Je crois que pour être belle il lui faut son reflet terrestre, et son reflet c'est toi, et toi, tu es partie.

Vieille nouvelle retrouvée un peu retravaillée, pas du tout original mais que je poste quand même parce que... Parce que je sais pas. Voilà. Bref.