Un mercredi après-midi de printemps, comme il en existe tant d'autres au monde.

Un métro traversant Paris sans interruption, de Nation à Dauphine, de Dauphine à Nation.

Dans une des rames se tient un homme. Barbe un peu broussailleuse, sac à dos légèrement misérable, mais ce n'est pas le problème pour les passagers vacant à leurs occupations diverses. Ce qui ne leur plaît pas, c'est l'odeur de l'individu. Elle est nauséabonde, se dégage fétidement dans le wagon. Tous les humains qui entrent s'en vont immédiatement, et prennent refuge plus loin dans le train. Tous ? Non. Une jeune fille, la douzaine, assez petite et effacée, reste là, sans bouger. Elle plisse à peine son nez, garde son regard dans le vide sans faire un geste. Les pauvres gens tous serrés, quelques mètres plus loin dans le métropolitain, la regardent presque de la même manière qu'ils observent le malheureux. Serait-elle tellement enrhumée qu'elle ne sent rien ? Ou bien est-elle insensible au parfum fétide qu'il dégage ?

Et bien non, loin de là. Cette adolescente, avec son sac en bandoulière, elle ressent tout très fort. Et elle a peur que tout le monde soit comme elle. Elle a peur de blesser l'homme en s'en allant, elle ne veut pas lui dire lâchement et indirectement qu'il donne envie de se boucher le nez. Alors elle reste. La tête haute, elle fait celle qui ne sent rien, et elle pose parfois ses yeux sur lui sans se détourner. Plus le wagon se remplit, et plus ils sont seuls. L'homme abandonné et la fille qui résiste. Quand elle hésite, elle se rappelle pourquoi elle reste. Elle compatit si fort que lorsqu'elle doit descendre, elle peut à peine bouger. Mais elle se lève, passe devant l'homme sans broncher, sort et jette un regard noir que personne n'intercepte à tous ceux qui sont partis.

Et quand elle revoit la lumière du jour, elle est heureuse. Elle a l'impression d'avoir fait quelque chose de beau. Elle pense l'avoir aidé. Peut-importe s'il ne l'a peut-être pas remarqué, si elle est une idiote aux yeux de tous. Car pour une fois, elle ne culpabilise pas.

Et cette jeune fille, c'était moi.