Apocalypse ou la découverte de soi
Texte écrit pour le concours de cosmots j'ai utilisé le sujet 1 mais tout en me servant un peu du 7 :). J'espère que ça ira.
Il fait nuit, sur une bonne partie de la planète.
Mais personne ne dort.
Ils savent. Tous. Que dans quelques instants, les chutes de pierre commenceront à tomber, et que l'air deviendra irrespirable. Mais cela ne servira à rien de fuir. Car peu de temps plus tard, l'immense astéroïde s'écrasera sur la Terre. Et ce sera la fin. L'ultime souvenir du monde.
Oriane contemple sa dernière nuit étoilée. Mais elle ne parvient pas à avoir peur. Tout lui semble tellement irréel... Ses grands yeux noisette absorbent. Le temps, les étoiles et la beauté. On ne pourrait jamais faire la liste de tout ce que contiennent les iris d'Oriane.
Elle s'assoit, les pieds dans le vide, au bord du gouffre. A une centaine de mètres de sa maison, cette place lui a toujours été interdite. « Trop dangereuse ». Mais à présent, quelle importance ?
Elle ne remarque pas la silhouette qui s'approche timidement d'elle, à pas de loups, avant que celle-ci demande, d'une voix hésitante :
« -Je peux m'assoir ? »
Dans l'obscurité envoutante, Oriane ne peut distinguer les détails physiques du nouvel arrivant. Juste un corps androgyne, et deux pupilles dilatées dans deux beaux yeux brillants.
« -Bien sûr. La prudence et la solitude ne sont pas adaptées à nos dernières minutes d'existence. » Oriane pose un index sur les lèvres de l'inconnu(e) avant que celui-ci ne puisse répondre.
« - Ne me dis pas ton sexe, pas ton nom ni ton âge, rien. On parlera sans mettre de genre, on s'fichera du superficiel. Je ne veux pas passer mes derniers instants à mal connaître quelqu'un, comme toujours. Si tu veux me parler de toi, parle moi du vrai toi, tu sais, celui qui hurle en silence dans chacun de tes gestes, celui qui t'anime, celui qui pense. Toi. Ou raconte-moi autre chose, peu importe. Apprenons le monde ensemble.
- Cela me va. Mais vous savez, « Moi », cela fait bien longtemps que je ne sais plus qui c'est. Je connais le « moi en famille », le « moi étudiant », le « moi seul dans sa chambre ». Mais moi tout court, franchement, ça ne me dit rien. Prenez-vous : Vous êtes peut-être un aventurier, un casanier, un lecteur, un érudit, un cancre au grand cœur, un poète dans l'âme, ou même un criminel. Je ne suis rien de tout ça. Je suis un exemple de banalité qui prend différentes facettes, pas vraiment pour plaire, mais pour ne pas être exclu. Et car il ne sait être rien d'autre. Lorsqu'on n'est plus personne, lorsqu'on n'est plus UNE personne, on a pas d'autre choix. Alors, je vous prie, parlons d'autre chose.
-Commence par me tutoyer, déclare Oriane, en posant sa main sur celle de son compagnon, Je ne veux pas être un étranger pour la dernière personne que je verrais au monde. Je ne veux pas t'obliger à quoi que ce soit, tu sais, mais on pourrait essayer de savoir qui tu es. Juste là, maintenant, nous deux. Pour que, quand la mort s'abattra sur tous, elle t'emporte Toi, le grand Toi à la personnalité complexe, parfait à sa manière, avec tes qualités, tes défauts et ta liberté. Pour que les facettes simples et mensongères s'envolent une bonne fois pour toutes. Mais tu sais, en me racontant que tu ne savais plus qui tu étais, tu as déjà fait un pas. Celui de la personne décidée à se dévoiler.
-J'veux bien essayer, mais je crois bien que je suis mort bien avant aujourd'hui. Il en reste pas grand-chose, du « Moi sans le masque ».
-Hum ? l'encourage Oriane avec un mouvement imperceptible de la tête que l'autre ne distingua pas.
- Et bien je suppose que moi, c'est quelqu'un de différent, du moins qui n'entre pas dans la plupart des normes. C'est quelqu'un qui intériorise tellement qu'il ne sait presque plus parler. C'est juste un être un peu perdu, qui a peur du jugement des autres, mais aussi de son propre jugement. C'est quelqu'un qui a aimé écrire... Mais qui ne supporte plus de se retrouver face à la page blanche, face à lui-même, sans personne pour s'interposer. Mais au fond, je crois bien que je suis quelqu'un qui ne peut pas se décrire avec des mots. Qui ne peut pas se décrire tout court, en fait. A l'intérieur, c'est trop complexe, c'est trop mouvant. Je suis désolé, ça ne donne pas beaucoup d'informations...
-Je me fiche éperdument des informations ! s'exclame Oriane. Et j'en ai déjà une suffisamment importante. La plus importante de toutes, je crois. Je suis face à quelqu'un qui est juste lui-même. Peu importe si moi, je ne le connais pas encore en détails. Je ne suis personne d'important, moi, mes connaissances n'influencent pas le monde... Mais lui, lui il se connaît. Il sait parfaitement qui il est. Et il mourra en le sachant. »
Une pause. Mais ce n'est pas un blanc gênant. C'est même le plus beau des silences. Leurs pieds se balancent légèrement dans le vide, ils contemplent les étoiles. Dans même pas une minute, ce sera le début de la fin. Mais le temps n'a plus d'importance. Ce sont juste deux êtres qui n'ont plus de sexes, perdus dans une nuit qui n'a plus de date, proches d'un décès qui n'a pas de sens. Oriane demande soudain :
« -Je peux essayer quelque chose ?
-Euh... Oui ? »
Avec son index, elle cherche à tâtons la bouche de l'inconnu, peut-être un peu moins inconnu à présent. Elle sourit, et le temps de même pas une seconde, elle presse ses lèvres sur celles qu'elle vient de trouver. Ce n'est pas un baiser comme un autre. C'est juste une action perdue, aussi dénuée de sens que tout ce qui est en train de se passer.
« - Désolé... Je voulais juste essayer. Embrasser. Avant de mourir. Histoire de ne pas louper ce que presque tout le monde a expérimenté.
- Il n'y a pas de soucis. Mais, sincèrement, je ne suis pas sûr d'aimer ça.
-Moi non plus. C'est... étrange comme sensation. Inhabituel. Je ne réessaierais plus. Oh... C'est vrai. Je ne recommencerais plus rien, jamais. »
Oriane rit nerveusement. Second silence. Le temps est si court qu'il les oppresse déjà.
« -Tu sais, moi, c'est aussi quelqu'un qui refuse de se faire rattraper par le sort. Qui aimerait bien choisir quelque chose dans sa vie, quitte à ce que ce soit... sa mort. »
Lorsque son compagnon prononce le mot « mort », un ressenti étrange parcourt Oriane. Ce sont comme des mots qui tournent en elle : le début de la fin. Une nostalgie pleine de tristesse, mais pas de peur, non pas de peur. Elle ne dit rien.
« - Le gouffre est si profond que l'on sera décédés avant le choc. On n'aura pas mal, on ne sentira rien. Il reste... dit-il en essayant de lire sa montre dans le noir, hum... même pas trente secondes. Qu'est-ce que ça va changer ? »
Ils n'ont pas besoin d'échanger d'autres mots. Leurs mains s'accrochent et se serrent. En un clin d'œil, ils sont debout.
Saut dans l'espace intemporel.
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