
B10. Obscures conspirations
Point de vue de Mme Barnes
Une fois l'ascenseur parti, j'attends que nos poursuivants me repèrent pour courir dans la direction opposée. Le temps qu'ils passent à me traquer est du temps gagné pour que Bucky s'enfuie. J'espère juste tenir assez longtemps, car je n'ai ni son endurance ni sa rapidité.
Je parviens cependant à les semer en me faufilant dans un recoin. Lorsque je risque le nez dehors pour vérifier si la voix est libre, ma poitrine se gonfle d'une bouffée d'espoir. J'ai peut-être encore une chance de les rejoindre. Je file vers les escaliers et grimpe les étages à vive allure, me laissant surprendre par la résistance de mes poumons.
Alors qu'il me reste encore un étage à gravir, une porte s'ouvre sur un homme costumé. Il porte un casque semblable à celui du meilleur ami de Bucky, l'ancien Captain America, et son costume noir arbore des rayures rouges et blanches en travers de son torse.
« Je te tiens. »
Je n'ai pas le temps de reprendre mon souffle que je dois déjà esquiver ce nouveau venu qui tente de m'attraper. Mon dos heurte le mur alors que je recule pour lui échapper. J'envoie un coup de pied dans son ventre pour le repousser, manquant de me tordre la cheville à cause de la dureté inattendue de l'impact. Non seulement l'homme ne bouge pas d'un pouce, mais il se moque allègrement de ma confusion. Je profite qu'il soit trop occupé à ricaner pour lui passer sous le nez, n'ayant pas perdu mon objectif de vue. Je pare sa tentative de m'empoigner en me baissant et en visant sa cheville. Mon croche-patte lui fait perdre l'équilibre et sa tête rencontre la rambarde de l'escalier dans un "bong" sonore.
Ouille. Heureusement qu'il porte un casque. Pourquoi je m'en soucie, d'abord ? Je devrais courir au lieu de m'inquiéter de l'état de ses neurones.
Je n'ai pas le temps d'atteindre le bout du palier qu'un poing s'abat devant moi pour s'écraser à quelques millimètres de ma tête. Des morceaux de plâtre volent et le mur se fissure autour du cratère laissé par le choc. Mes yeux font un aller retour entre l'impact et son auteur. Cette force...
Ce moment d'hésitation suffit à ce qu'il saisisse mon poignet. J'essaie de me dégager mais sa prise est ferme. Oui, je reconnais cette force. Elle me rappelle celle de Bucky. Bien qu'il l'ait toujours modérée lors de nos entraînements par crainte de me blesser, je sais reconnaître une force supérieure à celle d'un homme ordinaire, qu'il aille régulièrement à la salle ou non.
C'est à ce moment-là que je me souviens d'une technique que Bucky m'a apprise un jour. Il m'a montré comment jouer sur mes appuis pour combattre plus grand et plus fort que moi, me permettant même de le mettre à terre une fois. Dans une dernière tentative, je laisse la voix de Bucky résonner dans ma tête et applique ses instructions. Mon adversaire relâche juste assez sa prise pour que je parvienne à me libérer.
En revanche, je ne connais aucune parade pour faire face à ce flagrant écart de rapidité. Le super-soldat a vite fait de me rattraper en jurant. Ses doigts compriment mon bras à m'en couper la circulation sanguine.
La fatigue se fait nettement sentir dans tout mon corps, alors que mon adversaire n'est même pas essoufflé. Je dois me rendre à l'évidence : j'aurais beau lutter, je n'ai pas la puissance physique d'un super-soldat.
« Arrête de te compliquer la tâche inutilement. Viens avec moi.
— Comme si j'avais le choix. Pas besoin de me faire un garrot, mec, protesté-je avant de l'examiner en me demandant quel genre de type se cache sous ce costume. On dirait que ton casque est moins résistant que ton crâne. »
Il passe sa main sur son couvre-chef et remarque à son tour l'enfoncement laissé par son choc contre la rambarde. Il soupire en le détachant. Son casque retiré, je découvre enfin son visage.
Évidemment. Ça ne pouvait être que lui.
John Walker.
Pourquoi n'y ai-je pas pensé plus tôt ? On ne peut pas dire que Bucky et Sam m'en aient fait une bonne presse, pas plus que les vidéos de ses exploits avec le bouclier de Captain America lors de son court mandat en tant qu'icône de l'Amérique.
J'ai au moins la satisfaction de lui avoir laissé un hématome sur le haut de son front, bien que celui-ci commence déjà à se résorber.
« Tu me remets ? Je crois qu'on a des amis communs.
— Amis n'est pas le terme que j'emploierais. T'as envie qu'ils te bottent les fesses encore une fois ?
— Ça n'arrivera pas, dit-il avec un rire qui n'a rien d'agréable. Qu'ils viennent, je peux les prendre tous les deux.
— C'est beau de rêver.
— Ah, la voilà. Ça t'aura pris du temps. »
Une femme avec une mèche bleue assortie à son long manteau se tient face à moi, me parcourant de la tête aux pieds.
« J'ignorais que le Power Broker avait tant de mal à garder sa marchandise sous verrou. Elle vous a amoché, John. »
Son sarcasme et sa moquerie me font presque esquisser un sourire.
« Contessa Valentina Allegra de Fontaine. » se présente-t-elle.
Décidément, Sharon a décidé de célébrer la criminalité internationale.
« Qui ? »
La femme au nom à rallonge soupire et me tend une carte de visite.
« Je n'aime pas me répéter. »
J'inspecte sans comprendre le bout de papier vierge, blanc au recto et noir au verso.
« Je sais que vous êtes attendue à une soirée, mais je suis ravie d'avoir l'occasion de m'entretenir avec vous avant de vous y accompagner. »
Presque lassée d'avoir à poser cette question une fois de plus, je me retiens de lever les yeux au ciel. Pourquoi faut-il toujours que les vilains cultivent le suspens à ce point ?
« Que me voulez-vous ?
— C'est plutôt ce que vous voulez vous qui m'intéresse.
— Pardon ?
— Je vais économiser notre temps et supposer que vous êtes au courant pour tout ce qui se trame autour de cette petite réception. Je suis certaine que vous êtes quelqu'un de réfléchi. Vous ne voudriez pas que le sérum tombe entre de mauvaises mains, n'est-ce pas ?
— Parce que vous allez me faire croire que les vôtres sont propres ? Rien que votre présence ici prouve le contraire. Sans parler de votre chien de garde qui joue au super-héros.
— Oh, ma chérie. Nous nous arrangeons toujours pour que nos mains soient lavées de toute saleté.
— Nous ?
— N'ai-je donc pas mentionné que je suis de la CIA ?
— Et je présume que vous n'êtes pas ici pour arrêter cette mascarade ?
— Eh bien, je pourrais. Mais ça ne m'intéresse pas. Voyez-vous, j'ai les intérêts de l'Amérique à cœur. Je suis sûre que vous comprenez. Votre mari est un vétéran, après tout.
— La CIA veut des super-soldats ? C'est pour ça qu'ils ont recruté ce type ? désigné-je celui qui compresse toujours mon bras.
— Qui ne veut pas de super-soldats ? Vous qui en avez deux pour vous toute seule, vous êtes mal placée pour prendre vos grands airs.
— Eh bien, si vous voulez le sérum, faites la queue ou battez-vous, peu m'importe. Vous traitez avec la mauvaise personne.
— Pourtant, j'ai le pouvoir de vous faire sortir d'ici. Cela ne vous intéresse pas ?
— Vous voulez savoir ce qui m'intéresse ? Je veux qu'on fiche la paix à ma famille.
— Laissez-moi vous montrer quelque chose. »
Walker sur nos pas, l'agent de la CIA - si tenté qu'elle m'ait dit la vérité - me conduit jusqu'à un balcon qui surplombe une vaste salle. Le décor est à mi-chemin entre une galerie d'art et une salle de réception. Des personnes en tenue de cocktail discutent entre elles avec un verre ou un amuse bouche à la main et déambulent au milieu des œuvres d'art exposées.
« Une vente aux enchères de tableaux ?
— Ils ne sont pas exactement là pour la peinture, s'amuse-t-elle.
— Vous m'en direz tant. »
Je remarque dans la foule les curieux personnages en combinaisons vert et jaune que j'ai aperçus plus tôt, ainsi que certains visages ayant déjà fait plus d'une apparition aux informations. Mais la plupart me sont étrangers, même si je devine aisément que je suis la seule à faire baisser le taux de criminalité dans cette pièce.
Je ne vois Sharon nulle part. Je suppose qu'elle continue savamment de cultiver le mystère autour de l'identité du Power Broker.
« Effrayant, n'est-ce pas ? Ils sont là parce qu'ils veulent ce que vous avez. Votre famille ne peut pas être laissée tranquille tant que vous n'aurez pas donné du vôtre, et vous le savez. Je peux seulement vous proposer un chemin moins pénible, voire plus glorieux. »
J'ignore ouvertement ses paroles et continue de parcourir la salle des yeux. Aucune proposition émanant de cette femme ne pourra m'inspirer confiance.
« C'est un genre de Comic-Con de super-vilains ?
— Vous êtes drôle. Je l'aime bien, dit-elle en se tournant vers Walker. Vous l'aimez bien ?
— On n'a pas vraiment eu le plaisir de sympathiser, répond-il sans une once d'enthousiasme.
— Parfait, vous allez en avoir l'occasion ce soir.
— Attendez, il va rester avec moi ?
— Amusez-vous bien ! Nous nous reverrons bien assez tôt pour poursuivre notre discussion. Je pense que cette petite fête vous ouvrira les yeux sur ce que vous souhaitez vraiment pour votre famille. »
Elle s'en va, me laissant seule avec la babysitter qu'elle m'a attitrée. Je me dégage vivement de son emprise. Walker souffle et remet son casque tout en levant les yeux au ciel.
« Ne crois pas que ça me fait plus plaisir qu'à toi.
— Nous voilà au moins d'accord sur une chose. »
Il place une main dans mon dos et me pousse vers les escaliers afin que nous puissions nous joindre à tout ce beau monde.
« Ne me touche pas, lâché-je en m'arrêtant pour planter mes yeux dans les siens.
— Alors toi aussi tu as cette manière bizarre de fixer les gens. C'est ton petit ami robot qui te l'a apprise ?
— Tu es pathétique, sifflé-je entre mes dents. Donc si je comprends bien tu n'as pas réussi à devenir Captain America alors tu es devenu le sbire de cette nana ? Me fait pas croire qu'elle travaille réellement pour la CIA.
— En fait, si. Même si tu sais que tout est toujours plus compliqué.
— Ce n'est pas la CIA qui veut une équipe de super-soldats. C'est elle, pas vrai ?
— Tu penses réellement que je vais répondre à ta question ? »
Je souffle. Si ça se trouve, il ignore lui-même la réponse. Je lorgne sur les plateaux qui circulent entre les invités. Mon corps semble se rappeler qu'il n'a ni bu ni mangé depuis des heures. Qu'il y ait un petit être en plus à rassasier n'aide pas.
« Je pense que j'ai besoin d'un verre, déclaré-je alors que nous pénétrons dans la salle. Ils n'ont pas de soda ou de jus de fruit sur leur carte ?
— Plutôt du champagne et des fruits de mer.
— Super. Je ne peux même pas profiter du buffet.
— Pourquoi ?
— Parce que... »
Parce que le champagne et les fruits de mer sont tout sauf le régime d'une femme enceinte, pardi. Voilà au moins un secret que je peux encore préserver.
« Parce que ta présence me coupe l'appétit, voilà tout.
— Alors c'est comme ça, hein ? Toi aussi tu me hais comme tes amis ? C'est si simple de me diaboliser. Tu penses que je suis fier de la manière dont les choses se sont passées ? Tu n'as aucune idée de ce que c'était de porter ce bouclier face aux attentes de tous ces gens.
— Tu t'attends sérieusement à des éloges alors que tu aides ceux qui veulent sans prendre à ma famille et que tu me retiens dans cet endroit plein de gens qui me tueraient sans hésiter si ça leur permettait d'obtenir leur satané sérum plus rapidement ? »
La gorge sèche, je scrute les plateaux des serveurs en quête de boisson ou d'aliments non prohibés.
« Je ne te hais pas, Walker. Je suis en colère contre toi. Je sais que ce n'était pas facile de porter l'héritage de Captain America sur ses épaules, ça ne l'est pas non plus pour Sam. Ce n'est pas à moi de te juger pour tes actions passées, tout ce que je vois c'est que maintenant tu n'es pas dans mon camp. »
Je finis par opter pour un petit four qui a l'air comestible et me tourne vers lui.
« Ce sérum, dis-moi. Qu'est-ce qu'il t'a apporté de bon ? »
Bien que je vois le trouble passer dans son regard, il n'a pas l'occasion de me répondre car un homme s'approche déjà de nous. Son air de prédateur ayant repéré sa proie me fait frissonner.
À ma plus grande surprise, Walker se décale légèrement devant moi, geste que je pourrais presque interpréter comme protecteur.
J'ai l'impression d'avoir eu ma dose de surprises pour la journée, il est largement temps que celle-ci se termine. Bien sûr, il me reste encore à survivre à cette soirée. J'espère vraiment que ça en vaut la peine.
J'espère que Bucky a réussi à s'enfuir.
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