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Chapitre 6

« Je fais partie du service comptabilité. » L'interlocuteur d'Edouard s'empresse de changer de sujet, embrayant sur les travaux de rénovation qui doivent avoir lieu prochainement ; il espère que les murs du restaurant d'entreprise ne seront plus vert kaki, couleur qui lui donne envie de vomir. Edouard ne se souvient déjà plus du prénom de l'homme en face de lui, au milieu de toutes ces considérations décoratives qui l'intéressent bien peu, peine à trouver l'occasion de lui demander sa fonction dans l'entreprise. D'ailleurs, il hésite à le faire ; d'un côté, ce serait un manque de respect de ne pas s'y intéresser, mais d'un autre, Edouard n'aime pas spécialement qu'on lui demande ce qu'il fait dans la vie, surtout de prime abord.

Edouard Enile, comptable donc, ne se voit pas comme un comptable. Sa famille non plus ne le voit pas comme un comptable, la moitié de ses neveux n'ayant certainement aucune idée de ce qu'il fait de ses journées. Quant à ses amis en dehors du travail, même s'ils détiennent cette information, ils l'ont connu bien avant qu'il choisisse un métier, et celui-ci n'est à leurs yeux qu'une part minime de ce qu'il est. Voilà comment Edouard voudraient que les gens le voient ; comme ses amis le voient, comme sa famille le voit, comme il se voit lui même, c'est à dire comme un être humain au sujet duquel il y a bien des choses plus importantes à savoir que les tâches qu'il exerce pour gagner sa vie.

Pourtant, Edouard aime ce qu'il fait. Il travaille pour une entreprise qu'il apprécie, contribue à son niveau à un projet général qu'il trouve porteur de sens, et dans une ambiance agréable qui plus est. Il effectue des tâches qui lui demandent une concentration importante, faisant passer le temps de la journée en un éclair. Il ne rencontre pas de difficultés ou de source de stress particulières ; son travail est parfaitement adapté à ses compétences et rien n'est susceptible de le prendre en défaut. Il se sent autonome dans la manière dont organiser ses tâches et sa journée, sur des horaires raisonnables qui lui permettent d'aller récupérer ses enfants à l'école et de passer la fin de journée avec eux. Edouard se sent parfaitement bien dans son travail ; mais il ne considère pas pour autant que celui-ci devrait le définir.

Quand il rencontre quelqu'un, que ce soit au restaurant d'entreprise ou à une soirée chez des amis, c'est pourtant toujours l'une des toutes premières questions qu'on lui pose « Tu fais quoi dans la vie ? » Edouard donne la réponse qu'ils attendent probablement, la réponse simple et factuelle à la question posée : comptable. C'est la vérité après tout. Mais est-ce vraiment la vérité ? Edouard fait tellement plus de choses dans la vie ; il est tellement plus de choses. Il pourrait, théoriquement, répondre tout aussi bien à la question en parlant de ses loisirs, de sa famille, de sa personnalité, de ses convictions, de ses engagements, et de ce qu'il trouve véritablement important. Mais ce n'est jamais la réponse que son interlocuteur attend ; avide de pouvoir le ranger dans une case en fonction du labeur qui lui permet de faire fonctionner l'économie en en devenant un rouage. Il faut bien gagner sa vie d'une manière où d'une autre, et y consacrer la plupart de son temps malheureusement ; autant le faire agréablement, mais cela ne définit pas l'intégralité de notre existence pour autant, ou ne devrait pas en tout cas.

Au moins, la profession d'Edouard a un avantage : certaines imposeraient une conversation sans fin, où l'interlocuteur s'intéresserait ou tout du moins ferait semblant de s'intéresser, avec « comptable », on peut vite passer à autre chose. L'inconvénient, c'est que même si on passe alors à pouvoir parler de ce qui nous définit vraiment dans la vie, c'est trop tard. On est déjà catalogué ; en tant qu'être terne, ennuyeux, pas bête mais pas brillant non plus, sans ambition particulière, avec qui on ne pourra qu'échanger des banalités. Et c'est faux. C'est faux. Un métier n'en dit pas forcément très long sur la personne qui l'occupe, ne permet pas de définir sa personnalité ou ses motivations. Il dit seulement comment il occupe sept des heures de sa journée. Pourquoi tout le monde y accorde-t-il tant d'importance ?

Peu importe la fonction de l'homme en face d'Edouard. Sans la connaître, on peut savoir que c'est un être sociable et enjoué, qui a le cran de s'assoir pour manger près d'un inconnu sans même demander, et d'entamer la causette le plus naturellement du monde. Peut-être aime-t-il rencontrer des gens, peut-être aime-t-il s'entendre parler ; ou tout simplement ne supporte-t-il pas de manger seul ? En tout cas, c'est un homme qui n'a pas peur du ridicule : il est prêt à faire, devant un collègue inconnu, une remarque sur le vomi, remarque digne d'un enfant de cinq ans et qui pourrait potentiellement lui faire perdre de sa crédibilité professionnelle. C'est aussi un homme qui a l'air de faire attention à son alimentation, peut-être un peu trop : quelques haricots verts et un filet de colin se côtoient sur son plateau, sans même dessert ou entrée pour les accompagner. A moins qu'il ne soit tout simplement pressé ? Mais dans ce cas, pourquoi prendre le temps de discuter avec lui ?

Edouard n'avait pas idée pas que des haricots verts et du poisson pouvaient être mangés aussi lentement. Il a eu le temps d'apprendre que son interlocuteur a rejoint l'entreprise en début de semaine, dans l'équipe RH. Ceci explique peut-être d'ailleurs son intérêt pour lui. Il a également eu le temps d'obtenir de lui qu'il répète son prénom : Cédric. Il a aussi le temps de découvrir l'avis de Cédric sur l'agencement de chacune des pièces de l'entreprise, sur les menus proposés au self, ainsi que sur le nom de l'entreprise et son logo. Pour sa part, Edouard a essayé de lui donner le moins d'informations possibles, se méfiant de ce jeune homme bavard qui semble bien trop avide de récolter des cancans. Qui sait ? Peut-être que cette fausse sociabilité n'est qu'un masque pour évaluer en douce les gens et leur implication dans l'entreprise ?

Edouard, arrive dans le box où se trouve son bureau et est surpris de voir que ses dossiers ne sont plus à la place qu'il leur avait assignée. Pourquoi n'y a-t-il plus qu'une seule pile ? En s'approchant, il remarque, au dessus de celle-ci, une feuille de papier. Ce qui est certain, c'est qu'elle n'est pas à lui. Mais il semble bien qu'elle ait été posée là à son attention. En la lisant, il ne fait pas de doute qu'elle doit provenir de Cédric. Ou alors d'un autre de ses collègues RH trop zélés peut-être ; parce que comment Cédric aurait-il pu être à la fois en train de déjeuner avec Edouard et de déposer un mot sur son bureau ?

Une communication RH pour le moins étrange, mais pourtant tout à fait dans le style de l'énergumène qu'Edouard vient de rencontrer. Plus d'épanouissement pour les employés : comme s'il avait besoin de ça. Des indices et des signes : s'agirait-t-il d'une sorte de jeu de piste ? Est-ce que Cédric cherche à favoriser l'intégration des salariés, où est-ce plutôt sa propre intégration qu'il cherche à favoriser ? Après tout, c'est probablement le seul qui ne soit pas déjà intégré. Edouard estime avoir bien assez de contacts avec ses collègues, auprès desquels il se sent parfaitement à sa place. S'il a préféré manger seul aujourd'hui, c'est parce que, ces derniers temps, il a besoin de prendre un peu de recul vis à vis de l'une d'entre eux. Il a encore du mal à encaisser sa déception du week-end passé.

Il y a encore quelques jours, Edouard serait directement allé vers Hortense pour lui montrer le mot qu'il vient de trouver sur son bureau. Elle n'aurait peut-être pas été aussi enthousiaste que lui pour participer au jeu de piste, mais elle l'aurait au moins été pour se moquer des RH. En a-t-elle reçu un exemplaire elle aussi ? Edouard pourrait tout simplement aller vers elle et le lui demander. Il en a le droit après tout, ils ne sont pas fâchés. Mais il est gêné. Il a l'impression que leur relation ne sera plus jamais aussi naturelle qu'avant. Il y a ce savoir entre eux maintenant, cette conscience qu'il aurait pu y avoir quelque chose d'autre entre eux si seulement... C'est trop bête ; trop dommage. Mais après tout, c'est peut-être pour le mieux. Une telle divergence aurait forcément fini, à un moment où un autre, par créer une explosion. A quoi bon se donner du mal et renoncer à quelque chose d'important pour lui, si c'est pour aboutir au final à une rupture ?

Edouard entend résonner dans sa tête le rire moqueur d'Hortense, qu'il trouve si charmant habituellement. Mais l'image d'elle se moquant du mot se transforme vite en l'image d'elle se moquant d'Edouard lui-même, et du choix qu'il a fait. Elle doit probablement le trouver idiot. Mais c'est juste qu'elle ne comprend pas. Elle n'aurait jamais pu comprendre. De la même manière qu'elle ne comprendrait pas qu'Edouard ait envie de s'investir dans le jeu d'énigmes créé par le service RH. Certes, lui aussi trouve l'intention tout simplement ridicule : la cohésion d'entreprise devrait être créé par de réels partages de valeurs et buts et non par des événements conviviaux mais superficiels. Mais n'est-ce pas pour autant une bonne occasion de s'amuser ? Et puis, même s'il s'avère que c'est un coup monté pour identifier des compétences cachées chez les employés, Edouard a tout à y gagner : il est vraiment doué pour les devinettes.

Pour commencer, pourquoi les dossiers ont-ils été bougés ? Est-ce que quelque chose y a été caché ? Une bonne vingtaine de minutes s'écoulent, pendant lesquelles Edouard passe en revue ses papiers à la recherche d'un autre mot ou de quoi que ce soit d'anormal. Il ne trouve rien, si ce n'est un document mal rangé. Mais il est possible que ce soit lui qui l'ait mal placée ; il ne voit pas en quoi une facture pour des stylos pourrait être un indice. Edouard s'accroupit sous le bureau pour voir si quelque chose y est caché : rien non plus, si ce n'est un chewing-gum collé. Chewing-gum qui certes n'est pas à lui, Edouard n'aimant pas ça, mais qui pourrait tout aussi bien avoir été mis là par l'intérimaire qui a occupé cet espace durant ses congés.

En se relevant, Edouard constate que les collègues qui l'entourent le regardent d'un air interloqué. Peut-être qu'il en fait légèrement trop, se comportant sur son lieu de travail comme s'il était dans une salle d'escape-game, agitation frénétique et contorsionnements étranges au renfort. Leur réaction indique s'ils n'ont, eux, pas encore reçu le mot. Edouard essaye de se convaincre qu'il n'a strictement rien à faire de ce que l'on peut bien penser de lui, mais les regards sont trop insistants pour le laisser de marbre. Il a envie de leur donner la raison de ses agissements, mais ce serait trop long à expliquer, ils ont l'air afférés, et de toute manière ils comprendront quand le jeu se manifestera à eux également. En attendant, Edouard se rassoit à son bureau, reconstitue ses deux piles de dossiers, et se remet au travail.

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