Un mari en or
"Tu es sûre, ma chérie ?"
"Tout à fait sûre !"
La nuit s'était réveillée, et mille étoiles brillaient commemille yeux dans le ciel. Leur lueur était cependant estompée par lapleine lune : la nuit ne souriait plus, mais riait à gorge déployée.
Tout était silencieux, excepté ces paroles qui montaient de laseule lueur terrestre, émanant d'une fenêtre d'appartement.
Un voisin d'en face, réveillé pour une raison obscure (mais ceque faisait Mr Stewart au milieu de la nuit nous importe peu),apercevait à travers la vitre illuminée, un homme et une femmedébattant.
La femme avait un physique déplaisant, des mains qui avaientl'habitude de se frotter en permanence, et une lueur avide et froidequi redressait les poils de dos.
L'homme avait des traits plutôt effacés, pourtant, on leremarquait tout de suite. Il avait une présence lumineuse, une auraqui dégageait de lui. C'était quelqu'un de spécial, malgré l'airde naïve discrétion qu'il arborait en ce moment reculé desténèbres.
Vous l'aurez sûrement compris, ils étaient mari et femme.
D'ailleurs, au doigt de Monsieur et Madame, on trouvait une bagueen or (même si on la voyait moins sur le doigt de Monsieur, mais MrStewart avait de bons yeux).
Tout le monde savait qu'elle l'avait choisi comme mari par pureavarice, et que lui s'était laissé dominer par la natureenvahissante de sa compagne.
Mr Stewart, qui avait de bonnes oreilles, entendait chaque mot dela scène qui se déroulait sous ses yeux.
Notre homme (le mari, pas le voisin) semblait inquiet et douteux,et s'exprimait d'une voix grêle et fluette :
"Mais, ça ne pourrait pas être dangereux ?"
"Mais non, voyons, ne dit pas de bêtises ! C'est tout cequ'il y a de plus sûr."
Elle s'exprimait dune voix rêche, désagréable, ou perçait unepointe d'agacement, qui se lisait sur son visage de façonexceptionnelle, déformant ses traits.
Comme Monsieur semblait hésiter encore, Madame se radoucit, mitdu miel dans sa voix :
"Mon amour, tu ne peux rien me refuser, n'est-ce pas ?"
Elle prit un air peiné très exagéré.
Monsieur, embarrassé :
"Tu vas me faire fondre."
Cette phrase, pourtant affective, était dite avec crainte. Mais,après une brève hésitation, il ajouta :
"Je vais le faire. Rien que pour toi."
Cette fois, Madame parut vraiment heureuse :
"Tu es en or !"
Un son chevrotant et étrange sortit des lèvres du mari, et MrStewart comprit qu'il riait.
"A...allons-y, alors, rajouta-t-il."
Au fond de la pièce (décorée abondamment), se trouvait uneétrange porte en métal. Le couple se dirigea droit vers elle (aussidroit cependant que le permettait les nombreux fauteuils disposésici).
Mr Stewart eut un mauvais pressentiment en voyant le boitier, luiaussi en métal.
Lorsque la porte s'entrouvrit, laissant passer le mari, Mr Stewartvit une obscurité impénétrable.
La femme resta dehors.
Elle approcha le boitier et, toujours heureuse, dit d'une voix oùpointait l'excitation :
"Tu es prêt, mon chou ?"
Avant d'entendre la réponse, elle actionna un levier sur leboitier.
Aussitôt, un bruit de moteur acheva le silence. Mr Stewartn'entendit tout d'abord rien d'autre (si l'on ne prend pas en compteles halètements compulsifs et dérangeants de Madame), puis un cridéchirant retentit dans la nuit. C'était un cri faible, qui neréveilla personne, mais un cri grêle, où transparaissait unesouffrance extrême, un cri qui bouleversa Mr Stewart au plus profondde son âme. Ce fut un long cri, qui résonna longtemps dans lesténèbres, qui s'affaiblissait à mesure que le temps passait, puisqui s'arrêta aussi soudainement qu'il avait commencé. Le moteur,imperturbable, continua son grondement sourd et terrible.
Enfin, le silence retomba, lourde et glaciale chape de plomb.
Mais il ne dura pas : Madame, désormais empreinte de la folie laplus furieuse, se précipita vers la porte.
"Enfin ! criait-elle. Enfin !"
Mr Stewart s'attendait à ce qu'il allait trouver dans la salleobscure, mais il fut tout de même choqué.
Plus de Monsieur.
Juste de l'or. Fondu.
Monsieur, de son vivant, était vraiment un mari en or.
Et voilà ! J'espère que cette nouvelle (un peu horrible) vousaura plu ! Merci à mon frère de m'avoir donné l'idée de cettenouvelle !
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