2 - Première mission
"Les araignées, les vipères, les méduses, la trahison, le mensonge, l'injustice et le crime ont aussi leur beauté. Lucifer était beau."
Jean d'Ormesson
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Sebastian fixait son téléphone.
Méchamment.
Depuis deux jours.
« Je vous contacterai », qu'il avait dit.
Et Sebastian n'en pouvait plus d'attendre. Deux jours, c'était long, beaucoup, beaucoup trop long, quand on avait gravé sur les paupières le visage de Lucifer.
Il fermait les yeux, et il pensait à lui.
Il nettoyait son arme, et il pensait à lui.
À lui.
Tout le temps.
À en devenir complètement dingue.
Est-ce qu'il faisait cet effet à tous ceux qui croisaient son regard ? Où Moran était-il une cible particulière ?
Cette pensée le fit sourire. D'habitude, il était le chasseur. Et pourtant, être la proie de cet homme-là ne le dérangerait pas...
Son portable vibra, l'arrachant brusquement à ses délires sulfureux.
Un SMS, d'un numéro inconnu.
Un seul mot.
« Maintenant »
Sebastian attrapa son fusil, et descendit les escaliers. Il était prêt. Depuis deux jours. Il avait l'impression d'avoir été prêt toute sa vie.
Il énuméra lentement, en pensée, les armes qu'il portait sur lui, pour vérifier qu'il n'en manquait aucune.
Bien entendu, ce n'était pas le cas.
Une voiture attendait sur le perron, des plus communes. La porte était ouverte.
Il ne se posa pas de question, et grimpa.
Est-ce qu'il s'était attendu à le voir dedans ? En tout cas, le vide le déçu.
-Où est-il ? Lança-t-il au chauffeur.
-Qui ?
-Lucifer.
-Ah, lui. Vous avez raison de ne pas prononcer son nom, vous savez. Personne ne le dit jamais. Personne qui tienne à sa vie, en tout cas.
-Où est-il ?
-Comment voulez-vous que je le sache ?
Sebastian opta pour un angle d'attaque différent.
-Où m'emmenez-vous ?
-Vous verrez.
-Que devrais-je faire ?
-Suivre les instructions.
-Quelles instru...
À cet instant, son portable vibra. Il le sortit de sa poche pour y jeter un coup d'œil.
« Arrêtez de poser des questions ».
Il sourit, et s'assit sur sa banquette, bien sagement.
Moriarty n'était pas là, mais il l'observait. Il lui consacrait de l'attention. Ça lui suffisait.
Moran se rendait bien compte que cette histoire tournait à l'obsession, à la fascination presque morbide, et très certainement malsaine.
Mais il s'en foutait complètement.
S'il y avait jamais eut un homme impulsif dans l'univers, c'était lui. Quelqu'un qui n'avait jamais pris la peine de mener une réflexion jusqu'au bout de toute sa vie. Il ne s'embarrassait pas de chose comme ça. Il agissait. C'est tout. Il suivait son instinct, il se fiait entièrement, totalement, sans la moindre retenue, à lui.
C'est ce qui faisait de lui un si bon chasseur. Et un si bon tueur à gage. Il ne s'embarrassait pas non plus de morale, de regret, ou de réflexion sur lui-même, son futur, son passé, ses perspectives... Cet homme vivait dans un présent éternel.
Et, en toute confidence, je peux vous assurer que Moriarty l'avait parfaitement compris.
La voiture s'arrêta, et la porte s'ouvrit d'elle-même.
« Tuez l'homme à la cravate rouge. »
C'était comme s'il entendait sa voix murmurer à son oreille. Il voulait plaire à Moriarty. Il voulait l'impressionner.
L'homme à la cravate rouge, qui qu'il soit, venait de vivre sa dernière heure.
Dissimulé par l'ombre d'un porche, Moran détailla les environs.
Il se trouvait devant l'entrée d'un imposant -et prétentieux- bâtiment, où affluait sans discontinuer ladys et gentlemen bien habillés. Il fallait qu'il pénètre autrement dans les lieux.
Il fit le tour du bâtiment, jusqu'à tomber sur l'entrée de service.
Il ne pourrait jamais infiltrer les lieux avec son fusil sur l'épaule.
Il jeta un coup d'œil à son arme, cet instrument unique au monde, qu'il avait eu tant de mal à obtenir.
Et l'abandonna sans un remord dans une benne à ordure.
Il avança au milieu de ceux qui s'affairaient, marchant du pas décidé de celui qui savait où il allait.
Il bouscula un homme, et lui subtilisa son nœud papillon. Un autre vit disparaître les lunettes qu'il avait coincées dans sa poche, et un autre, encore, chercha pendant une bonne demi-heure la veste de smoking qu'il était persuadé d'avoir placé sur cette chaise...
Se fondre dans son environnement.
La première étape de toute chasse. Et Moran, il fallait l'avouer, l'accomplissait avec une aisance incroyable. Il sentait les lieux. Que ce soit la brousse d'Afrique, les quartiers mal famés de Londres où le gratin de la société, ça ne faisait, pour lui, aucune différence. Où qu'il soit, il faisait partit des meubles.
Ça ne tenait pas vraiment à son physique, d'ailleurs. Je suppose que vous attendez tous, impatiemment, que je vous le décrive. Oui, oui, ne fait pas l'innoncent-e.
Eh bien, oui, Sebastian Moran était beau. Bien bâtit, mais plutôt mince. Extrêmement agile. Une montagne de muscle ne servait à rien si on ne savait pas jouer de son corps. Ce qu'il savait, vous vous en doutez bien, parfaitement faire. En fait, Moran était, quand il le désirait, beau à tomber par terre. Et s'en foutait royalement. On ne le remarquait que quand il le voulait bien.
Et vous vous doutez qu'à cet instant précis, il faisait quasiment partit des meubles.
Je dis quasiment, parce que, par quelque effet étrange, on eut sûrement plus fait attention à un vase où un guéridon qu'à cette ombre qui se coulait sans bruit entre les invités.
Les yeux de Moran scannait littéralement la foule, passant sur les visages sans les voir, les habits sans les distinguer, jusqu'à...
Un point rouge.
Une cible.
Moran sourit.
Il avait repéré sa proie.
L'homme pouvait aller sur la lune, qu'il aurait collé à ses basques.
Maintenant, venait sa partie préférée.
La traque.
À commencer par le choix de la mort.
Il jeta un rapide coup d'œil à son portable, au cas -bien improbable- ou un SMS lui aurait échappé. Mais non.
Apparemment, il avait le choix.
Il fronça les sourcils. Ça n'allait pas. Il pouvait tuer cet homme d'une bonne centaine de manières différentes. Mais l'effet ne serait pas le même. Il devait savoir ce que voulait Moriarty.
Il sortit son portable et pianota sur les touches sans même les regarder.
« Pourquoi voulez-vous le tuer ? »
La réponse ne se fit pas attendre.
« Vous me décevez ».
Sebastian sentit tous le sang partir de son visage. Son cœur se contracta. C'était la chose la plus douloureuse qu'il n'ait jamais entendue de toutes son existence.
Et puis, soudain, il comprit la méprise.
Enfin, il espéra, de tout son être, qu'il avait effectivement compris la méprise.
« Je me fiche de savoir qui c'est » écrit-il à toute vitesse « je veux savoir ce que vous voulez faire de sa mort. Ça change tout. »
Le message fut envoyé avant même d'avoir été relu.
La réponse ne vint pas.
De l'autre côté du message, Moriarty fixait, songeur, l'écran de son téléphone.
Il avait mal compris. Ça ne lui était jamais arrivé auparavant. Il avait fait une erreur. Une erreur qu'il aurait facilement pu éviter. Il avait supposé, l'espace d'un instant, que ce Moran était semblable à tous les autres, et qu'il avait des regrets. Un léger sourire étira ses lèvres. Cet individu se montrait particulièrement intéressant.
« Confidentiel », répondit-il.
Il put presque entendre le soupir de soulagement du chasseur. Il savait l'emprise qu'il avait sur lui. Et il comptait bien en profiter.
Mais, pour la deuxième fois en moins d'une heure, Sebastian Moran le surpris à nouveau.
« Fiez-vous à moi. Je suis votre bras. Votre instrument. Je ne peux pas vous trahir. Je veux avoir toutes les informations pour faire mon job correctement. Seul ça importe. »
« Et ne pas vous décevoir », avait faillit ajouter Moran, se retenant au dernier moment.
Moriarty calcula les risques. Les informations en jeu n'était pas des plus sensibles. Et, désormais, il était curieux. Il voulait savoir ce que Moran allait faire. Il sortait enfin de son ennui.
Un nouveau sourire étira ses lèvres, faisant frémir tous ceux qui l'entouraient.
« Il ne m'a pas payé »
Le chasseur ne répondit pas. Ils savaient tous les deux qu'il obéirait, et il détestait perdre son temps à répéter l'évidence. Ce que, silencieusement, Moriarty apprécia.
Aussitôt, tous les sens de Moran se mirent en branle.
J'ai dit plus tôt qu'il ne réfléchissait jamais. Ce n'est pas tout à fait vrai. Lorsqu'il s'agissait d'abattre une proie, quelle qu'elle soit, il faisait preuve d'une telle ingéniosité que d'autres aurait qualifié ça de machiavélisme s'il y avait eut, derrière, une véritable volonté de nuire. Mais tout ce qui lui importait, c'était de mener sa chasse à bien. Tuer, certes. Mais tuer de la bonne façon, tuer parfaitement.
Il fallait donc que l'homme à la cravate rouge meurt de manière horrible, sans que la plèbe ne puisse soupçonner la moindre intervention extérieur, mais que tous ceux qui faisaient affaire avec Moriarty sachent ce dont il était question. Un exemple.
Il sourit en songeant à sa discussion avec le chauffeur, tout à l'heure. Il avait parlé de Lucifer. Et l'autre avait tout de suite compris de qui il était question.
Il laissa son instinct le guider le long des couloirs vides.
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