Le plan de Viola était simple : attendre que Bethany soit seule et aller lui parler.

Mais seulement voilà : c'était plus facile à dire qu'à faire. En effet, Bethany ne se déplaçait quasiment jamais seule. Soit elle était entourée de son groupe d'amies soit elle était dans les bras de Mark, son petit-ami. Plusieurs fois d'ailleurs, Viola s'était imaginée à la place de Mark...

Ainsi, après les cours, elle se mit à sa recherche. Elle ne mit pas longtemps à la trouver. Elle était devant son casier, au milieu de ses amies, cheerleaders elles aussi pour la plupart.

Viola ouvrit son propre casier, lequel n'était pas très loin de celui de Bethany et se mit à l'observer en douce.

Bethany Scofield était comme un aimant, elle vous attirait à elle sans que vous ne vous en rendiez compte et très vite vous finissiez par ne plus pouvoir vous passer d'elle. En plus de sa beauté extraterrestre, elle avait ce je-ne-sais-quoi qui la rendait particulière et originale, même quand elle semblait se comporter exactement comme les autres. Et comme si ce n'était pas suffisant, elle était la gentillesse incarnée, ce qui était plutôt surprenant quand on voyait les filles avec lesquelles elle trainait.

C'était d'ailleurs ce détail qui avait marqué Viola la première fois qu'elle l'avait rencontrée...

*

Viola venait à peine d'intégrer Von High, ayant quittée quelques mois plus tôt Summer End, l'école pour filles située au sud-est du pays, à la campagne.

Au détour d'un couloir, Viola, les bras chargés de cahiers et de livres (elle avait oublié son sac), avait percuté quelqu'un qu'elle n'avait pas remarqué, ses yeux étant fixés dans la direction opposée, sur un Ymir qu'elle ne connaissait pas encore à ce moment-là.

–Oh, je suis vraiment désolée, je ne t'avais pas vue, avait dit une voix douce.

Viola, qui s'était déjà baissée pour ramasser ses affaires, avait relevé la tête.

Son champ de vision avait été bouleversé par des yeux d'un bleu pur, cristallin, des cheveux d'un blond éclatant et des lèvres qui suscitaient en vous une faim que vous ne saviez même pas que vous aviez.

Pendant un instant, Viola ne savait même plus où elle était, ni qui elle était.

–Ça va ?

–Euh... oui, avait répondu Viola, sortant de sa rêverie.

La fille s'était baissée à son tour pour l'aider à prendre ses affaires.

–Tu es nouvelle ? Ah, je vois que tu as toi aussi M. Sora. Tu es en quelle seconde ?

–Se-seconde A, avait bredouillé Viola en se relevant.

–Dommage, avait dit la fille. Je suis en seconde B.

Elle s'était mise debout également et avait tendu un stylo à Viola, laquelle l'avait pris sans quitter la fille des yeux.

–Moi c'est Bethany, mais tu peux m'appeler Bethy. Et toi ?

–Viola...

–Viola ? Quel beau prénom ! Il me fait penser à une fleur, avait dit la fille en souriant.

–M-merci, avait marmonné Viola en rougissant, le regard soudain fuyant.

Un silence s'était installé entre elles. Pour Viola, il avait semblé durer une éternité.

–Eh bien..., à un de ces jours, Viola, avait dit Bethany avec un sourire.

–À un de ces jours, Bethany..., avait murmuré Viola en la regardant s'éloigner.

*

Après plusieurs minutes d'attente, l'occasion se présenta enfin.

Alors que Bethany et ses amies s'apprêtaient à sortir du bâtiment, elle leur dit soudain de partir devant, qu'elle les rejoindrait plus tard.

–Je crois que j'ai oublié mon téléphone en classe, l'entendit dire Viola. Non, ne vous inquiétez pas, on se voit tout à l'heure !

Sur ce, elle se retourna et prit la direction opposée. Viola enfonça davantage sa tête dans son casier pour éviter de se faire remarquer. Après son passage, elle lui emboita le pas.

Quand elle arriva devant la salle de classe, elle trouva Bethany occupée à chercher dans tous les coins ce qu'elle semblait avoir perdu.

Viola attendit quelques instants et en profita pour l'admirer.

–Bethy ?

La concernée se retourna :

–Oh, salut ! Viola, c'est ça ?

Ravi qu'elle se souvînt de son prénom, Viola lui sourit :

–Oui, c'est ça, dit-elle. Tu as perdu quelque chose ?

–Oui j'ai oublié mon por- oh ! Le voilà !

D'un geste triomphant, elle brandit l'appareil qui apparemment se trouvait dans un coin du casier de son table-banc.

–Je le laisse toujours là durant les cours, expliqua-t-elle. En mode silencieux, bien sûr, ajouta-t-elle avec un petit rire.

Elle rangea le téléphone dans sa poche.

–Mais tout à l'heure, avec les filles on discutait et j'étais tellement absorbée par la conversation que je l'ai oublié, dit-elle en levant les yeux au ciel et en s'avançant vers Viola. Mais assez parlé de moi, tu vas bien ? Qu'est-ce qui t'emmène ici ? Toi aussi tu as oublié quelque chose ? Ou peut-être que tu attends un mec ? ajouta-t-elle avec un sourire en coin.

Viola la dévisagea sans rien dire. Son cerveau s'était comme mis en mode veille avec une seule phrase qui se répétait en boucle : je t'aime... je t'aime... je t'aime...

–Je...

Les mots se bloquaient dans sa gorge.

–Je...

–Oui ? l'encouragea Bethany.

Viola déglutit. Puis, elle prit une grande inspiration :

–Je t'aime, Bethany.

Pendant plusieurs secondes, son interlocutrice l'observa sans comprendre.

–Tu... m'aimes ? Oh ! Tu veux qu'on soit amies, c'est ça ?

–Oui, mais...

–Ah d'accord, dit Bethany visiblement soulagée. Avec plai-

–Je veux être plus que ton amie, la coupa Viola.

La frustration l'enveloppa tel un serpent qui enlace sa victime. Elle savait ce qu'elle devait dire, mais elle ne parvenait pas à rassembler le courage nécessaire pour le faire. Dans son esprit se dressait un monstre aux multiples visages qui avait tantôt l'apparence de sa mère, tantôt celle de leur curé. Et tous les deux lui criaient la même chose :

UNE FILLE NE DOIT PAS SORTIR AVEC UNE AUTRE FILLE ! C'EST CONTRE-NATURE ! SI TU LE FAIS, TU IRAS EN ENFER !

Viola ferma les yeux. Au prix d'un grand effort, elle parvint à faire taire ces voix qui l'assaillaient. Lorsqu'elle les rouvrit, elle vit que Bethany la dévisageait d'un air inquiet.

Réalisant qu'elle n'arriverait finalement pas à faire sortir les mots de sa bouche, elle choisit une autre option. La seule que Bethany comprendrait indubitablement.

Elle se jeta sur elle et l'embrassa.