En fuite
« - Alors, M. Richard, lança l'homme menaçant, vous nous invitez à dîner ce soir ? Avec ma femme et mon fils, bien entendu ?
- Entendu, Monsieur, répondit Richard agenouillé devant lui et la tête en sang.
- Il vous faudra prévoir beaucoup, ricana l'homme, Car je tiens à ce que mes camarades soient rassasiés.
- D'accord, Monsieur.
- Mais surtout, j'espère trouver chez vous l'argent qui nous revient...
- Oui, Monsieur.
- ...Ou bien c'est votre fille qui paiera. »
En entendant cela, Richard préféra se taire et hocha simplement la tête. Son bourreau, vêtu d'un long manteau noir et d'un très large chapeau, ordonna à ses hommes de le détacher. Cela fait, le chef sourit, ses dents métallisées étincelèrent, et acheva sa menace : « À ce soir, M. Richard ». Puis il partit avec ses hommes. Ces derniers cachaient leur tête sous une cagoule noire, arborant un crâne dessiné à la peinture blanche.
Richard se releva, réajusta sa chemise dans son pantalon et épousseta ses épaisses chaussures, puis sortit à son tour de la grange. Les tôles de la vieille bâtisse en métaux rouillés tenaient à peine aux clous, tandis que les poutres se tordaient sous le poids du temps.
La poussière remuée par les voitures des mafieux était la seule trace restante de leur passage.
Tout s'était bien assombri depuis que Richard était entré dans la grange, il y a de cela une heure. En effet, le soleil rougeâtre se couchait au loin, derrière la plaine rocailleuse et interminablement grise.
C'est ainsi qu'il en était depuis que les rayons du Soleil ne perçaient plus assez le ciel, laissant la Terre mourir, il y a de cela cent ans. En cette époque de pauvreté et de désespoir, les États sont tous tombés, les frontières ont été balayées, les Codes brûlés, les alliances perdues et la Foi abandonnée depuis longtemps. Seule une loi subsiste encore, celle fondamentale de la Nature, la loi du plus fort. Chacun mène sa propre survie en tentant de cohabiter avec les autres. Ce qui laisse libre cours à la débauche et à la délinquance.
Un siècle auparavant, lorsque le Soleil s'est éloigné et que la poussière a remplacé les nuages, des démons sont apparus, proliférant si vite dans l'ombre qu'ils ont rapidement dominé le ciel. Les avions furent attaqués, les fusées détournées, plus rien ne traversait les nuages et tout revenait à la terre, causant de graves dommages collatéraux à une époque déjà en crise.
Ainsi, après le cuisant échec de la Reconquête du Ciel, qui a réduit de moitié la population mondiale, l'être humain a rendu son pouvoir au ciel. Cependant, il a su conserver son territoire sur Terre et les créatures semblaient trouver de quoi se sustenter dans les ténèbres du ciel. Il arrive de les entendre hurler la nuit, à l'heure de la chasse. En conséquence, la Terre fut massivement exploitée, précipitant son épuisement, à l'origine de cette époque apocalyptique.
Ainsi, à ce jour, il n'y a pas de vaisseaux volants, pas même de montgolfières, et aucun contact avec l'extérieur de la planète, car les voyages aériens sont inenvisageables. Les technologies les plus avancées sont utilisées dans le domaine de la robotique et des machines rapides. D'autres technologies sont dédiées à l'extraction d'eau dans les profondeurs et autres resources, allant toujours plus loin dans la terre. Le noyau a récemment été approché.
La science est d'ailleurs la seule discipline encore respectée. Les ingénieurs se regroupent en communauté et tentent de guider les humains vers un avenir meilleur. Certains espèrent reconquérir le ciel, tandis que d'autres scientifiques travaillent plutôt sur une sédentarité totale.
Richard est un ingénieur talentueux qui partage les mêmes ambitions que ceux qui cherchent à améliorer le monde, tout en étant convaincu qu'il s'effondrera sur lui-même. Contre l'objectif d'une sédentarité totale, la plupart de ses travaux portent sur le ciel et ses créatures. En raison des dérives sectaires, il a préféré quitter sa communauté et poursuivre en solitaire.Dans son ermitage, il a découvert que son génie s'exprimait mieux et qu'il était bien plus efficace. Cependant, l'inventeur s'est rapidement retrouvé à court de ressources pour financer tous ses projets et nourrir sa fille en même temps. Pour tenter de remédier à cela, il a ouvert une entreprise de restauration de véhicules. Malheureusement, le magasin générait très peu de bénéfices. Comme leur maison, celui-ci était situé loin des villes. Bien qu'il soit près d'une route très empruntée, peu de gens s'y arrêtaient. Ainsi, l'argent récolté était à peine suffisant pour les nourrir tous les deux.
Richard avait désespérément besoin de concrétiser son idée rapidement afin de passer à la suivante. Il s'est donc tourné vers des vendeurs de matériel qui proposaient la livraison avant le paiement. C'est ainsi qu'il a rencontré cette bande de "Ferrailleurs", comme ils se faisaient appeler. Leur chef, dont le nom est inconnu, avait des contacts dans de nombreux endroits, ce qui lui permettait de se procurer toutes sortes de choses très rapidement. Richard a fait appel à eux plusieurs fois et, ne pouvant pas payer immédiatement, les Ferrailleurs ajoutaient les dépenses à sa note.
Finalement, l'heure de payer est arrivée et Richard a reçu le total de sa facture, incluant les intérêts. À la vue de tous ces zéros, rajoutés par les intérêts, le cœur de Richard a manqué de se rompre. Homme d'une cinquantaine d'années, il n'avait pas l'intention de mourir avant ses soixante-dix ans.
Il répondit aux ferrailleurs et leur demanda une semaine de délai. Cette semaine lui fut accordée, et le septième jour, Richard fut convoqué à l'endroit habituel de livraison de ses commandes. Cependant, il se présenta sans argent. En colère, les ferrailleurs lui infligèrent une préfiguration de ce qu'il allait subir s'il ne payait pas. Richard promit de fournir l'argent dans la soirée, mais pas avant. Il expliqua avoir vendu son garage et que l'acheteur le payait en plusieurs fois. Le dernier versement était prévu en fin d'après-midi. C'était un mensonge, mais par chance, les ferrailleurs le crurent. Ils ne lui assénèrent que quelques coups de poing, prétextant qu'il serait dommage de perdre un client pour une histoire de facture payée en retard.
Quant à sa fille, Marie, elle était son apprentie-mécanicienne âgée de dix-sept ans. Elle tenait le garage presque toute seule depuis que son père passait ses jours et ses nuits dans son laboratoire, travaillant sur un projet mystérieux. Un projet dont elle ignorait les véritables motivations. Elle savait simplement que si son père le menait à bien, ils pourraient quitter ce pays de pierres et de poussières. Les ferrailleurs menacèrent d'envoyer la jeune Marie dans l'un de leurs bordels, ou pire encore, de l'utiliser comme "chair à canon" contre un gang ennemi. Ces fameux sacrifiés servaient d'appâts dans les guerres entre mafias. S'ils n'étaient pas tués, ils étaient faits prisonniers pour subir la Torture du Survivant.
Convaincu de contrôler la situation, Richard avait préféré la laisser dans l'ignorance. C'est pourquoi Marie n'avait aucune idée des problèmes qui les menaçaient.
Richard monta dans sa voiture équipées sur deux roues énormes. Dans le rétroviseur, il rencontra son visage. Celui-ci était légèrement boursoufflé et bleu par endroit. L'homme passa une pommade sur ses plaies afin qu'elles dégonflent rapidement. L'ingénieur emprunta la route qui passait près de leur maison, et continuait un peu plus loin vers leur garage, puis encore au-delà.
Leur maison se composait d'une hutte ronde et bleue, à deux étages, et d'une cheminée électrique toujours allumée. Une partie d'un précipice longeait l'arrière de la maison. Il s'agissait d'un craquement de la terre, comme il y en avait tant d'autres ailleurs, au cœur des régions les plus sèches et inhabitées.
En freinant, la voiture souleva un épais nuage de poussières qui fit basculer les lanternes devant la porte. Après vérification des effets de la pommade, Richard couru vers le précipice et cria :« Marie ? Tu es en bas ? ». Sa voix résonna sur chaque parois et se perdit dans les ténèbres du gouffre. En réponse à ses échos, une guirlande jaune s'alluma, dévoilant le laboratoire secret. Sa fille apparu au milieu et fit signe de la main.
Elle lui ressemblait trait pour trait. Ils partageaient cette même couleur de cheveux auburn, et leurs yeux était d'un noir profond, que Marie avait plus intense encore. Enfin, son visage de jeune fille était parcouru de tâches de rousseurs, tout comme eut son père autrefois.« Tu as fermé le garage ? » demanda à nouveau le père et Marie lui répondit en levant le pouce. Aussitôt, il s'empressa de descendre l'échelle qui menait à la plateforme de l'ascenseur. En un rien de temps, il atteignit le fond du précipice. Encore secoué par les menaces des Ferrailleurs, et terrorisé à l'idée d'être attrapé avant le succès de son projet, il se montra devant elle fort pâle et chancelant à moitié.
« Qu'est-ce qui t'est arrivé ? » lui demanda-t-elle très alertée. « Heureusement qu'il me restait de la pommade, car si elle avait vu mes bosses, elle aurait été effrayée», pensa le père. Il lui répondit par un mensonge rapide pour la rassurer, puis demanda si elle avait bien descendu toutes leurs affaires. La jeune fille montra la pile d'objets derrière elle en disant que tout était là. Sur un chariot, leurs meubles s'emboîtaient les uns dans les autres, attachés de tous côtés, près d'une pile de valises et de sacs de différentes tailles. Elle avait passé la journée à tout descendre après avoir lu le mot de son père sur la table disant : « Descends tout ce que tu peux prendre dans le laboratoire ». Richard fut satisfait qu'elle ait compris ses paroles.
La jeune fille poursuivit avec excitation, : «- Alors, on part vraiment ?
- Oui. Plus rien ne nous retient ici, il est temps de changer d'horizon.
- Allons-y ! »
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