Yume, c'était cette ado que les adultes disaient être « en pleine crise », celle du genre à râler pour un rien, à réfugier ses oreilles dans un casque audio pour éviter d'avoir à sociabiliser, à sécher les cours et à rêver d'émancipation. Les mains en permanence dans les poches de son sweat délavé, le regard davantage tourné vers le bas que vers les personnes l'entourant et un visage inlassablement et imperturbablement neutre, son attitude n'incitait pas grand monde à lui adresser la parole, ni même à l'approcher. Cela lui convenait. Ses parents la taquinaient parfois, tantôt amusés tantôt inquiets. « Yume n'aime pas la nature humaine », disaient-ils. Ils n'avaient pas faux. Yume n'aimait pas énormément de gens. Elle aimait sa famille, et voilà tout.

Elle n'avait confiance en personne au lycée. La plupart du temps, elle s'asseyait quelque part pendant les pauses – sur un banc, au milieu d'un couloir, sur les marches des escaliers – et elle crayonnait dans son carnet à croquis. Seule. Les gens la pensaient timide, mais Yume était loin de l'être. Elle n'était ni spécialement discrète ni terrifiée à l'idée de se confronter aux autres. Quand on lui demandait pourquoi, dans ce cas, elle ne faisait jamais l'effort d'aller parler à ses camarades de classe, elle répondait d'un air nonchalant : « j'ai la flemme ». Et loin d'être un mensonge, cela résumait plutôt bien son état d'esprit.

Yume, outre sa famille, n'aimait qu'une chose : rêver. Regarder par la fenêtre en cours et espérer de tout son cœur qu'un jour elle pourrait partir, voyager loin de la Terre, loin de ce monde dans lequel elle étouffait. S'envoler dans le firmament au-dessus des nuages et de l'atmosphère, suivre la trajectoire des météores, flotter dans l'espace, dépasser le système solaire, aller loin, toujours plus loin, et nager dans le vide au-delà de la Voie Lactée. Depuis toute petite, elle voulait devenir astronaute, ce qui faisait bien rire ses camarades. « Tu es trop bête pour ce métier », lui disait-on. Et il était vrai que Yume n'avait pas les meilleurs résultats du monde en sciences – quoiqu'elle se débrouillait plutôt bien en astronomie –, mais c'était ce qui se rapprochait le plus de ce qu'elle voulait vraiment pour son avenir : s'éloigner le plus possible de la Terre, de ses habitants et des problèmes futiles que les humains s'entêtaient à se créer.

Arrivée au lycée et voyant sa moyenne de mathématiques dégringoler – tout comme ses autres matières, d'ailleurs –, Yume avait mis de côté ce rêve. Elle s'était alors contentée de rêver d'un voyage qu'elle savait illusoire. Un voyage au-delà de la galaxie. Loin de tout et loin du monde. Vers un endroit où elle pourrait être seule et enfin elle-même.

Et au fond d'elle, aussi stupide ce rêve pouvait-il paraître, elle n'avait cessé, depuis toute petite, d'espérer pouvoir un jour toucher les étoiles.

Elle aurait aimé n'être constituée que d'astres lumineux, de supernovas, de galaxies entières, d'anneaux de rochers, de satellites, de météorites dévastatrices ou de majestueuses planètes. Mais elle ne se sentait rien de tout cela, et c'était bien ce qui la chagrinait ; son regard était impassible mais son cœur était gros et rempli à ras-bord de sentiments contradictoires, de paradoxes et de pensées emmêlées. Il n'y avait de place pour rien d'autre. Yume n'était ni constellée d'étoiles ni rayonnante comme la lune ; Yume n'était faite que du noir, que du vide abyssal de l'Univers.