LA CLIENTE

Un couple d'âge mûr est assis sur un sofa. Leurs corps reposent confortablement sur des coussins en soie. Ils ont les traits très typés des Indiens du nord du début du siècle. La pièce est spacieuse et simplement meublé : un sofa, deux fauteuils, une petite bibliothèque, un comptoir avec une machine à boissons. Aucun tableau ni poster aux murs ; la fenêtre gigantesque recouverte d'un mince voile mauve, donne une vue imprenable sur un ciel jaune orangé sans nuage. 

Plus bas, des grands édifices modernes. Encore plus bas, des véhicules, des véhicules et encore des véhicules. Pas un seul piéton ne peut s'aventurer sous ce soleil tout puissant sans y risquer la mort.

« Professeur Akheeli, » s'exclame la femme en se levant du sofa. L'homme à ses côtés se met debout aussi. « Quel honneur de pouvoir enfin vous rencontrer. »

« Le plaisir est pour moi, » répond Tempéra en serrant respectivement la main du couple. Ils l'invitent à prendre place sur l'un des fauteuils.

« Est-ce votre première visite en Inde ? » interroge l'époux avec grand intérêt.

« J'ai déjà travaillé pour des clients indiens, mais ils ne vivaient pas à New Dehli, » répond l'interlocuteur en tortillant ses mains sur ses genoux. Ce genre de discussions l'a toujours mis mal à l'aise, et pas juste avec ses patients.

« New Dehli n'est plus que l'ombre d'elle-même à l'instar de nombreuses villes aujourd'hui, mais nous savons que vous n'êtes pas venu ici pour faire du tourisme. Qui l'est de nos jours ? » ajoute l'épouse en rigolant.

La femme a remarqué l'inconfort du scientifique et elle tente tant bien que mal de détendre l'atmosphère avec une dose d'humour. Cependant, Tempéra semble refuser l'invitation. Il se contente de cligner des yeux, le visage fermé.

« Que pensez-vous de la décoration dans le couloir ? » demande l'époux en se penchant vers sa femme pour pointer du doigt le corridor derrière le professeur.

Ce dernier se retourne dans un sursaut pour regarder par-dessus son épaule comme si la question l'avait tiré d'un rêve avant de répondre sans feindre le moindre intérêt :

« Originale. »

Puis, il ajoute immédiatement avec un air dédaigneux : « Je ne suis pas fans d'antiques. Notre monde moderne a bien trop à offrir. »

« Vous avez raison, professeur ! » s'exclame l'époux d'un ton qui reflète plus la politesse que l'acquiescement.

« Vous vous demandez peut-être pourquoi un couple comme nous avons fait appel à vos services ? » interroge la femme après un court silence.

« Je ne pose jamais cette question à mes clients. Moins j'en sais, mieux c'est. »

« Vraiment ? D'accord, mais nous souhaitons poser une condition : être présents pendant tout le déroulement. »

« Acceptée ! Madame, croyez-moi, le moins j'en sais, le mieux je m'en porte, » acquiesce sans hésitation le professeur.

« Bon, et bien, puisque les présentations sont terminées, nous pouvons passer à l'ouvrage, » affirme-t-il d'un frappement de mains.

Soudain, il bondit de son fauteuil pour aller serrer à nouveau la main du couple avec un petit rictus gêné, ensuite il se redirige immédiatement vers le corridor étrange d'où il a surgi. 

Tempéra traverse le passage odorant à toute allure en retenant sa respiration, le regard fixé droit sur l'encadrement bleu à l'autre bout du couloir. Il ouvre la porte et la ferme aussitôt derrière lui avant de rejoindre Prashant et l'équipe du laboratoire qui l'attendent postés exactement au même endroit où il les a laissés quelques minutes plus tôt.

« Eh bien, on peut commencer ! » s'exclame-t-il à bout de souffle, mais l'air triomphant.