LA JUSTICE HUMAINE

« Vous pouvez nous faire confiance. Votre justice c'est notre affaire ! »

Sarah rêvasse devant l'écran géant au-dessus d'elle. Elle porte le crâne rasé et une tunique noire métallique au col haut à l'identique que l'homme qui s'adresse à la nation sur grand écran. Le drapeau américain flotte en arrière-plan à l'instar des portes des citoyens. 

La jeune femme a la peau brune et les traits indescriptibles de nombreuses personnes de son âge. Elle devrait être fière, après tout c'est d'hommes et de femmes comme elle dont on parle : ceux qui tendent une justice de fer à ceux qui peuvent payer le prix.

« Hey, Sarah, on y va ! » Un jeune homme pose une main lourde et ferme sur son épaule. Il s'agit de Stephan, son frère jumeau. Même à leur âge, il a toujours le sourire espiègle de son enfance. Tant qu'il tiendra, elle tiendra elle aussi. Elle le suit sans un mot.

***

Les mains croisées derrière le dos, Stephan et Sarah se tiennent solennellement debout devant un grand bureau où est assis un homme d'une trentaine d'années. L'homme a les cheveux sombres, déjà grisonnants, un regard sévère et un air grave qui ne semble jamais le quitter. Il scrute sans un mot les deux jeunes gens qui évitent son regard en fixant le drapeau derrière lui. Soudain, quelqu'un frappe à la porte.

« Entrez Jeremy, » ordonne d'une voix ferme le trentenaire. Stephan et Sarah n'ont pas bronché.

Le jeune homme entre. Il ne semble pas surpris par la présence des deux autres jeunes gens qui lui donnent dos. On lui a annoncé qu'il allait travailler avec un frère et une sœur du nom Stephan et Sarah Xi Huang. 

La posture de la nouvelle recrue semble aussi fière que la leur. À leur instar, il porte lui aussi l'uniforme noir métallique à col haut et le crâne rasé. À la place de ses lunettes noires habituelles, il a maintenant une sorte de visière fumé fixée recouvrant ses yeux par ses oreilles. Il balaye Stephan et Sarah du regard très brièvement et s'étonne de l'exactitude avec laquelle leurs deux cœurs battent à l'unisson.

« Bonjour Mr Vaughen, » salue Jeremy.

« Avancez, » commande le trentenaire.

Jeremy s'exécute immédiatement pour se tenir au côté de la jeune femme. Il adopte la même posture que les deux agents.

« Vous savez que nous travaillons toujours en équipe de trois, six ou neuf en fonction des missions. » commence l'homme d'une trentaine d'années en se tournant vers le frère et la soeur pour s'adresser à eux en particulier. »

« Depuis le début de votre contrat il y a plus de six mois vous ne travaillez qu'à deux, » poursuit-il d'une voix sèche puis il enchaîne : « Vous faites de l'excellent travail, mais il nous faut compléter votre équipe. Il se trouve que Mr Jeremy Ridley qui vient tout juste de rejoindre nos forces sera un parfait équipier pour vous. »

Les trois jeunes gens restent silencieux et immobiles tandis que leur supérieur continue de s'adreser aux Xi-Huang :

« La nation compte sur vous trois. » Il leur lance un sourire narquois avant de s'exclamer : « Merci, vous pouvez disposer.

Les trois agents se retirent sans un mot. Une fois la porte fermée, Jeremy se tourne vers ses coéquipiers pour entamer la conversation quand Stephan le devance pour poursuivre son chemin en s'exclamant d'un ton sarcastique : « On ne change pas une équipe qui gagne ». Sarah s'arrête nette pour excuser d'un simple sourire le comportement de son frère.

« Il lui faudra un peu de temps pour se faire à l'idée. Moi c'est Sarah et lui c'est... »

« Stephan, je sais. Sarah et Stephan Xi Huang, » fait Jeremy en observant les traits du visage de la jeune femme.

Depuis quelques jours, il a appris à dissocier tout autrement le monde autour de lui, comme avant l'accident, mais différemment. Les formes, les couleurs, la température et les vibrations des corps vivants. Ce n'est pas la vue qu'on lui a rendue, mais la possibilité de voir et d'attraper les multiples opportunités qu'il traverse.

« On peut discuter en mangeant, » poursuit-il en concluant que ce visage semble l'un des plus beaux qu'il ne lui a jamais été donné de voir.

« Désolée, mais je mange en soirée pour pouvoir manger en famille, puis j'ai un rendez-vous aussi. Peut-être une autre fois, » répond-elle d'un sourire gêné en se demandant si le jeune homme a remarqué la manière étrange dont elle le regarde. Il lui faudra du temps pour s'habituer à ces yeux cachés qui ne semblent regarder nulle part. 

Elle s'imagine qu'il risque d'être vexé si elle commence les présentations en l'interrogeant sur ce qui lui est arrivé. Il fait sans aucun doute partie de cette minorité visible victime de nombreux préjudices. Elle ne voudrait pas donner l'impression à son tout nouveau coéquipier de paraître ignorante, curieuse ou mal-élevée.

« On se voit à l'entraînement alors, » fait-elle avant de s'éloigner.