— Cela fera bientôt seize ans, jour pour jour, que la descente aux enfers a commencé. Il y a seize ans, la famille royale gouvernait un Royaume paisible. La végétation était abondante, les animaux nombreux et aucun être humain n'était dans le besoin ou abandonné par la monarchie. 

... Il y avait assez de vivres pour nourrir tout le monde, assez d'espace pour loger tous les habitants et assez de richesses pour qu'aucun d'entre nous ne demeure dans la pauvreté. C'était un équilibre de paix. Cependant, un groupe malveillant s'est mis en place avec pour but de s'emparer du trône. Ces individus profitèrent de l'absence d'armée pour attaquer le château. 

... Les membres de la cour ne purent se défendre. Ils furent tous assassinés sans aucune pitié, en un rien de temps. L'équilibre du Royaume tout entier s'est brisé ce jour-là, ce qui nous mène actuellement vers le Chaos. Nous, habitants du monde souterrain, avons été abandonnés par les nouveaux gouverneurs, nous jugeant trop pauvres et n'ayant pas assez de ressources à leur apporter. 

... Mais ce n'est pas une mauvaise chose. En effet, nous sommes exemptés des impôts et des nouvelles lois qu'ils ont instaurées. Cependant, nous pâtissons tout de même de leur présence. Maintenant que l'équilibre du monde a été rompu, les catastrophes naturelles ne cessent de se multiplier, les peuples continuent de se révolter les uns après les autres. 

... Une guerre civile ne saurait tarder et des milliers de morts seraient à déplorer. Seuls les héritiers au trône possédaient la capacité de faire régner l'équilibre au sein d'Esméria. À présent que toutes les personnes qui détenaient du sang royal ont été éliminées, il n'y a plus aucun espoir pour éviter que le monde ne sombre dans le Chaos.

Cleena écoutait attentivement le professeur d'histoire raconter les événements qui avaient secoué le Royaume quelques années plus tôt. Elle enroula une mèche de ses cheveux autour de son doigt, une habitude qu'elle avait dès lors qu'elle était concentrée, comme si cela l'aidait à activer ses neurones. 

Elle était brune et possédait des yeux marron, comme l'ensemble de la population. De belles boucles tombaient sur ses épaules pour rejoindre sa taille. Elle avait une peau de porcelaine, car non endommagée par les rayons du soleil. 

Elle avait de grands yeux ainsi que des joues rondes qui faisaient que dès lors qu'elle souriait, elle ne voyait plus rien. Cependant, cela ne l'empêchait pas d'arborer ses plus grands sourires au quotidien. Ses lèvres pulpeuses et son nez fin étaient bien tracés, comme s'ils avaient été taillés dans la pierre par un artiste. Cleena était la définition même de la beauté.

L'histoire était la matière préférée de la jeune fille. Elle ne savait pas si c'était parce que ces cours étaient les plus intéressants ou parce qu'elle considérait le professeur comme son oncle. C'était sûrement un peu des deux. L'enseignant était le père de son ami d'enfance, Keenan, qui se trouvait actuellement assis sur la chaise à sa droite. 

Elle l'avait toujours connu, aussi loin que ses souvenirs lui permettaient de se rappeler. Leurs deux familles étaient très proches alors Cleena et Keenan avaient été élevés comme des frères et sœurs. Ils étaient devenus inséparables. 

C'était un garçon qui ressemblait énormément à son père. Il ne dérogeait pas à la règle et possédait des cheveux courts ainsi que des yeux tous les deux bruns. Il avait une peau légèrement hâlée malgré le fait qu'il n'avait jamais vu le soleil. Il avait la mâchoire carrée et les traits durs. 

Il dépassait Cleena d'une tête et demie et sa carrure imposante dissuadait quiconque de lui chercher des noises. Plus les années passaient, et plus il se rapprochait de la masse musculaire que détenait son père. Sa mère n'avait pas à craindre les malfaiteurs avec deux hommes pareils à la maison.

Le fait d'habiter dans le monde souterrain permettait aux deux enfants d'avoir des cours qui retraçaient l'histoire réelle du Royaume et non pas des cours dictés par le nouveau dirigeant pour que la population le voie comme le sauveur de l'humanité et l'idolâtre. 

Cependant, le peuple à la surface n'était pas dupe. Il savait que ce n'était que de la simple propagande. Les ravages qu'avait faits l'Empereur Ambros pour s'asseoir sur le trône et assouvir sa soif de pouvoir étaient encore frais dans la mémoire d'un grand nombre d'habitants. 

Mais à l'extérieur, les professeurs étaient tout de même obligés de raconter l'histoire que les nouveaux détenteurs de la couronne avaient rédigée, sinon ils étaient exécutés sur la place publique pour servir d'exemple.

À présent, les citoyens n'avaient pas le droit de diffamer l'Empereur, que ce soit par des paroles, des écrits ou des dessins caricaturaux, sous peine d'être décapité. Si les Esmériens passaient devant une statue ou une image de l'homme au pouvoir, ils devaient s'incliner pendant une dizaine de secondes, comme s'il s'agissait de l'Empereur en chair et en os, afin de montrer leur respect. 

Le peuple de la surface payait des taxes chaque mois pour le simple fait de vivre, qui s'ajoutaient à celles du logement, de la nourriture, des déplacements, et toutes les autres que le nouveau gouverneur avait pu inventer. L'ensemble des charges à payer était colossal et un grand nombre de personnes se retrouvaient ruinées, survivant au jour le jour. 

Si jamais quelqu'un n'avait pas l'argent pour s'acquitter des impôts, il était exécuté sur la place du village en guise d'exemple. Ambros n'était empereur que de nom. En réalité, ce n'était qu'un tyran sans foi ni loi dont l'avidité de pouvoir allait faire sombrer Esméria dans le Chaos.

Dans deux jours, c'était l'anniversaire de Cleena. Elle était née le lendemain de la rébellion qui avait attaqué le château. La jeune fille n'avait jamais eu de difficulté lors de son enfance. Son père était médecin et se déplaçait dans l'ensemble du monde souterrain pour soigner les souffrances de la population, parfois même à la surface, car il était renommé dans tout le Royaume. Elle n'avait jamais manqué de rien. 

De temps à autre, elle adorait l'accompagner durant ses consultations et elle apprenait énormément de choses. Il existait un nombre incalculable de maladies et de maux qui sévissaient chez les êtres humains. 

Les personnes aimaient aussi confier au docteur leurs problèmes quotidiens et il trouvait toujours les mots qu'il fallait pour les aider, en plus de trouver les traitements adéquats pour les guérir. 

Cleena portait une grande admiration pour son père et, plus tard, elle voulait être comme lui. Mais le médecin n'avait jamais accepté qu'elle l'accompagne lors d'une consultation à l'extérieur. Elle n'avait jamais compris pourquoi et trouvait ça injuste. Cependant, elle ne pouvait rien faire d'autre qu'obéir et rester sous terre.

Cleena avait un autre rêve que celui de devenir un docteur aussi doué que son père. Elle désirait un jour pouvoir admirer le ciel. Depuis sa naissance, la jeune fille n'avait jamais eu l'occasion de monter à la surface et découvrir le monde extérieur. 

Tout ce qu'elle voyait en levant la tête était ces voûtes de terre qui s'élevaient à des dizaines de mètres au-dessus d'eux. Il n'y avait ni jour ni nuit. 

La lumière était créée artificiellement et restait constante durant les vingt-quatre heures de la journée. La notion du temps était dure à avoir et les habitants avaient souvent des habitudes décalées les uns par rapport aux autres. 

Ils avaient instauré un système horaire basé sur celui de la surface, pour que tout le monde se calque sur lui, mais certains ne le respectaient pas. Les commerçants ouvraient donc quand ils voulaient leurs échoppes. Cependant, la majorité se conformait tout de même aux horaires prescrits par le gouverneur de la ville qui tentait de faire régner la paix et de régler les problèmes de la population du mieux qu'il le pouvait.

Il faisait toujours sombre à Spelunca. Cleena n'avait jamais vu la lumière du jour à proprement parler, celle qui éblouissait. Parfois, des lucioles s'installaient sur le plafond de terre, donnant l'impression d'un ciel étoilé. 

La jeune fille n'en avait jamais observé auparavant, mais il y avait des images dans les livres qu'elle lisait qui expliquaient la beauté du firmament dehors, ce qui agrandissait son envie de le voir dans la réalité. Elle s'était souvent demandée à quoi ressemblaient le jour et la nuit plus haut, car elle ne comprenait pas leur définition. 

Il était écrit que le jour, le ciel était d'un bleu cristallin, qu'il y avait des oiseaux qui y volaient, et que le Soleil le traversait. Le jour était déterminé par la lumière de cet astre céleste, mais elle n'avait jamais aperçu cette boule de feu incandescente qui se trouvait à des millions de kilomètres de la Terre. 

La jeune fille ne pouvait même pas imaginer un espace aussi grand. À la surface, la terre s'étendait à des kilomètres à la ronde et les êtres humains pouvaient observer l'horizon où le sol continuait de s'étendre au-delà. 

Dans le bas monde, tout était petit, les habitants pouvaient voir d'un bout à l'autre la ville en prenant un peu de hauteur. Il n'y avait pas plus d'une journée de marche pour traverser Spelunca tout entier. Quant à la nuit, le ciel devenait noir, mais de multiples points lumineux éclairaient la Terre en compagnie de la Lune, une autre boule brillante semblable au Soleil, dont la lueur était beaucoup plus douce.

Lorsqu'elle était enfant, Cleena s'était promis qu'elle allait s'échapper du monde souterrain pour aller vivre à la surface. Respirer de l'air pur, sentir la brise caresser son visage, voir le ciel bleu au-dessus de sa tête, elle en rêvait depuis qu'elle était toute petite. Elle comptait découvrir le monde extérieur, être médecin et soigner le mal dans tout le Royaume ainsi qu'admirer tous les paysages.

Le professeur finit son cours et les élèves sortirent de la salle de classe en vitesse. Bien que le père de Keenan était aimé de tous les étudiants, rien ne pouvait les retenir plus longtemps d'être en week-end. Les deux amis savaient pertinemment la chance qu'ils avaient de pouvoir étudier à l'école. 

Seuls les enfants de parents dont les revenus étaient suffisants pouvaient se permettre de les envoyer s'instruire dans un établissement scolaire. S'ils étaient pauvres, ils gardaient leur progéniture afin de les aider dans leurs commerces, et donc avoir une main-d'œuvre gratuite supplémentaire. Les métiers des parents de Cleena et Keenan leur permettaient à tous les deux d'aller à l'école sans difficulté.

Cleena attendit patiemment que Keenan finisse de ranger ses affaires pour rentrer. Ohtar, le père de l'ami d'enfance de la jeune fille, avait encore à faire dans l'établissement, comme à son habitude. Cependant, le père de Cleena travaillait beaucoup plus tard que celui de son camarade de classe. C'était pour cette raison que les deux adolescents allaient souvent chez Keenan après les cours pour faire leurs devoirs ensemble. 

Ils passaient le temps jusqu'au retour du médecin, puisqu'ils étaient voisins depuis toujours. Keenan salua son père puis les deux amis sortirent de l'école pour regagner le foyer du jeune garçon.

Les ruelles étaient étroites et les maisons hautes, ce qui donnait l'impression d'être au fond d'un gouffre. Heureusement que l'éclairage artificiel était efficace sinon ils devraient constamment marcher dans la pénombre. Cependant, l'obscurité restait toujours présente. 

Les habitants du bas monde ne pouvaient pas distinguer les dessins que formait la voûte au-dessus d'eux. Le peu de personnes qui avait pu voir l'extérieur disait que cette lumière, présente de jour comme de nuit à Spelunca, ressemblait à l'éclairage nocturne dans les villages à la surface.

Cleena et Keenan tournèrent à plusieurs reprises à travers les petites ruelles, passant devant diverses échoppes : boulangerie, poissonnerie, maroquinerie... Il ne manquait de rien. Les marchands étaient l'un des rares métiers qui sortaient régulièrement, afin d'acheter des fruits et légumes ainsi que des céréales. 

En échange, les commerçants leur offraient des pierres ou des métaux précieux tels que l'or et les diamants que les miniers se chargeaient de trouver en creusant dans la roche. Ces travaux permettaient par la même occasion d'étendre la ville dont le nombre d'habitants ne cessait de croître. 

L'attractivité de la cité souterraine ne cessait de grandir depuis le coup d'État. En effet, les Esmériens fuyaient le nouveau gouvernement instauré par Ambros. Les miniers s'associaient à des architectes qui leur disaient où laisser des colonnes de terre afin que la voûte ne s'écrase pas sous son propre poids. Le paysage était unique en son genre. 

Les piliers qui assuraient la sécurité de la cité prenaient naissance sur le sol pour disparaître dans l'obscurité du plafond, rejoignant celui du monde extérieur.

Les deux amis d'enfance montèrent les marches d'un escalier interminable pour regagner la maison de Keenan. D'en haut, la vue était imprenable sur l'ensemble de la ville. À la fin de leur montée, tous deux furent essoufflés des efforts fournis, mais ils savaient que de succulents biscuits les attendaient pour le goûter, comme d'habitude. 

L'odeur qui s'échappait de la fenêtre ouverte de la cuisine ne fit qu'attiser leur appétit. 

Keenan entra le premier. Il céda le passage à Cleena qui le suivait de près pour pouvoir connaître au plus vite l'origine de cette délicieuse odeur. Les deux camarades savaient d'expérience que la mère de Keenan était excellente cuisinière. Ils n'avaient jamais mangé de meilleure cuisine que la sienne.

— Maman, je suis rentré ! annonça Keenan, retirant ses chaussures à l'entrée et déposant son sac à côté.

Cleena l'imita, puis ils se dirigèrent tous les deux vers la pièce d'où émanait la douce senteur avec précipitation pour assouvir leur appétit grandissant.

— Coucou, mon chéri. Salut, Cleena. Vous voulez des cookies ou des sablés ? proposa Laurelin, la mère de Keenan, en tendant deux assiettes remplies chacune des deux pâtisseries.

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Et voici le premier chapitre eheh ! J'espère qu'il vous a plu et que la suite vous plaira encore plus !