Tisane et effusions
La Reine se baissa immédiatement lorsqu'elle vit l'épouse du guerrier s'agenouiller devant elle, par réflexe.
— Restez debout, je vous en prie, je culpabilise déjà assez à l'idée de pouvoir vous causer des ennuis.
La souveraine prit le bras de la jeune femme pour l'aider à se relever. Enetari avait toujours détesté que les gens s'inclinent devant elle. Elle n'aimait pas que ses sujets la pensent supérieure à eux et qu'ils doivent montrer plus de respect que nécessaire envers sa personne. Chaque fois qu'un individu s'agenouillait à ses pieds, elle se sentait mal à l'aise.
Une fois debout face à elle, la Reine put détailler du regard l'épouse du guerrier. Elle avait un profil ordinaire. Elle venait d'être brusquement tirée de son sommeil. Ses cheveux bruns attachés en une queue de cheval étaient emmêlés et des mèches rebelles frisottaient autour de son visage. Ses yeux marrons étaient encore embués par la fatigue. Elle avait une peau de porcelaine, digne d'une habitante à la cour, contrairement à son mari.
Elle portait une robe de chambre simple et sombre. Elle devait faire deux têtes de moins que son époux, ce qui rendait ce couple unique en son genre. Il était évident qu'elle n'attendait pas de visiteurs. Elle avait une simple alliance en argent au niveau de son annulaire gauche qu'elle s'amusait à tourner pour diriger son stress vers quelque chose. Une mine inquiète déformait à présent ses traits.
— De quels ennuis parlez-vous ? demanda la jeune femme, quelque peu déboussolée.
— Je vais tout t'expliquer, Laurelin, déclara Ohtar. Asseyons-nous autour d'une tasse de thé.
Le couple amena la Reine dans la cuisine où se trouvait la table à manger. Enetari détailla la pièce du regard le temps que l'épouse d'Ohtar prépare de l'eau chaude pour servir le thé. Il y avait une cheminée où un feu avait l'air continuellement allumé. Il permettait de réchauffer la maison durant les froides nuits comme c'était le cas aujourd'hui.
Il y avait un chaudron qui était suspendu au-dessus et la Reine se demanda si un plat n'était pas en train de mijoter pour le déjeuner au vu de l'odeur qu'il en dégageait. Laurelin plaça une petite casserole à côté du gros chaudron afin de faire chauffer l'eau.
Enetari était assise devant une table en bois qui pouvait accueillir quatre personnes, d'après le nombre de chaises disposées autour. Le matériau était aussi vieux que celui de la porte et il ne serait pas étonnant que le meuble ait été aménagé en même temps que la construction de la maison.
Il y avait divers placards et étagères où se trouvaient de multiples ingrédients ainsi que des ustensiles de cuisine. Le sol était couvert de dalles grises et au plafond ressortaient des poutres de bois, ce qui donnait du charme à la demeure.
La pièce était éclairée grâce à des bougies disposées de façon stratégique par rapport au feu de cheminée pour que l'ensemble de la salle soit illuminée.
L'eau bouillit rapidement et Laurelin plaça quelques feuilles au fond de trois tasses faites en terre cuite où étaient dessinés de nombreux motifs. Elle versa le liquide chaud à l'intérieur. La femme du guerrier en tendit une à la Reine avec un sourire.
— Mon Dieu ! Vous avez les mains glacées ! Je vais aller vous chercher une couverture ! s'exclama Laurelin en frôlant les doigts de Sa Majesté.
Avant même que la souveraine ne puisse protester, Laurelin avait déjà disparu dans la pièce voisine, à la recherche de quelque chose pour réchauffer Enetari. La chaleur de la tasse entre ses mains lui procura un bien fou. Elle était frigorifiée, mais elle n'avait plus assez de force pour frissonner afin de tenter d'augmenter sa température interne.
La Reine s'empressa de porter le thé à sa bouche pour que la chaleur se propage à l'intérieur de l'ensemble de son corps. Elle ferma les yeux un instant pour savourer cette sensation. Enetari n'aurait jamais pensé qu'un jour elle serait aussi heureuse rien qu'en buvant une tasse de thé bien chaude.
Il fallait dire que jamais elle n'aurait pensé qu'un jour comme aujourd'hui puisse arriver. Laurelin réapparut avec une grosse couverture en laine qu'elle plaça aussitôt autour des épaules de la Reine qui la remercia à plusieurs reprises pour cette attention. Enetari se délecta de la chaleur nouvelle qui se diffusa à nouveau dans son corps.
— Vous êtes enceinte ! remarqua Laurelin, lorsqu'elle fut pour la première fois assez proche de la souveraine et dans une pièce assez lumineuse pour le voir.
— Oui, j'ai perdu les eaux aujourd'hui, répondit Enetari avec un sourire chaleureux.
— Ne devriez-vous pas être au château dans un moment aussi important que celui-ci ? Pourquoi êtes-vous venue jusqu'ici dans de telles conditions ? Ça peut être dangereux pour votre enfant.
Le visage de la Reine s'assombrit en repensant aux circonstances qui l'avaient amenée ici. Ce n'était pas par choix qu'elle s'était retrouvée dans cette maison. Si elle avait pu rester au palais, auprès de son époux, dans un moment comme celui-ci, elle l'aurait volontiers fait.
Elle aurait donné tout l'or du monde pour pouvoir être au château, en sécurité avec le Roi, au moment de son accouchement. Hélas, même avec tout cet or, il était impossible de changer le cours de l'histoire. Enetari était destinée à donner naissance seule et loin de chez elle.
Ohtar fit signe à sa compagne de se taire et lui expliqua rapidement la situation. Il lui raconta l'attaque de la demeure royale, la façon dont ils avaient réussi à s'échapper, la mort du Roi et la raison de leur venue jusqu'ici. Plusieurs expressions traversèrent le visage de Laurelin, mais celle qui subsista le plus longtemps fut la surprise qui laissa ensuite place à une mine désolée et compatissante à l'égard de la Reine.
— Vous pouvez rester ici aussi longtemps que vous le souhaitez. Nous avons assez de nourriture et nous pouvons aménager un lit. Il ne faut pas que vous vous en alliez seule alors que vous êtes sur le point de donner la vie. Cela pourrait être risqué de vous aventurer dans la forêt en cette période. Votre enfant aura plus de chance de survivre à l'abri ici, au chaud et avec des vivres, plutôt que dehors dans le froid où la moindre maladie pourrait emporter votre nourrisson.
— Je m'en voudrais s'il vous arrivait quoi que ce soit par ma faute. Les rebelles sont certainement à ma poursuite, car tant que je serai en vie, je serai un obstacle à leur prise de pouvoir complète. Il suffirait qu'un seul citoyen m'aperçoive et qu'il me dénonce pour que la totalité du village soit rayée de la carte. Je ne peux pas me permettre cela. La sécurité de mon peuple a toujours été ma principale préoccupation.
— Je comprends votre ressenti, mais restez au moins le temps d'être sûre que votre enfant va bien. Vous ne devriez pas accoucher dans la nature, cela pourrait amener tout un tas d'infections. Deux jours ou trois, tout au plus. C'est moi qui m'en voudrais de vous laisser partir maintenant tout en sachant que vous êtes enceinte, frigorifiée et exténuée.
Laurelin sourit chaleureusement à la Reine, ce qui lui réchauffa le cœur. Ohtar avait de la chance d'avoir une épouse aussi généreuse et empathique. Enetari savait que la jeune femme ne se comportait pas de la sorte seulement parce qu'elle était sa souveraine, mais bien parce qu'elle avait un cœur pur.
Elle finit par accepter son offre. Il lui suffirait de rester deux jours enfermée dans cette maison pour que personne ne la voie, puis elle quitterait les lieux la nuit. De cette façon, il n'y avait aucune possibilité de mettre cette belle famille en danger.
Cela rassurait la Reine aussi d'être à l'abri et au chaud le temps d'accoucher de son enfant. De cette manière, elle plaçait toutes les chances de son côté pour qu'il naisse en bonne santé, respectant la dernière volonté de son défunt époux.
— Allez-vous reposer, Votre Majesté, vous semblez épuisée. Suivez-moi, je vais vous montrer la chambre d'amis.
Laurelin s'engagea dans l'escalier en bois qui menait à l'étage supérieur, suivie difficilement de la souveraine. Les marches grinçaient et Enetari tenta de faire le moins de bruit possible pour ne pas éveiller le nourrisson qui devait dormir au premier étage aussi. La femme du guerrier ouvrit la porte d'une chambre au fond du petit couloir.
— Vous pouvez dormir ici tout le temps que vous voudrez. Je vais vous amener des vêtements propres.
La jeune femme disparut et la Reine s'assit sur le bord du lit. Elle retira ses bottes et se massa les pieds un instant. Elle n'avait pas l'habitude de marcher autant. Ils étaient douloureux et elle était certaine que le lendemain, elle y trouverait des ampoules et des rougeurs. Laurelin réapparut avec un petit tas de vêtements dans les bras.
— Vous êtes plus mince que moi lorsque j'étais enceinte donc les habits seront sûrement un petit peu trop grands, mais ils sont propres. Il y a une salle d'eau en face de votre chambre, vous pouvez y aller pour vous rafraîchir le visage ou bien pour prendre un bain. Ne vous en faites pas pour l'eau, prenez tout ce dont vous avez besoin, faites comme chez vous, mettez-vous à l'aise.
— Je ne vous remercierai jamais assez pour votre accueil aussi chaleureux. Je vous en suis infiniment reconnaissante. Je tâcherai de vous rendre la pareille, même si cela doit prendre des années.
— Ne vous en faites pas pour cela, je suis heureuse de pouvoir vous aider.
Les pleurs d'un bébé se firent entendre, coupant court à la conversation. Laurelin souhaita une bonne nuit à Enetari, puis elle s'en alla pour s'occuper de son enfant.
La Reine prit la première robe qui se trouvait sur la pile de linge que lui avait ramené la jeune femme, puis elle se dirigea vers la salle d'eau pour faire une rapide toilette.
Si elle avait été au château, elle aurait volontiers pris un bain chaud, mais elle savait que l'eau était amenée à la sueur des habitants dans les villages. Elle ne devait pas abuser de la gentillesse de cette chaleureuse famille.
Elle entra dans une pièce où le parquet en bois laissait place à des dalles comme au rez-de-chaussée. Il y avait un grand tonneau qui faisait office de baignoire ainsi que plusieurs seaux remplis d'eau que Laurelin avait dû chercher au puits le plus proche de sa maison.
Enetari remarqua sur une petite étagère plusieurs morceaux de tissus ainsi que des carrés de savon. La Reine décida de simplement se rincer pour ce soir. Elle était bien trop fatiguée pour se faire une toilette complète.
Enetari se saisit d'un morceau de tissu puis versa la moitié d'un seau dans une autre bassine qu'elle plaça ensuite sur la table qui se trouvait sous un miroir. La souveraine se stoppa un instant devant son reflet. Elle avait une mine affreuse.
Les larmes qui avaient coulé sur ses joues avaient laissé des traînées salées, des cernes foncés entouraient l'ensemble de son dessous d'œil, les veines de ses yeux étaient rouges et ses cheveux étaient tout emmêlés.
Elle n'avait plus rien de la sublime Reine qu'elle était vingt-quatre heures plus tôt. De nouvelles larmes se formèrent au coin de ses yeux avant de tracer de nouveaux sillons sur ses joues. Cette journée avait été un cauchemar. Comment une journée pouvait-elle être aussi désastreuse ?
Enetari se laissa tomber au sol et libéra toutes les larmes qu'il lui restait. Qu'avait-elle fait pour énerver les Esprits de la sorte ? Tous ses proches étaient morts. Il ne restait plus qu'elle et l'enfant qui devait bientôt naître.
La Reine s'abandonna à la tristesse qui la ravageait et qu'elle avait retenue jusqu'au moment où elle serait seule. Ses sanglots semblaient provenir du plus profond de ses entrailles, comme si chacune de ses cellules pleurait elle aussi dans un concert chaotique. Elle s'estima chanceuse que les pleurs du nourrisson de Laurelin et d'Ohtar masquaient les siens.
Elle repensa aux cris qui lui avaient brisé les tympans et à l'odeur de la fumée qui lui avait piqué le nez. Au ressenti qu'elle avait eu lorsqu'elle était debout au-dessus des corps enterrés vivants des guerriers. Sans oublier la tristesse et la peur qui l'avaient envahies quand elle avait compris que son époux était mort.
Le cours du temps semblait s'être arrêté dans sa propre vie, mais continuait de défiler dans la réalité. Elle avait l'impression que sa vie s'était stoppée au moment même où elle avait compris que le Roi n'était plus. Enetari avait la sensation que son cœur lui avait été arraché. C'était si douloureux qu'elle avait du mal à respirer. Elle ne se sentait plus à sa place dans ce monde. Qu'allait-elle faire à présent, seule et sans son trône ?
« Fais attention au bébé ! Prends soin de lui, il doit vivre ! »
Ces paroles tournaient en boucle dans sa tête et la Reine s'arrêta de pleurer. Elle avait versé assez de larmes pour le reste de sa vie. Demain était un autre jour et elle avait une mission à accomplir : donner naissance à cet enfant, celui qui pourra sauver le Royaume.
Le Roi comptait sur elle, elle ne pouvait pas le décevoir, il fallait qu'elle se reprenne en main. Une force nouvelle s'empara de la jeune veuve et elle se promit de rester forte durant les événements qui allaient suivre. Peu importe ce qu'il se passerait, elle protégerait son descendant et surmonterait tous les obstacles, car c'était ce qu'on attendait d'elle.
La Reine se releva, imbiba le morceau de tissu avec l'eau froide, puis le passa délicatement sur son visage. Elle tenta d'effacer toutes les traces de sa tristesse. À la fin de sa toilette, seule sa fatigue restait présente. Elle avait déjà meilleure mine que quelques minutes plus tôt.
Enetari retira sa robe qui sentait la fumée et était recouverte de terre puis passa le tissu mouillé sur l'ensemble de son corps pour nettoyer rapidement sa peau. Un bain chaud aurait fait du bien à ses muscles endoloris qui avaient besoin de se détendre. Cependant, elle n'avait pas le droit de demander plus de confort à présent qu'elle dormait dans une maison qui n'était pas la sienne.
Après sa rapide toilette, elle enfila la tenue blanche que lui avait prêtée Laurelin. Elle était effectivement plus large que sa silhouette, mais cela ne la dérangea pas. Elle prit ses affaires sales et retourna à sa chambre.
Le bébé avait dû se rendormir lorsqu'elle se nettoyait, car elle n'avait pas remarqué le silence qui avait succédé à ses pleurs. La Reine s'allongea sur son lit, tâchant de penser au futur, et en l'occurrence, au lendemain, plutôt qu'au passé, soit cette journée catastrophique.
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