Fuir pour l'avenir du Royaume
La Reine et le guerrier étaient assis autour d'un feu qu'ils venaient tout juste d'allumer à l'aide de brindilles sèches. Enetari avait enfoncé la capuche de sa cape sur sa tête pour cacher sa chevelure blonde, signe de sa royauté, dans un royaume où tous les citoyens possédaient des cheveux bruns. Elle ne cessait de ressasser ces dernières heures.
Cette nuit avait été un cauchemar. Les cris de terreur et de douleur des domestiques qu'elle avait entendus en quittant le château résonnaient dans son esprit. Elle avait l'impression de les avoir abandonnés. Elle avait pris la fuite alors que ses sujets se sacrifiaient pour lui sauver la vie. Mais qu'aurait-elle pu faire hormis s'enfuir pour tenter de donner naissance à son enfant ?
Enetari espérait toujours voir son mari arriver, lui racontant de quelle façon extraordinaire il avait pu se sortir indemne de l'explosion, mais elle savait que ce n'était qu'un espoir vain. Ohtar avait raison : le Roi était mort. Il n'avait pas tenu sa dernière promesse, mais elle se devait de respecter sa dernière volonté. Elle devait protéger le bébé.
La Reine s'inquiétait énormément au sujet de l'enfant qu'elle portait en elle. Allait-il bien ? Naîtrait-il en bonne santé ? Serait-ce une fille ou un garçon ? Depuis sa perte des eaux, elle n'avait pas ressenti de contraction. Elle était terrifiée à l'idée que son bébé naisse mort-né. Si cela arrivait, elle ne s'en remettrait pas.
Elle avait tout juste la force de rester debout après la disparition de son époux pour pouvoir réaliser son devoir. Mais s'il s'avérait qu'elle était justement incapable de l'accomplir, de donner naissance au seul descendant que son mari pouvait avoir, elle s'effondrerait.
À présent, la Reine et le guerrier étaient loin du château, profondément enfoncés dans la forêt, là où personne ne pourrait les retrouver. Ohtar avait couru près de deux heures après que l'explosion eut lieu. Ils n'avaient eu aucune nouvelle des rebelles ou des autres hommes de combats restés se battre pour les protéger.
Tout était si silencieux autour d'eux. Ils n'étaient que tous les deux au milieu de cette étendue d'arbres. Seul le bruit des oiseaux nocturnes brisait le silence de mort. Dans l'air froid de la nuit, la Reine frissonnait et se rapprocha un peu plus du feu, dans l'espoir d'en capter toute la chaleur.
Ses larmes avaient fini par sécher sur ses joues, laissant des traînées salées sur son visage. Ohtar, quant à lui, était plongé dans ses pensées, sûrement en train de réfléchir à ce qu'ils pourraient faire. Il fallait qu'ils trouvent un moyen de se cacher aussi longtemps que nécessaire, mais avec l'apparence de la souveraine, cela allait être compliqué.
En effet, Sa Majesté était la seule personne du Royaume à posséder des cheveux blonds ainsi que des yeux bleus. Elle était d'une beauté incomparable. Dans de meilleurs jours, elle ressemblait presque à une déesse.
Mais à l'heure actuelle, ses cheveux étaient emmêlés et ses traits tirés par le stress et la fatigue. Son teint tout comme sa robe blanche étaient tachés de suie à cause de l'incendie dont elle venait de réchapper. Ses jambes étaient fébriles et peinaient à supporter le poids de son corps.
Ohtar ne passait pas non plus inaperçu, dû à sa carrure. Il avait le profil type des protecteurs de la couronne. Il avait les cheveux bruns coupés courts et les yeux foncés. Il avait une peau hâlée en raison des nombreux entraînements qui se déroulaient à l'extérieur, qu'ils soient en hiver comme en été. Il avait toujours son armure noire sur le dos.
Si un homme quelconque la portait, il s'écroulerait sous son poids, mais Ohtar n'était pas n'importe qui. Il était si musclé qu'un ours prendrait la fuite en le voyant. Il avait des cicatrices sur l'ensemble de son corps qu'il avait gagné durant des combats avec ses frères d'armes. Chacune d'elles avait une histoire dont il était fier. Le duo se ferait donc remarquer à coup sûr, où qu'ils aillent.
— Qu'allons-nous faire à présent, Ohtar ? demanda la Reine à l'intention du guerrier.
— Je suis en train d'y réfléchir.
— N'avez-vous pas une femme et un enfant en bas âge qui vous attendent chez vous ? tenta Enetari pour faire la conversation, car elle commençait à trouver insupportable ce silence de mort.
— Si, mon épouse vit dans une petite maison un peu plus au nord avec notre fils de deux mois.
La conjointe d'Ohtar avait systématiquement refusé d'habiter au château. Elle voulait vivre par elle-même, sans aucune obligation de devoir être présentable tout le temps. Elle préférait rester en tenue simple toute la journée, loin des robes de satin et des bijoux aux multiples pierres serties. Elle avait toujours été une femme modeste qui se contentait des petits plaisirs de la vie et c'était ce qu'Ohtar aimait en elle.
Il avait rencontré un nombre incalculable de prétendantes qui tentaient de le séduire dans l'espoir d'avoir une place à la cour royale grâce à son statut de guerrier. Cela l'en avait tellement agacé qu'il avait fini par détester ce genre de personnes. Mais cela n'avait pas que des avantages.
En effet, lui devait résider au château, et sa compagne vivait à plusieurs heures de marche de là, alors ils se voyaient rarement. Chaque fois que l'homme de combats avait la permission de rentrer chez lui pour une journée, il ne pouvait s'empêcher de réaliser que son fils grandissait sans qu'il soit présent et cela ne le laissait pas indifférent. Il voudrait être là tous les jours pour pouvoir prendre soin de son enfant ainsi que de son épouse, mais il savait bien que c'était impossible. Cependant, en ce jour, il était reconnaissant de s'être marié avec elle, car grâce à cela, elle était en vie et en bonne santé avec leur fils.
— Vous pouvez aller les rejoindre si vous le souhaitez, je ne vous retiens pas, je me débrouillerai, ne vous en faites pas.
La Reine sourit à Ohtar, mais il n'était pas dupe. Il savait que la jeune femme était incapable de survivre seule en pleine forêt, enceinte, et bientôt avec un enfant à sa charge. Elle ne pourrait pas se battre si les rebelles retrouvaient sa trace et elle ne pourrait pas protéger son futur bébé. De plus, le souverain lui avait donné pour dernier ordre de défendre la Reine et sa progéniture et il ne comptait pas désobéir, quitte à devoir rester quelques mois loin de sa famille.
— Je resterai pour vous protéger, ma Reine, répondit loyalement le guerrier.
— Mais votre épouse va s'inquiéter en apprenant les événements qui se sont déroulés au château. Elle va vous croire mort !
Ohtar n'avait pas songé à ça. Sa femme allait se faire un sang d'encre et serait effondrée si elle imaginait son mari décédé. Il devait trouver un moyen pour l'avertir qu'il allait bien. Ohtar leva les yeux vers la Reine.
Il ne savait que faire : rester ici pour assurer la sécurité de Sa Majesté ou partir rejoindre sa compagne pour lui dire qu'il était vivant. Il était mitigé, et si la souveraine ne lui avait pas proposé de solution, il savait qu'il aurait laissé son épouse croire qu'il était mort.
Rien n'était plus important que de servir les possesseurs de la couronne. Il était né de cette famille de guerriers qui protégeait la royauté de génération en génération. Il avait appris à se battre avec différents types d'armes, mais aussi à mains nues. Il s'était musclé pour gagner en force. Il s'était entraîné afin de pouvoir élaborer des plans d'attaque à une vitesse inouïe. Et il avait surtout appris que rien ne comptait plus que de défendre la famille royale.
C'était son but ultime.
Il n'avait pas pu sauver le Roi, mais il comptait bien sauver la Reine quoiqu'il en coûte. Il serait prêt à donner sa vie, tout comme les onze autres hommes de combats l'avaient fait quelques heures auparavant.
— Nous pouvons passer chez elle afin de l'avertir de votre situation, c'est ce qu'il y a de plus judicieux. Ça ne doit pas être très loin d'ici, n'est-ce pas ? Je resterai pour manger un repas chaud et je vous quitterai pour ne pas vous causer plus de souci. Vous devez profiter de votre fils et de votre femme tant qu'ils sont encore en vie.
La Reine repensait aux moments heureux qu'elle avait pu partager avec son époux, le défunt Roi. Elle se remémora leur rencontre, lorsque celui qui allait devenir le nouveau souverain était venu lui rendre visite à l'occasion d'un rendez-vous arrangé par ses parents. Elle était fermée à l'idée de rencontrer son futur mari de cette façon, surtout que les quatre autres fois avaient été catastrophiques.
Elle était tombée sur des cas à part entre un homme qui ne savait définitivement pas ce qu'était un bain ou un autre qui se curait le nez à table. Bien qu'ils étaient de familles de riches marchands, les bonnes manières ne suivaient pas. Mais lorsque celui qui allait devenir Roi par mariage se présenta à elle, il réussit à vaincre tous les a priori qu'elle avait. Il sentait bon, il était éduqué et cultivé et il savait la faire rire.
Il avait aussi un physique avantageux, bien que commun. Il ne possédait pas de sang royal alors il avait les cheveux et les yeux bruns, tout comme la majorité de la population. Cependant, il avait de longs cils et un sourire à fossettes qui avait su conquérir l'héritière au trône. Il était distingué et ses manières dignes de la cour.
Dès ce jour-là, la Reine sut que c'était cet homme qu'elle épouserait et elle n'avait jamais regretté son choix. Ils avaient passé des moments inoubliables dans les jardins du château, ou bien dans leur chambre. Ils avaient joué, rigolé, pleuré ensemble. Ils avaient partagé chaque instant de leur vie et possédaient une relation fusionnelle, comme s'ils avaient été faits l'un pour l'autre.
Mais à présent, sa moitié lui avait été arrachée et elle ne pourrait plus jamais se créer de nouveaux souvenirs. Elle devrait se contenter des anciens pour pouvoir continuer à ressentir la présence du Roi qu'elle aimait tant.
La souveraine avait l'impression qu'on lui avait broyé le cœur, comme si un troupeau de chevaux était passé dessus au galop. Elle avait du mal à respirer à l'idée de vivre sans son époux. Elle en vint à se demander s'il ne lui serait pas moins douloureux de lui ôter un membre. Elle se passa la main dans ses cheveux dans un geste frénétique. Jamais elle n'aurait cru qu'elle allait être séparée de son mari aussi tôt.
Elle avait envie de hurler contre les Esprits de l'avoir abandonnée, mais elle n'avait plus de force. Elle ne pouvait rien faire d'autre que d'accepter la situation et de continuer d'avancer. C'était ce que son époux souhaiterait dans des circonstances telles que celles-ci. Il fallait qu'elle se reprenne en main.
— Faisons comme ça. Une fois dans la maison, nous trouverons un moyen de nous sortir de cette histoire.
Alors que la Reine était déterminée à laisser Ohtar vivre sa vie seul avec sa femme et son fils, le guerrier ne comptait pas l'abandonner de si tôt.
— Vous préférez attendre le lever du Soleil avant de reprendre la route, pour que vous puissiez vous reposer ? demanda Ohtar.
— Non, allons-y maintenant, déclara Enetari, sachant pertinemment qu'elle n'allait pas pouvoir fermer l'œil.
La souveraine se leva et porta sa main à son ventre. Elle reçut un coup en retour et son cœur explosa de joie. Elle avait le pressentiment que son bébé n'était pas mort. S'il l'avait été, elle avait la certitude qu'elle l'aurait su d'une manière ou d'une autre. Mais ceci était une preuve catégorique qui confirmait ses espérances : son enfant était vivant.
Cependant, il ne tarderait pas à tenter de sortir. Elle savait qu'une fois que la perte des eaux avait eu lieu, il lui restait moins de vingt-quatre heures pour que le bébé décide de sortir. Il fallait qu'ils arrivent au plus vite à la maison d'Ohtar pour qu'elle puisse accoucher dans un endroit plus confortable que le sol de terre de la forêt.
— Voulez-vous que je vous porte, ma Reine ? proposa le guerrier.
Enetari refusa poliment et le remercia de sa gentillesse. Ses pieds lui étaient douloureux, mais Ohtar avait couru plusieurs heures sans pause en la transportant dans ses bras. Bien qu'il ne le montrait pas, la Reine savait qu'il était fatigué, alors elle pouvait prendre sur elle un peu plus longtemps.
Il ne devait pas y avoir plus d'une heure ou deux de marche pour rejoindre le village de la femme d'Ohtar et arriver la nuit leur permettrait de passer inaperçus. S'ils parvenaient aux habitations en plein jour, les cheveux blonds de la souveraine ne pourraient pas être cachés. Dans une localité aussi proche du château, les rebelles auraient vite fait de la remarquer et de l'assassiner à son tour. Partir maintenant était donc la meilleure solution.
La Reine et le guerrier s'aventurèrent dans la forêt. Enetari ne pourrait pas dire où elle se trouvait exactement ni comment se rendre au village voisin, car elle n'était jamais réellement sortie du palais. Lorsqu'elle l'avait fait pour aller à la rencontre du peuple, elle avait toujours été dans un carrosse et ne voyait pas les routes qu'elle arpentait. Elle maîtrisait la géographie de son Royaume, mais était incapable de s'orienter au plein cœur d'une forêt dont elle n'apercevait pas le bout.
Heureusement qu'Ohtar était là pour la guider, car, lui, connaissait le bois qui entourait le château comme sa poche. Il s'y était souvent aventuré pour s'entraîner avec ses pairs. De plus, il pourrait se rendre jusqu'à la maison de sa femme les yeux fermés. Il connaissait le chemin par cœur.
Les deux derniers survivants de l'attaque royale marchèrent près d'une heure et demie en silence avant d'apercevoir des lumières au loin, derrière la lisière de la forêt. La souveraine avait des difficultés à se mouvoir à cause du terme de sa grossesse. Ses jambes manquaient de flancher à chaque nouveau pas qu'elle faisait. Elle se faisait violence pour que ses genoux restent stables.
À un moment donné, elle avait hésité à demander de l'aide auprès du guerrier, mais lui aussi semblait atteindre ses limites physiques. Elle n'avait donc pas osé lui demander de la porter. Elle trébucha à plusieurs reprises sur les racines des arbres, car elle n'arrivait pas à monter les pieds assez haut pour les éviter. Heureusement, les bras musclés d'Ohtar la soutenaient à chaque fois pour qu'elle ne s'écroule pas sur le sol.
Au fur et à mesure qu'elle avançait, son cerveau se déconnectait de la réalité. La soirée avait été éprouvante et s'éternisait. À la fin, la Reine marchait par réflexe, ne réfléchissant plus lorsqu'elle mettait un pas devant l'autre. Elle avait presque l'impression qu'elle avançait grâce à une force supérieure qui commandait ses actions comme le ferait un marionnettiste.
Les yeux de la souveraine étincelèrent à l'idée d'être arrivée en voyant les lumières au loin pour pouvoir se reposer. Elle était exténuée de ne pas avoir dormi cette nuit et tout son corps semblait courbaturé et protestait à chaque nouveau pas qu'elle faisait. Elle allait enfin être au chaud, à l'abri de la brise glaciale qui s'insinuait entre les troncs d'arbres. Elle avait l'impression d'être devenue un glaçon ambulant.
Sans s'en rendre compte, Enetari trouva une force qu'elle ne pensait plus avoir et accéléra l'allure. Ohtar s'empressa à son tour, suivant le rythme de la Reine.
Le guerrier arpenta les ruelles éclairées par des torches disposées ici et là. Le sol était fait de pavés et les maisons étaient constituées de pierres, collées les unes aux autres. Certaines poutres de bois étaient visibles sur la façade.
Les demeures ne dépassaient pas un seul étage généralement, sauf pour les habitations qui se trouvaient au-dessus de petits commerces qui en comportaient alors deux. Les toitures étaient faites de tuiles où la mousse avait commencé à pousser un peu partout. Ce village était la représentation type des résidences qui constituaient l'ensemble du Royaume.
Ohtar tourna à plusieurs reprises dans les allées qui faisaient penser à un labyrinthe. La Reine tentait de suivre du mieux qu'elle pouvait l'allure soutenue du guerrier. Après quelques minutes à vagabonder dans les rues désertes à une heure aussi tardive de la nuit, Ohtar s'arrêta devant une porte en bois vieilli.
La maison ressemblait à toutes les autres. Elle ne possédait aucun signe distinctif. Le protecteur de la couronne essaya d'ouvrir la porte de sa demeure, mais elle était fermement verrouillée. Il sourit, car c'était lui qui avait ordonné à son épouse de la fermer tous les soirs.
Nombreux étaient les hommes mal intentionnés qui erraient à l'extérieur, attendant le moment opportun pour cambrioler ou bien agresser une femme seule dans un foyer avec un nourrisson. Ohtar frappa le bois de sa main puissante. Le bruit fit sursauter la Reine. Avec un vacarme pareil, il allait finir par réveiller tout le voisinage.
Ohtar continua de frapper de toutes ses forces jusqu'à ce que le son de la barre de fer qui empêchait auparavant d'ouvrir la porte fit comprendre aux deux jeunes gens qu'elle venait d'être déverrouillée.
Le guerrier fronça les sourcils à l'idée que son épouse n'ait pas exigé l'identité de la personne qui cognait à sa maison avant de le laisser entrer. À quoi servait-il de fermer la porte si c'était pour l'ouvrir à quiconque le demandait ?
La porte s'entrebâilla et une petite femme apparut, à moitié endormie, bâillant en même temps qu'elle céda le passage à son mari.
— Que fais-tu ici à une heure aussi tardive ? Et qui est la jeune femme qui t'accompagne ?
La jeune femme en question suivit Ohtar à l'intérieur de la demeure avant de retirer sa capuche, dévoilant sa chevelure blonde en guise de réponse. La bouche de l'épouse du guerrier forma un « O » presque aussi parfait que le rond de ses yeux écarquillés.
— Votre Majesté ! s'exclama-t-elle avant de s'incliner.
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