Partie 1 - 1
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9h00. Le réveil de son téléphone portable se mit à sonner. Le retour à un état quasi conscient fut une épreuve. Sa tête lui faisait encore sacrément mal. Pendant l'espace d'une petite seconde de flottement, il se demanda qui il était et pourquoi il avait si mal au crâne.
Je m'appelle Hugo !
L'identité retrouvée, il lui fallait à présent éteindre son putain de téléphone portable qui hurlait à tue tête. Avec des gestes de celui qui n'est pas sûr de tous ses mouvements, il attrapa l'appareil et éteignit l'alarme. Il posa son téléphone et alluma la radio. En tant que fan inconditionnel de rock, il écoutait le mouv'. C'était une des meilleures radios du coin, il trouvait cependant que certains choix en matière de programmation relevaient de l'hérésie. Par exemple, il trouvait que les Naast ou les BB brunes étaient des groupes d'enfants sans intérêt.
Ce matin-là ils passaient un vieux titre de Pink, en dehors de son look néo punk, cette fille n'avait pas grand-chose de rock'n'roll. Il dut néanmoins s'en contenter. Toujours allongé sur son lit, il remit en ordre ses souvenirs. Avant-hier, il se souvenait de bribes d'une soirée à la con, ça devait être Halloween. Hier, le premier novembre, il avait passé son temps à essayer d'oublier son mal de tête. Finalement, la solution s'imposa d'elle-même, il suffisait de se remettre à boire. Avec une poignée d'amis passablement alcooliques, il avait organisé un Halloween bis.
À présent, il se retrouvait en compagnie de son mal de crâne dans le lit de sa chambre de cité U. On ne pouvait pas dire que Hugo était un étudiant sérieux. D'ailleurs, on ne pouvait pas vraiment dire qu'il était un vrai étudiant.
Cependant, il possédait une carte d'étudiant prouvant qu'il était inscrit dans une obscure licence de sciences politiques, ce qui lui donnait de nombreux avantages d'étudiant.
Pour gagner de l'argent, il travaillait au restaurant universitaire du coin. L'argent tombait avec un mois de retard, mais au moins, il pouvait manger à sa faim tous les jours sans avancer le moindre euro. Il s'occupait de la plonge avec une poignée d'autres étudiants. Il enlevait les assiettes, les couverts et les verres des plateaux avant de passer tout ça dans une machine géniale qui les lavait. Le taylorisme était poussé à l'extrême et la rumeur voulait qu'on finisse complètement fou une fois le CDD terminé.
À présent, la radio passait un titre des Linkin park. Aussi étrange que cela puisse paraître, Hugo remarqua au bout du cinquième titre qui retentissait dans le poste de radio qu'il n'avait toujours pas entendu d'animateur. Peut-être que ce dernier faisait le pont comme tout le monde. Accepter de venir au resto U le vendredi 2 novembre était la quintessence des idées à la con que Hugo avait eues durant la semaine.
Aux alentours de 9h45, Hugo sortit de son lit. Il alluma son ordinateur et partit se soulager aux toilettes. Ces dernières se trouvaient dans le couloir comme il était de coutume de le voir dans les cités universitaires. En revenant dans sa chambre, il s'installa devant son ordinateur portable. Il se connecta sur Skype.
Il n'avait pas vraiment envie de parler à quelqu'un, mais la curiosité le poussait à savoir qui était connecté. La fenêtre s'afficha. Une seule personne était présente, une vague connaissance qu'il avait rencontrée sur le net mais qui s'avéra n'avoir aucun intérêt finalement. Son pseudo l'intrigua : « Joséphine (L'horreur) ». Hugo n'avait vraiment pas envie de lui parler. Elle allait certainement lui dire que son chien s'était fait manger par son chat ou peut-être l'inverse. Avant d'entrer dans une discussion chiante, il ferma rapidement la fenêtre et commença à se rouler une cigarette.
Gad Elmaleh avait raison dans son sketch sur les fumeurs. La meilleure clope était celle du réveil, celle qui avait encore le pouvoir de vous retourner la tête. La fumée bleutée s'échappait dans d'insaisissables volutes. Certes sa gorge le brûlait mais il n'était pas encore prêt à arrêter ce petit plaisir.
L'ordinateur affichait 10h04, il était dans les temps, le travail ne commençait qu'à 11h. Il partit sous la douche. À cette heure-là, il ne croisait jamais personne dans les couloirs et ce vendredi, pont de la Toussaint de surcroît, ne dérogeait pas à la règle. La douche fut rapidement expédiée, il revint dans sa chambre, se sécha et enfila quelques habits. Il ne faisait pas encore vraiment très froid dans le sud de la France, mais il préférait se couvrir un minimum. Il se roula une seconde cigarette. Il s'assit devant son ordinateur et alla sur sa boite mail pour voir s'il y avait quelque chose de nouveau. La boite était vierge de tout nouveau courriel.
Vers les 10h45, il enfila des baskets, prit son téléphone et sortit.
Le restaurant universitaire de Boutonnet à Montpellier était collé à la cité universitaire du même nom. Le travail avait beau être des plus chiants, il se trouvait à deux pas de son chez-lui. Il trouvait l'idée de travailler aussi près du lieu où il dormait assez plaisante. En cinq minutes, il pouvait se rendre sur son lieu de travail, tout ça laissait plus de temps de sommeil.
L'air montpelliérain était frais et d'une étrange pureté. Le soleil baignait de ses rayons la ville qui semblait encore endormie. La plupart des étudiants de la cité étaient partis chez eux pour le pont de la Toussaint.
Sous les frondaisons automnales, il retrouva Jean-Mathieu, un collègue du resto U. Durant son existence, Hugo avait entendu beaucoup de clichés sur les antillais. Ces gens-là étaient censés aimer draguer, être fainéants et aimer boire du rhum. Jean-Mathieu venait de la Martinique. Il n'aimait pas le Rhum, il n'était pas fainéant au travail, mais par contre il draguait tout ce qui passait. Ses collègues du restaurant l'appelaient : le chaud de la bite. Il se qualifiait lui-même de « mort de faim ». Pourtant, il avait déjà trois copines dans différentes villes : une à Marseille, une à Paris et une à Nîmes. A son tableau de chasse, il ne lui manquait plus que Montpellier.
Les étudiantes travaillant au restaurant universitaire n'étaient pas des collègues dans sa tête, elles étaient des cibles potentielles. Ses méthodes de drague passeraient certainement pour du harcèlement devant tout tribunal correctionnel. De plus, les succès se faisaient attendre. Il enchaînait les échecs à un rythme industriel sans jamais faiblir un seul instant.
« Salut Hugue ! Ça va ?
-Salut, Jean Mat ! Toujours échec ?
-Trop drôle ! Tu es comme les autres en fait, petit enfoiré, répondit-il avec un grand sourire aux lèvres, tout monde au boulot est contre moi. Ça commence par les plongeurs jusqu'aux cuisiniers en passant par les femmes du service, même la chef est contre moi.
-Franchement ta vie craint.
-N'empêche que la chef, Mademoiselle Namut, a un espèce de cul de folie. Je suis sûr que c'est une grosse cochonne. En plus mon gars, elle a une de ses poignes ! Imagine si elle prend ta queue dans ses mains... »
Il agrémenta sa description de quelques gestes assez évocateurs. Hugo n'essaya pas de s'imaginer ce que son collègue disait, il se disait plutôt que ce type était définitivement irrécupérable. Tout le monde était au courant de son petit manège. La sous chef du service avait depuis peu entrepris de le mater.
« Tu ne devinera jamais ce qu'il s'est passé l'autre jour avec Julie la sous chef ?
-Quelque que chose me dit que tu vas bientôt me le dire.
-Elle m'a demandé de nettoyer la salle principale, mais en fait il ne restait plus de balais, alors je suis aller voir en bas et ensuite... »
Les discussions entre employés du restaurant étaient d'un inintérêt total pour ceux qui ne travaillaient pas là-bas. La plupart des gens pensaient d'ailleurs que ce travail ne présentait aucune difficulté. C'était pour cette raison que les clients n'hésitaient pas à empiler des tas de plateaux les uns sur les autres.
L'allée menant au restaurant était vide. D'ailleurs, à part Jean-Mathieu, Hugo n'avait croisé aucun être humain aujourd'hui. Comme si cette seule pensée avait le pouvoir de créé la vie, une fille déboula dans l'allée. Elle courait à en perdre haleine. Son t-shirt était taché avec du ketchup ou une autre substance écarlate. Son visage intrigua profondément Hugo, elle semblait réellement effrayée par quelque chose. Elle passa devant les deux jeunes hommes sans un seul regard...
« T'as vu ça ! Lança Jean-Mathieu.
-Ouais c'est louche...
-Ouais c'est clair, ses seins bougeaient vachement bizarrement. En plus, elle avait une bouche de...
-C'est tout ce que ça t'inspire ? Elle avait surtout l'air de fuir quelque chose ! Ça t'arrive de penser à autre chose qu'au sexe ?
-Non pourquoi ? Y'a autre chose d'intéressant dans la vie ? »
Sortir de la cité universitaire de Boutonnet était une gageure. Il y avait une série de trois grilles qui obligeaient à slalomer. L'opération aisée en temps normal devenait une quête incroyable en cas d'état d'ébriété. Ce matin-là, aucun étudiant ne perdait son temps dans les grilles.
Il fallait sortir de la cité universitaire, pour pouvoir rentrer dans le restaurant. Il n'y avait aucune explication logique à cet état de chose. Dans le même ordre d'idée, les employés du restaurant devaient rentrer par la porte de derrière alors que les vitres automatiques n'attendaient que leur présence pour s'ouvrir.
La rue était déserte. Le pont de la fête des Saints ferait beaucoup de ravages dans l'affluence du resto U. Hugo espérait pouvoir passer trois heures de boulot tranquille. Le week-end commencerait plus tôt avec de la chance.
Le jeune homme lança un dernier regard sur sa montre : 10h57. Il n'était pas en retard. Le temps de se changer et il pourrait enfin manger, en fait, il n'avait rien avalé de la matinée et il attendait avec impatience de se retrouver devant une assiette de merlu et de riz.
« J'espère qu'il y aura Sophie. »
Sophie était une étudiante engagée en CDD comme Hugo et Jean-Mathieu. Il était inutile de préciser que ce dernier passait son temps à la draguer. Aussi étrange que cela pouvait paraître, ses interminables séances de drague ne l'empêchaient pas de faire un travail de bonne qualité. Hugo se demandait réellement comment son collègue pouvait arriver à produire un travail aussi sérieux.
Les clients du restaurant ne connaissaient pas la face cachée du lieu. Ils ne fréquentaient que les grands espaces, les endroits rangés et accueillants. L'envers du décor dénotait une attirance sans borne pour les espaces exigus, pour les empilements sans logique de tout ce qui pouvait s'empiler et pour les monstres de métal qui lavaient des milliers d'assiettes, de couverts, de verres et de plateaux chaque jour.
Le premier des endroits exigus que chacun visitait dans la journée, était la pièce affectée aux vestiaires. Il n'y avait jamais vraiment eu assez de casier, Hugo et Jean-Mathieu partageaient un minuscule placard, où ils entassaient leur tenue de scène : un simple pantalon et un fine chemise à carreau.
La lavandière, une vielle femme ronchonne, s'approchait dangereusement de la retraite et avait décidé de ne plus autant travailler que de par le passé. En son âme et conscience, elle avait rationné les affaires propres. Hugo devait donc se débrouiller pour passer toute une semaine avec le même pantalon et la même chemise. À la fin, la saleté de la plonge faisait oublier les couleurs d'origine.
D'ailleurs, c'était quoi les couleurs d'origine ?
Pendant que Jean-Mathieu parlait de Sophie, Hugo avait « débranché » son cerveau, ce qui lui permettait de ne pas écouter les idioties du pseudo dragueur. Il se contentait d'un « ouais » ou d'un « t'as raison » de temps à autre pour ne pas que son interlocuteur s'aperçoive de son absence d'intérêt.
Le changement de costume ne leur prit que quelques minutes et ils se dirigèrent vers le premier étage où leur pitance les attendait. Après avoir monté des escaliers, ils passèrent devant le quartier général de la chef. Il était fermé, elle ne semblait pas être là. Son bureau était souvent fermé : pendant que le chat n'est pas là, les souris dansent.
L'étape suivante de leur périple était la plonge : l'endroit où les plateaux finissaient leur repas. Contrairement à la croyance populaire, le travail n'était pas effectué par des robots venus du futur, mais par des humains faits de chair et de sang. Les machines étaient calmes, elles auraient tout le temps de se déchaîner durant le rush de 12h30.
La fin de leur voyage les conduisit dans le royaume du service. L'endroit où des gens habillés en blanc servaient toutes sortes de plats à des gens qui avaient faim. Comme d'habitude aucun des serveurs n'étaient sur le terrain, ils devaient être en train de manger.
Hugo marcha sur une flaque. Ces crétins n'avaient pas dû faire le ménage, ce devait être un coup d'Eddie, un CDD fanatique du pistolet à eau pour adultes...
La seconde précédente, Hugo n'écoutait pas vraiment Jean-Mathieu qui parlait d'une fille du service. L'instant d'avant, Hugo avait une vie d'une banalité affligeante. L'instant d'avant, il aurait pu dire avec précision ce qu'il prévoyait pour le week-end et la date de ses examens. L'instant d'avant, il avait des rêves médiocres et il s'en contentait.
Son ancienne vie mourut comme ça tout d'un coup lorsque sa tête s'abaissa. Rien n'aurait pu le préparer à ce qu'il allait découvrir.
L'instant T ne dura pas plus qu'une seconde normale, mais il parut s'éterniser durant une vie entière pour Hugo. C'était comme si son cœur s'était arrêté de battre pendant cet instant fatidique.
Le sol était maculé de sang.
Le battement de cœur suivant fut celui du délire, de la folie et de l'horreur.
« Au secours !!! »
Le temps de comprendre que c'était Eddie qui venait de crier, les deux plongeurs virent ce dernier courir vers eux à en perdre haleine. Il slalomait entre les tables, mais personne ne semblait le poursuivre. Lorsqu'il passa près des caisses une forme surgit et le plaqua au sol.
À première vue, c'était Julie la sous-chef du service. Les deux corps roulèrent au sol et la femme se mit à essayer de mordre Eddie. Sans prendre le temps d'analyser plus longtemps la situation, Hugo s'élança pour les séparer. Il prit la femme par le costume et l'obligea à reculer. Elle s'affaissa lourdement au sol.
« C'est quoi ce bordel ? »
Hugo n'en croyait pas ses yeux, Julie tenait plus de la bête sauvage que de l'être humain. Ses yeux vitreux, le reflet de l'âme, ne dégageait rien de vivant, tandis que de sa bouche s'échappait un filet de bave mêlée à du sang. Sur sa veste, d'autres traces de sang maculaient le blanc. Elle semblait aussi blessée par endroit.
Elle se releva en regardant Hugo avec ses yeux morts. Elle grogna, comme si elle essayait de parler sans y arriver réellement. Puis elle se jeta sur Hugo. Ce dernier trop surpris de l'attaque injustifiée de sa collègue ne tenta même pas de l'éviter.
Sa bouche sentait la pourriture et la mort, ses dents rougies par le sang cherchait le cou d'Hugo. Il essayait tant bien que mal de repousser sa tête mais elle était animée d'une force quasiment surhumaine.
« Julie arrête ça !!! S'écria Hugo qui reçut quelques grognements pour seule réponse. »
Eddie de son côté se releva et entreprit de frapper la sous-chef avec ses chaussures coquées. Elle ne semblait pas ressentir la moindre douleur et accentua à nouveau la pression sur Hugo.
Soudain, il y eut un cri et un choc. Le monde tourna au rouge pour Hugo. Un liquide chaud giclait sur son visage et le corps de Julie animé par une puissance incroyable une seconde plus tôt devint aussi flasque qu'une banane trop mûre.
Eddie donna un dernier coup de pied et le corps de la femme roula au sol. Hugo resta quelques secondes au sol, choqué. Des effluves métalliques encombraient ses narines et il avait envie de vomir.
« Putain, bordel de merde c'était quoi ce truc ! Lança Jean-Mathieu. »
Hugo s'essuya les yeux et il aperçut que le jeune antillais retirait une pelle à pizza du crâne de Julie.
« Pas le temps d'expliquer ! Il faut se tirer au plus vite. Il y en a d'autres, répondit Eddie. »
Comme pour appuyer ses dires, d'autres formes apparurent. Il y avait l'équipe du restaurant universitaire, les femmes du service, les plongeurs et les cuisiniers. Ils ne ressemblaient plus aux humains que Hugo avait connus dans le passé. Ils avançaient d'un pas rapide vers les trois jeunes hommes.
Jean-Mathieu releva Hugo en vitesse et tout le monde s'engouffra dans les cuisines du restaurant. Ils refermèrent le verrou de la porte en espérant que cela suffirait pour le moment.
Les cuisines du restaurant étaient plutôt grandes, il y avait différents fours et plusieurs tables de travail. Sur des étagères, on pouvait trouver toute sorte d'instruments de cuisine qui allait des couteaux, aux immenses marmites en métal.
« Il faut fermer les autres entrées, ordonna Eddie qui semblait un peu plus pâle que d'habitude. »
Jean-Mathieu s'exécuta en bloquant provisoirement les portes avec des spatules géantes. De son côté, Hugo s'était assis par terre toujours dans l'incompréhension de tout ce qui venait de se passer. Ses mains étaient rouges d'un sang qu'il savait appartenir à quelqu'un d'autre. D'ailleurs, s'il était blessé, il ne s'était rendu compte de rien.
« Putain Hugo, reprends-toi ! S'écria Eddie. On a besoin les uns des autres, je n'ai aucune idée de ce qu'il se passe ici mais c'est le bordel le plus total »
Habituellement, Eddie était quelqu'un d'amusant. Avec sa tignasse rousse, il passait souvent pour un Anglais au premier abord. Cette présomption était rapidement mise en échec par son accent du terroir languedocien. Il voulait rentrer dans l'armée et en attendant les résultats de son concours et son incorporation, il avait décidé de prendre ce travail au restaurant universitaire pour pouvoir nourrir sa femme et sa fille.
Eddie prit un pistolet à eau, le genre qui sert plus dans un restaurant que dans une cours de récréation et entreprit de tirer un jet assez puissant sur Hugo. C'était une idée particulièrement stupide et malvenu.
Passé la première seconde de surprise, Hugo reprit ses esprits. L'eau lavait le sang de Julie et le lavait. C'était comme une sorte de baptême, il devenait quelqu'un d'autre. Son ancienne vie normale mourait et son deuil s'achevait à l'instant. Il lui fallait réagir à présent et réagir au plus vite.
Eddie stoppa le jet. Hugo se releva d'un bond. Il parcourut la salle du regard et se dirigea vers ce qui l'intéressait.
« Qu'est-ce que tu fous Hugo ?
-C'est bon j'en ai un ! On va pouvoir commencer à s'organiser. »
Hugo brandit un immense couteau de cuisine d'une bonne vingtaine de centimètre à la lame aussi effilée qu'un rasoir. L'arme ne servirait qu'au corps à corps mais il n'avait pas des tonnes de choix, les spatules n'étaient pas assez tranchantes et Jean-Mathieu avait déjà pris la pelle à pizza, le genre de pelle avec un manche d'un bon mètre cinquante et avec un rond en fer au bout assez tranchant pour fracasser le crâne de Julie par exemple.
« Dis-nous comment tout ça a commencé, avant tout. »
Avec une violence inouïe, on tapa à la porte d'entrée de la cuisine. Les trois jeunes hommes sursautèrent. La porte verrouillée avait une petite vitre, une sorte de hublot rond. À travers, un des cuisiniers à la peau déchiquetée par endroit et au teint sirupeux grognait.
« Tout a commencé ce matin très tôt, quand un client étrange est rentré au resto U pour prendre un petit-déjeuner. Il ne parlait pas beaucoup et semblait avoir été blessé, commença Eddie qui paraissait de plus en plus malade au fil des minutes, il a pris un petit déjeuner Du sang coulait d'un bandage qu'il avait au bras et de temps à autre il semblait avoir des problèmes pour respirer normalement. »
Eddie marqua une pose en se frottant le bras, ce fut à ce moment-là qu'Hugo remarqua que son collègue avait été mordu par Julie. La blessure n'était pas profonde et elle ne mettrait que peu de temps pour guérir.
« Au moment où il commençait à partir, il s'est écroulé sans raison. Brigitte qui s'occupe des petits-déjeuners, s'est précipitée sur lui pour voir ce qu'il avait. Malheureusement, son cœur semblait s'être arrêté. Au moment où Brigitte allait appeler les pompiers, l'homme s'est relevé et l'a violemment mordue. Le bruit a attiré plusieurs autres employés du restaurant. Ils ont réussi à calmer l'homme et l'ont cloîtré dans une chambre froide...
-Il y est toujours ? L'interrompit Jean-Mathieu.
-Oui, normalement, on a bloqué la porte. Cet homme avait réussi à mordre quelques cuisiniers pendant qu'il se débattait. Petit à petit ceux qui ont était mordus ont commencé à se sentir de plus en plus mal. Aux alentours de 10h30, la situation a rapidement dégénéré. Les employés mordus se sont mis à mourir un à un. Ils se sont tous relevés avec cette force surhumaine et cette insensibilité à la douleur. Ceux qui revenaient à la vie comme ça ont attaqué les autres. À chaque fois que l'un d'entre nous mourait sous l'assaut de leurs mâchoires, il devenait l'un des leurs.
-Bon on va essayer de ne pas céder à la panique, mais on ne peut pas rester ici très longtemps, analysa Hugo avec le plus grand des calmes.
-Non attend, il se peut que cette chose se répande en ce moment dans les rues de Montpellier, dit Eddie avec un sérieux effrayant. Bientôt la ville entière sera transformée en monstres.
-L'armée va intervenir de toute façon, non ? Demanda Jean-Mathieu. Je suis certain que les secours vont venir d'ici peu de temps.
-En plus ici, on a à manger pour quelque temps. Regardez... »
Les cuisines ne manquaient pas de nourriture, au menu de midi, il y avait des pommes de terre fondantes et un assortiment de viande de bœuf, de porc et d'autres choses non identifiées. Hugo ne tenait plus, il venait certes de vivre des sensations fortes mais il ne pouvait plus résister à l'appel de son ventre. Il prit quelques pommes de terre et commença son repas. Les deux autres le regardèrent avec la plus grande des surprises.
« Ma grand-mère me disait tout le temps : mange car tu ne sais pas qui te mangera demain ! Je crois que je comprends enfin ce que ce proverbe signifie. Je ne compte ni mourir de faim, ni devenir comme eux.
-Hugo a raison, on ferait mieux de manger nous aussi, répondit Jean-Mathieu, au fait, Eddie est-ce qu'on peut les tuer ?
-Eh bien jusqu'à ce que tu défonces la tête de Julie, je pensais que ces créatures étaient invincibles. Je suis heureux de m'être trompé. Il y a peut-être un espoir. Mais je ne pense pas qu'on aille très loin avec les armes qu'on a ici.
-Il nous faudrait des flingues, en disant ces paroles, les yeux d'Hugo brillaient comme ceux d'un enfant. Ouais des tas de flingues, on pourrait ainsi se tailler une route à travers leurs cadavres... »
Un téléphone sonna. C'était un titre de Dance hall. Il n'y avait qu'une personne avec des sonneries pareilles. Au milieu de l'horreur absolue, cette simple sonnerie rendit la situation quasiment irréelle.
« Allô, répondit Jean-Mathieu, ... c'est vous Mademoiselle Namut, ... Oui je sais mais c'est trop tard, on est déjà au resto U. On est dans la cuisine. On a réussi à se barricader. Je suis avec Hugo et Eddie... Parfait je leur en parle et je vous rappelle. »
Le jeune antillais raccrocha, il avait un immense sourire, ses dents blanches contrastaient avec sa peau noire.
« C'était Mademoiselle Namut... »
Mademoiselle Namut était la chef des employés, une sorte de DRH. Jean-Mathieu la trouvait à la fois très mignonne et très excitante. Elle n'était pas très grande. Ses cheveux blonds coupés courts faisaient penser à Hugo qu'elle était certainement lesbienne. La nature ne l'avait pas trop gâtée au niveau de la poitrine mais elle avait été plus généreuse au niveau des fesses. Enfin, ce genre de réflexion appartenait à Jean-Mathieu.
« ... En fait elle est en ce moment même au resto U, elle est dans son bureau. Elle voulait me prévenir de ne pas venir, mais je pense que c'est trop tard. Il faut qu'on aille la chercher.
-C'est une blague ? Demanda Eddie.
-Non ce n'est pas une blague ! Si on prend cette porte on peut éviter les monstres. On arrive dans une sorte de chambre froide qui mène à la plonge, de là le bureau de la chef est à cinq mètres.
-Putain de bordel de merde ! Jean-Mathieu, arrête de penser avec ta bite et réfléchis un peu ! Combien de temps tu crois qu'ils mettront pour s'apercevoir qu'on est à la plonge ? Ils pourront y entrer sans problème par la porte qui donne au service. Ensuite ils seront rapidement sur nous. Je te laisse imaginer la suite
-De toute façon, je ne compte pas rester ici indéfiniment, lança Hugo, il faut organiser notre départ à un moment ou à un autre. Le mieux serait tant que nous savons qu'ils sont si peu nombreux.
-Bande de grands malades ! Vous n'avez aucune idée de leur force et pourtant vous voulez vous jeter dans la gueule du loup avec le plus grand des bonheurs ! Hurla Eddie, j'en ai rien à foutre, moi je reste ici, en plus je suis tellement fatigué. »
Soudain Hugo comprit les dangers de la morsure d'Eddie, si le mal se transmettait par ce genre de blessure, le jeune père de famille ne tarderait pas à devenir un des leurs. La cuisine n'était plus un havre de paix, elle deviendrait dans quelques minutes un champ de bataille.
« Tu as été mordu Eddie, n'est-ce pas ?
-Oui et alors ?
-Le mal se transmet par les morsures non ? »
Eddie le savait, c'était pour cela qu'il ne voulait pas bouger, Hugo en était certain à présent.
« Tu as raison... Dans quelques minutes je vais devenir l'un des leurs. J'ai peur pour moi, mais je suis horrifié pour le destin de ma fille. Je ne pourrais pas la protéger. Si vous me fracasser la tête, je ne pense pas que je me relèverai. Vous pourrez essayer de rester ici. »
Hugo avait remarqué le changement d'opinion de Jean-Mathieu. Cinq minutes auparavant, il voulait rester dans la cuisine pour une période indéfinie. Après l'appel de Mademoiselle Namut, il avait brusquement changé d'avis. Hugo se demanda si son collègue n'attendait pas une faveur sexuelle de la part de la chef au milieu de cet enfer. En fait, ceci ne surprenait même pas Hugo, cette idée de faire passer le sexe avant toute chose collait parfaitement avec le personnage.
« On doit le laisser ici, dit Jean-Mathieu, n'est-ce pas Hugo ?
-Je suis d'accord, mais je sais ce que tu veux Jean-Mathieu ! Rejoint Mademoiselle Namut et baise-la si ça te chante, moi je vais trouver une solution pour quitter la ville. »
Les monstres essayaient toujours d'enfoncer la porte, ils donnaient un sentiment d'urgence à la situation. De son côté, Eddie s'assit au sol. Il avait pleinement pris conscience de son état de condamné.
Il ne tentait plus de les retenir. Son visage blêmissait de minute en minute, son souffle devenait de plus en plus court. Son corps était parcouru de frissons. L'imminence d'une fin déplaisante ne faisait plus de doute.
« Qu'est-ce que tu vas faire Hugo ? Demanda Eddie dans un râle.
-Je vais me trouver une voiture et me tirer de là au plus vite ! Tu devrais faire la même chose Jean-Mathieu. Cette situation craint à mort.
-Non je reste ici avec Mademoiselle Namut, je n'ai pas peur de mourir.
-Hugo..., prends les clefs de ma ... voiture et tente ta chance... »
Eddie sortit les clefs de la poche de son pantalon de service et les tendit tant bien que mal à Hugo, ce dernier les prit...
« Merci Eddie, ce fut un plaisir de t'avoir connu, t'étais un bon collègue et... »
Hugo ne trouvait plus les mots, il avait la langue sèche et ses yeux se remplissaient de larmes. Il s'essuya avec la main et détourna le regard de son collègue mourant et bientôt transformé en monstre.
« Il faut qu'on y aille Jean-Mathieu. Une fois qu'on sera dehors, je cours en première position, tu devras t'arrêter avant moi de toute façon.
-OK ! Bonne chance mon gars !
-Merci toi aussi on va en avoir besoin. »
Le couteau bien calé dans la main et prêt à frapper, Hugo se posta devant la porte qui les mènerait à la sortie. Normalement, il n'y avait pas de monstre derrière, ces idiots attendaient tous devant l'autre porte.
Hugo lança un dernier regard à Eddie, ce dernier venait certainement de rendre son dernier souffle car il gisait à terre. Il semblait tellement calme et tellement serein, comme si rien de mal ne s'était produit, comme s'il était simplement en train de dormir...
« On y va à Trois... Attention, un, deux... »
Avec la vivacité d'un félin, Eddie se releva.
« Trois !!! »
Les deux vivants s'engouffrèrent dans une pseudo chambre froide. Hugo s'était toujours demandé à quoi servait cette chambre dont les portes n'étaient pas vraiment hermétiques, et dont la température était dix degrés en dessous de la normale. Il n'avait jamais essayé de comprendre ces grandes machines qui ressemblaient à des placards métalliques.
Le plus important était qu'aucun des monstres ne traînait dans le coin à ce moment-là. Le seul monstre du coin était en train de le poursuivre à grand renfort de grognement et de cris gutturaux.
D'un coup d'épaule, Hugo sortit du froid et pénétra dans la « batterie ». Cet endroit était une des subdivisions de la plonge, on y nettoyait les plaques et les plats. Le plan de travail se composait de deux cuves que l'on remplissait d'eau pour nettoyer les plats avant de les mettre dans une machine qui les désinfecterait.
Dans son ancienne vie, Hugo avait toujours pensé que cet endroit était un endroit merveilleux qui lui ouvrirait un monde fait de lavages tous plus amusants les uns que les autres. En fait, dans ce travail chacun passait son temps à envier les autres pour les tâches qu'ils accomplissaient.
L'heure n'était plus à ce genre de considérations. Sans réellement le prévenir, Jean-Mathieu bifurqua, au lieu de s'engager derrière lui dans le couloir qui le mènerait au bureau de la chef, il préféra disparaître en se cachant derrière une quelconque machine qui ne servirait certainement plus jamais, si les choses continuaient à ce rythme. Il pensait certainement qu'Eddie ne le verrait pas et se lancerait à la poursuite d'Hugo.
Ce dernier comprit le plan de son collègue, mais il n'éprouva aucune colère contre Jean-Mathieu. Ce dernier ne cherchait qu'à sauver sa peau. Il ne pouvait pas le blâmer même si de son côté Hugo avait d'autres objectifs...
Le plan de Jean-Mathieu marcha parfaitement. Eddie s'engouffra dans le couloir à la poursuite d'Hugo. Chaque pas que faisait le monstre le rapprochait un peu plus du plongeur.
Hugo passa devant le bureau de Mademoiselle Namut, il s'élança dans les escaliers le menant vers la sortie. Pas le temps de les descendre un par un, il sauta plusieurs marches et s'attendit à se rompre le cou à chaque saut. Un mélange de chance et de dextérité le sauva d'un accident stupide.
Eddie toujours collé à ses basques avait perdu une grande partie de sa dextérité et de sa coordination, il manqua une marche et finit sa descente des escaliers en roulant comme un rondin de bois.
Hugo lança un rapide regard en arrière, Eddie semblait encore plus mal en point, il aurait pu lui planter le couteau qu'il tenait dans n'importe quelle partie du corps et en finir rapidement avec cette poursuite stupide. Mais quelque chose lui disait que cette idée était vouée à l'échec. Dans cette circonstance, un échec équivaudrait à la mort.
En quelques derniers pas, Hugo arriva à la porte de sortie du restaurant universitaire de Boutonnet. Il l'ouvrit avec un grand coup de pied, en priant pour que personne de réellement vivant ne se trouve derrière.
La cour arrière du restaurant universitaire était vide. En quelques foulés, il atteignit le parking des employés. Encore quelques pas et il trouva la voiture d'Eddie. Il prit la clef dans la main et se prépara à gagner un record de vitesse d'ouverture de porte.
Sur le parking, la situation se présentait sous un mauvais jour, ce que redoutait Eddie et Jean-Mathieu se réalisait. Quelques personnes contaminées erraient sans but. Hugo ne pouvait pas les rater, elles avaient le teint blanchâtre et les yeux morts. De plus, la plupart arborait des blessures plus ou moins horribles. Il y avait cet homme en peignoir à qui il manquait un bras et que son moignon n'avait pas l'air de gêner outre mesure. Une femme avec un énorme trou dans le ventre laissait traîner ses intestins au sol. On aurait dit qu'elle accouchait d'un énorme serpent rouge.
Il y en avait cinq ou six comme ça qui se promenaient sans réellement se promener. Lorsqu'ils aperçurent Hugo, ils se précipitèrent sur lui comme des vautours sur un cadavre. Ce dernier ouvrit la portière de la voiture et y rentra le plus rapidement possible, il posa son couteau de cuisinier sur le siège du passager et commença à la démarrer.
La voiture : une 206 Peugeot assez récente, de couleur grise et en pas trop mauvais état. En général, dans un film d'horreur, c'est à ce moment précis que la voiture décide de ne pas démarrer. Par bonheur, Hugo n'était pas dans un film d'horreur. La voiture démarra au premier tour de clef.
Ce fut à cet horrible instant que le véritable propriétaire de la 206, Eddie, choisit pour faire exploser d'un coup de poing la vitre avant du passager. La main pleine de sang et la bave à la bouche, il empoigna vigoureusement Hugo par le cou. Ce dernier répondit par une manœuvre de repoussement aussi dérisoire que faible. Dans un second temps Hugo mit en marche la voiture, mais Eddie resta cramponné à son cou ce qui arracha au vivant un cri de douleur et un juron.
Les deux collègues se frappaient mutuellement, tandis que la voiture fonçait vers un mur. Hugo eut à peine le temps de changer de direction pour éviter l'impact. Sans le vouloir, il écrasa le type en peignoir manchot dont le corps fut étrangement arraché en deux à cause de la puissance de la voiture.
Hugo lâcha le volant et partit en recherche du couteau, de son autre main, il tenait en respect Eddie, il suffisait apparemment que ce dernier le morde pour qu'il rentre dans le club des cannibales.
Lorsque Hugo effleura son couteau de la main, il ne put s'empêcher de sourire, l'instant suivant, il l'enfonçait dans l'œil de son ancien collègue. L'arme finit dans le cerveau du contaminé qui lâcha prise et s'écroula au sol.
Dommage pour le couteau, pensa Hugo en reprenant le contrôle de la voiture.
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