introduction
La lumière blanche de l'ordinateur lui fatiguait les yeux. Il n'avait toujours pas trouvé le bouton pour régler la luminosité de son écran. Il y avait bien un petit signe au-dessous de sa touche F2 qui ressemblait à un petit soleil. Cette touche était certainement à mettre en relation avec le plus gros soleil qui le narguait sous la touche F3.
À vrai dire, ceci n'avait pas beaucoup d'importance dans sa situation. Il avait tout un tas d'autres préoccupations pour le moment.
« Tu sais ce qu'il m'a fait mon chef hier matin ? »
Il y avait une jeune femme avec laquelle il communiquait depuis de longues semaines. C'était une histoire simple et compliqué. Pour lui, la résumer serait très simple mais chaque jour qui passait la faisait devenir toujours plus complexe à ses yeux. Il y a une grande différence entre le spectateur et l'acteur.
Le spectateur dirait tout simplement : Antoine a rencontré Leila dans une école d'une obscure administration. Antoine et Leila se sont tout de suite bien entendu. Rapidement Antoine est tombé amoureux de Leila, mais comme rien ne se passe jamais comme prévu, Antoine a été muté à Dunkerque et Leila a été muté à Montpellier. Antoine discute sur Skype avec Leila depuis ce jour tous les soirs. Antoine est un con, il devrait soit laisser tomber et se trouver une Dunkerquoise, soit dire ce qu'il a sur le cœur à Leila.
L'acteur se remémorerait leur première rencontre dans cet amphithéâtre. Il se souviendrait de cette douce odeur de tabac mentholé et du sourire gêné de la belle brune. Il se rappellerait leurs premières paroles.
« T'es du Sud toi aussi ? »
Il se rappellerait des cafés interminables à parler du statut des fonctionnaires et des RGPP. Il se souviendrait de leur repas à la cantine administrative. Il reverrait la jeune femme dans une de ses plus belles robes à la soirée de fin de promotion.
Il revivrait l'amphithéâtre d'affectation où il n'avait pas eu d'autres choix que le nord du Nord.
Il y avait enfin ce moment, où il avait enfin compris qu'il éprouvait des sentiments pour la petite brune. C'était une de ces journées déprimantes comme Dunkerque savait en produire à la chaîne. Le genre de journée où l'on se demande si c'est la pollution ou le brouillard qui nous empêche de voir à 500 mètres. Une journée de plus passé loin de ses proches et une journée interminable. Une sorte de lonely day comme le chante si bien System of a Down.
Ce jour-là, il s'était dit qu'il aimerait revoir Leila et la méditerranée. Antoine avait reconnu qu'il aimait l'une comme l'autre et que les deux lui manquaient affreusement. La digue de Malo ne valait pas la plage de Carnon. Toutes les blondes Dunkerquoises n'arrivaient pas à la cheville du charme du soleil de Leila.
Antoine aurait beaucoup de choses à ajouter. Mais pour le moment, il n'y avait que le trou béant qu'il creusait chaque jour dans son cœur lorsqu'il voyait le visage souriant de celle qui se trouvait à 1042 kilomètres de lui par l'autoroute.
Ce qu'il y avait de pire, c'était qu'il ne savait pas si ses sentiments étaient partagés.
« Il t'a dit quoi ton chef hier ?
-Il m'a dit qu'il avait discuté avec ma chère et tendre collègue que j'aime tant...
-Oui cette brave Brigitte... »
Leila détestait profondément Brigitte, les deux femmes ne manquaient aucune occasion de se dénigrer l'une l'autre.
« Donc Brigitte lui a dit que j'avais oublié de pointer vendredi pour le repas de midi. Alors moi j'ai dit qu'elle n'avait pas à se mêler de mes horaires. En plus, j'avais bien pointé, mais un peu avant quand j'étais allé fumer une clope. Je suis sûr qu'elle attend le moindre faux pas pour me balancer au chef.
-C'est une situation bien pourrit que tu as chez toi ! Heureusement que de mon côté ça se passe mieux, j'ai la chance d'être dans une équipe un peu plus soudée que la tienne.
-Et en plus Brigitte n'a rien trouvé de mieux que de poser au dernier moment son vendredi pour le pont de la Toussaint. J'en ai rien à faire, mais moi, je ne reviens pas demain. Je me doute qu'il n'y aurait pas assez de gens pour que le service fonctionne normalement, mais j'en ai rien à faire. J'ai posé mon vendredi 2 novembre depuis au moins un mois et je n'ai pas l'intention de revenir pour la beauté du Service Public.
-Idem pour moi, j'ai pris un week-end prolongé et tout le monde se démerde sans moi demain au boulot. »
Dehors, une flamme bleutée brûlait au sommet d'une des usines du port. Antoine n'était pas Dunkerquois. Il n'entretenait pas de relation fusionnelle avec les usines qui pourrissaient l'air de la ville mais qui nourrissaient les travailleurs de la cité portuaire.
De nuit, les cheminées et les monstres de bétons et de ferrailles étaient éclairés tel une ville à l'extérieur de la ville. De temps à autre, des flammes s'envolaient à l'assaut de la nuit. Il y avait quelque chose d'extrêmement beau qu'Antoine refusait de comprendre. Il ne voulait surtout pas comprendre pourquoi toute la population Dunkerquoise prenait autant de plaisir à se réunir sur la digue du Break pour admirer ces merveilles conçues de la main de l'homme.
Les parents et les grands-parents d'Antoine n'avaient pas travaillé dans ces usines, ils venaient du Sud de la France. Toute la différence se trouvait là à vrai dire.
« Le Sud me manque Leila, dit Antoine en coupant presque Leila qui râlait encore à propos de la charte des temps.
-J'imagine bien, tu pourras muter dans quelques années et redescendre. C'est un mauvais moment à passer. »
Le mauvais moment avait débuté depuis le mois de septembre de l'an dernier. Une longue année et deux mois s'étaient écoulés depuis son affectation et il se morfondait. De temps à autre, il regardait sur internet la route la plus courte qui pourrait le ramener vers le soleil. Il avait déjà effectué deux fois le voyage. Il n'avait pu croiser Leila que durant de courts moments autour d'un café sur la place Jean Jaurès.
« Tu sais Antoine, même dans le Sud, il y a l'hiver.
-Il a fait quoi comme temps aujourd'hui, par exemple ?
-Justement c'est un mauvais exemple, il a fait un beau soleil et un bon petit 16 degrés.
-Voilà, moi à Dunkerque, c'est nuages entrecoupés de pluie sale et un bon petit 7 degrés. J'ajouterai que nous ne sommes même pas en hiver en plus!
-Je compatis à ta souffrance et sur ces bonnes paroles, je te souhaite une bonne et agréable nuit.
-Merci passe une bonne nuit toi aussi. Je t'embrasse.
-Bisou à toi, répondit-elle avant de couper la webcam. »
L'univers redevint calme. Non, il devint un peu plus déprimant. Antoine alluma une clope. Il se rendit à son balcon. La flamme bleu vacillait mais ne faiblissait pas. De loin, il ne distinguait qu'à peine le réseau sans fin des tuyaux qui s'entrelaçaient dans cette pseudo ville fantôme.
La mer était calme comme à son habitude. Il ne sentait pas l'iode. En fait, à Dunkerque on ne pouvait jamais se déboucher le nez avec la véritable odeur des flots.
La marée était très basse ce soir-là.
La marée... Antoine avait beaucoup de mal à s'habiter à ceci. La mer ne bougeait pas d'où il venait. Elle ne passait pas son temps à fuir pour mieux revenir. La mer méditerranée brillait par sa constance à l'inverse de sa compatriote du nord.
En bas, quelques jeunes passablement éméchés se promenait dans le rue de Malo tout en chantant une chanson paillarde du Nord qui parlait d'une certaine Rose Marie. Il y avait souvent des cris dans la rue, des couples offrant à tout le quartier les motifs de leur dispute, des alcooliques trop content d'avoir leur dose et toute sorte de fêtards qui se perdaient sur le chemin du retour.
Depuis qu'il avait quitté le Sud, Antoine n'avait pas réussi à faire une fête digne de ce nom. On lui avait raconté que les Nordistes étaient des fêtards dignes d'intérêt mais il n'avait pas encore trouvé la motivation nécessaire pour vérifier ces dires. Même le célèbre carnaval de Dunkerque n'avait pas encore réussi à le motiver.
Sa cigarette s'achevant, il l'écrasa dans le cendrier en se disant qu'un jour il arriverait à arrêter de fumer, mais que ce jour n'était pas encore aujourd'hui.
Antoine se glissa ensuite sous sa chaude couette. Son radio réveil affichait 1:13 du matin. Il sombra rapidement dans un sommeil sans rêve.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro