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La voiture avait bel et bien disparu. Il semblait bien que les autres amphithéâtres abritaient des survivants et que ces gens-là avaient eu la mauvaise idée de prendre l'automobile au moment de l'attaque des monstres. Il se pouvait aussi que des humains normaux passant dans la rue aient décidé de prendre la 206 pour fuir cet enfer.
Hugo ne s'intéressait pas vraiment aux réponses à ces questions. Les faits étaient bien là, pour fuir la ville le groupe devrait se trouver un autre moyen de transport. Apparemment ce genre de chose ne traînait pas vraiment dans le coin.
« On fait quoi ? Demanda Youssef, on retourne dans l'amphi pour se protéger ou on tente de rester dehors. »
Il y avait un bourdonnement qui se rapprochait dans le ciel, un peu comme une mouche gigantesque qui descendait vers la faculté de droit. Il semblait assez lointain pour le moment...
« C'est quoi ce bruit ? Demanda Samuel.
-On dirait que ça vient du cloître, dit Sonia, en tout cas le moins qu'on puisse dire c'est que ça se rapproche.
-Restez ici, je vais voir ! »
Pour la seconde fois de la journée, Hugo se surprit. Habituellement, il évitait de prendre des initiatives trop compliquées mais la fin du monde lui donnait des ailes. En tout cas, son revolver fraîchement rechargé lui donnait un peu plus confiance en lui. C'était fou de penser à la manière dont cette arme de mort inhibait toutes ses peurs.
Sans attendre l'assentiment des autres, il partit vers le cloître. La fac de droit était étrangement vide, avaient-ils eu le temps de tuer tous les monstres ou en restait-il quelques-uns qui erraient sans but ?
Les cadavres tués tout à l'heure dans le cloître n'avaient pas bougé. Le policier, le professeur de droit et le jeune étudiant gisaient dans leurs étranges positions. Le ciel était d'un bleu pur, aucun nuage ne le traversait.
À une certaine hauteur, Hugo aperçut un avion. L'appareil descendait à une vitesse folle. Il était la source du bourdonnement. Plus il se rapprochait et plus il grossissait. L'appareil était un avion civil, certainement un quelconque Airbus.
Bien qu'aucune fumée ne s'échappait du réacteur, la vérité le terrorisa : l'avion s'écrasait. Hugo n'avait aucune idée de sa trajectoire, mais il n'avait pas envie d'être en dessous durant l'impact. Plus il regardait l'appareil plus il se disait que l'avion allait se crasher sur la faculté.
Au moment où il comprit cela. Ses pieds se mirent à courir. Il retourna dans le hall en s'égosillant :
« Fuyez vite ! Un avion arrive ! »
Passé le premier instant d'incrédulité, les autres survivants s'engagèrent eux aussi dans une course effrénée. Derrière eux, le bourdonnement s'amplifia jusqu'à devenir plus puissant que les cris d'Hugo. Le sol tremblait, certaines vitres de la faculté explosèrent. Des centaines de pigeons s'envolèrent pour fuir en tout sens.
Hugo sortit de la faculté de droit en se bouchant les oreilles. Mais avant d'avoir le temps de mettre un pied dans la rue de l'école Mage, l'avion s'écrasa.
En fait, Hugo ne savait pas vraiment à quoi s'attendre. Le bruit du choc fut assourdissant même pour lui qui avait pris ses précautions.
La terre se secoua avec toujours plus de virulence, les quelques humains qui fuyaient l'avion tombèrent au sol.
Puis ce fut l'explosion, la moitié du bâtiment un tomba en ruine d'un seul coup. Les flammes pénétrèrent le hall du rez-de-chaussée en faisant fondre tout ce qui pouvait l'être. Les vitres de la sortie volèrent en éclat dans le plus pur délire. Plusieurs bouts de verre atterrirent sur Hugo mais ce dernier ne s'en tira qu'avec quelques égratignures.
Le premier étage s'effondra dans le hall en faisant voler des centaines de tonnes de poussières et de débris. Le souffle atterrit sur Hugo qui se retrouva tout d'un coup aussi blanc que s'il avait sauté dans un sac de farine. Une nouvelle explosion agita l'air montpelliérain. La fumée issue du kérosène en feu prit Hugo au nez.
Ce dernier se releva en toussant. Il tituba sur quelques mètres, ses oreilles bourdonnaient et il avait du mal à comprendre ce qui venait d'arriver exactement. La terre tremblait encore. Pendant l'espace d'un instant, il comprit ce que les soldats de la seconde guerre mondiale avaient dû endurer. Il se souvenait de scènes issues de plusieurs films de guerre comme il faut sauver le soldat Ryan ou son ersatz français Indigène. Le genre de scène ou le héros est sonné après qu'une roquette ait explosé près de son oreille.
Il aperçut des formes derrière le nuage de poussière. Ce devait certainement être ses amis. Il leur cria qu'il allait bien et qu'il fallait fuir, mais il ne s'entendit pas parler. Il hurla de plus belle en se dirigeant vers eux.
Lorsqu'il émergea de la fumée, Youssef pointait le Glock du professeur sur lui. En le voyant, il dit quelque chose qu'Hugo ne comprit pas, ce satané bourdonnement ne voulait pas partir. Il couvrait tous les autres sons.
Tout le monde était couvert de gravats, un peu comme les survivants du 11 septembre qui fuyaient les tours jumelles en pleine déliquescence. Hugo se sentit très américain pour le coup, il avait envie de remercier Dieu d'être toujours en vie. Il comprenait presque leur peur des avions et des attentats.
Il suivit bêtement les autres. Le retour dans l'amphithéâtre n'était plus d'actualité. Le groupe suivait Youssef. Il se dirigea d'un pas vif vers la rue de l'Université. Le bourdonnement aux oreilles d'Hugo semblait perdre en intensité, mais il n'entendait toujours rien.
Sonia se mit à son niveau et lui dit quelque chose qu'il ne comprit pas. Elle avait l'air de s'inquiéter pour sa santé. Étrangement, il la trouva touchante, il n'avait pas l'habitude que l'on ne s'inquiète de son sort. Depuis qu'il avait compris ses sentiments envers la jeune fille, il la trouvait de plus en plus belle. Par le passé, il n'avait jamais pensé sortir avec une fille un peu ronde, d'ailleurs toutes ses anciennes conquêtes étaient filiformes. À présent, il ne savait pas si c'était la fin du monde qui lui faisait cet effet-là ou l'indifférence flagrante d'Émilie, mais il changeait de canon de la beauté. En fait, il se disait que la beauté n'était pas seulement extérieure. Émilie avait un corps parfait mais à l'intérieur elle n'avait jamais cessé de profiter du jeune homme. A l'inverse, Sonia ne répondait pas au dictât de la mode, mais à l'intérieur elle était tellement gentille et attentionnée, avec elle, on se sentait exister.
Elle ne passait pas son temps à vous rappeler que les autres étaient mieux que vous.
Hugo balbutia qu'il allait bien et qu'il n'était pas blessé. Cette fois-ci il entendit sa voix, mais de très loin. Il reprit confiance, la surdité qui le frappait ne durerait pas.
La rue de l'Université était un problème beaucoup plus conséquent. En haut de la rue, des monstres se rassemblaient tandis que le bas avait été détruit par l'avion. Lorsqu'ils virent le petit groupe de vivants, les morts vivants chargèrent comme un seul homme. Passer par le bas était impensable, des centaines de décombres de l'avion encore en feu se consumaient sur toute la route. Bien qu'à une bonne distance du groupe des vivants, les monstres bloquaient le haut de la rue.
Heureusement, dans la continuité de la rue de l'école mage, une venelle montait à pic en s'engouffrant entre des bâtiments centenaires. Les six humains prirent cette route sans se poser de question.
La course qui suivit, fit amèrement regretter à Hugo son penchant pour la cigarette. Montpellier comme son nom l'indiquait, était construit sur un mont. Ce jour là plus que tout autre, Hugo regretta que les Guilhem, les fondateurs de la ville, n'aient pas eu l'idée de construire leur patelin sur une plaine.
La venelle devait certainement être interdite aux véhicules. Aucune voiture digne de ce nom ne pouvait la grimper. De plus, la municipalité avait ordonné des travaux. Dans certains endroits, les dalles n'avaient pas été posées et on marchait sur une sorte de terre rouge.
Les monstres ne se formalisèrent pas du pourcentage de la côte ou de sa voirie. Ils se bousculèrent à grand renfort de grognements pour poursuivre les pauvres humains qui voyaient leur maigre avance se réduire comme une peau de chagrin.
Arrivé au sommet de la rue, Hugo remercia encore le seigneur de ne pas être mort d'une crise cardiaque. En fait, en y réfléchissant un peu, il se dit qu'il préférait mourir plutôt que de rejoindre le rang de ces choses qui montaient la rue avec une vitesse contre nature.
Hugo entendit Bertrand le jeune balayeur parler, mais il ne réussit pas à déchiffrer ce que sa voix disait. Youssef accourut pour aider Bertrand à saisir une poubelle. Dans un premier temps, Hugo se demanda ce que les deux hommes comptaient faire ou s'ils n'avaient pas tout simplement perdu la tête.
Puis, il comprit. La poubelle roulait ! Les deux hommes lancèrent la grande cuve sur roulette qui était pleine. Elle dévala la pente à une allure hallucinante. Hugo fut surpris de constater à quel point cet engin pouvait aussi facilement devenir une arme, s'il était employé par des gens assez inventifs.
Le premier mort vivant sur sa route était un jeune homme visiblement sportif qui ne comprit pas exactement ce qu'il se passait. En même temps vu qu'un de ses yeux avait été enfoncé dans son orbite on pouvait le comprendre. Le choc le projeta en arrière, il tomba sur la tête. La seconde suivante, la poubelle continuant sa route l'écrasa en se couchant sur un côté. Les autres monstres ne subirent pas autant de dégâts que le premier mais ils furent ralentis pour quelque temps.
La course reprit. Hugo suivait sans vraiment oser prendre la première place. Il laissait Bertrand en avant. Le jeune homme fan de tecktonik connaissait un peu plus les rues de la ville que tous les autres réunis.
Il tourna dans une autre venelle vers la droite. Hugo avait déjà parcouru ces allées mais en général il le faisait la nuit et avec une quantité non négligeable d'alcool dans le sang.
Ces rues se ressemblaient toutes, il y avait des tas de vieux bâtiments. Le genre d'immeuble qu'un simple étudiant ne pouvait pas se payer. Derrière ces murs, il devait y avoir des jardins luxuriants. Les portes ne payaient pas toujours de mine mais elle cachait certainement l'opulence.
Le cœur d'Hugo battait à tout rompre. Il crachait ses poumons à chaque souffle. Le seul point positif était que les acouphènes dans ses oreilles disparaissaient peu à peu. Il commençait à réentendre le bruit de ses bottes martelant le sol. Au bout de quelques minutes de course, il ne lui restait plus dans les oreilles qu'un léger bourdonnement qui ne couvrait plus aucun bruit. La peur de devenir sourd à tout jamais disparut alors, il poussa presque un « ouf » de soulagement mais il préféra retenir le peu de souffle qu'il avait encore.
Même Sonia qui avait certainement quelques kilos à perdre avant d'être une grande sportive s'en tirait mieux que lui. Il y avait aussi tout ce sang qui lui collait à la chemise, le sang de Rémi entre autre. Le pire était certainement les bottes coquées qu'il mettait habituellement au resto u mais qu'il n'avait pas pensé à enlever depuis.
La course à travers Montpellier s'avérait aussi fatigante que futile. Où se dirigeait le groupe ? Quel était l'itinéraire du balayeur ? Nul ne le savait ou semblait s'en préoccuper.
Les rues défilaient sans but précis, Bertrand tournait assez souvent, soudain il déclara en regardant derrière :
« On les a semés ! On a dû les perdre quelques parts. On peut ralentir...
-Putain... Hoqueta Hugo, putain, c'est dur, ça fait un bail que je n'ai pas couru comme ça !
-Je te l'ai toujours dit, énonça Émilie sans que sa voix ne paraisse essoufflé, tu devrais venir faire du sport avec moi de temps à autre autour du stade Philipidès. Tu n'écoutes jamais mes précieux conseils.
-Avec tes conseils j'aurais la coupe de cheveux de Bertrand !
-Oui et tu aurais une copine !
-Tu as raté un épisode, ma pauvre Émilie ! J'ai une copine. »
Sonia lança un regard noir à Émilie. Elle offrit ensuite un de ses plus beau sourire à Hugo. Il avait fait un bon choix en l'embrassant tout à l'heure. Elle n'avait pas résisté comme si elle attendait ça. D'ailleurs peut-être qu'elle attendait vraiment ça depuis quelque temps. Depuis combien de jours ou combien de mois voulait-elle sortir avec lui ?
Peut-être qu'en fait, elle l'aimait secrètement depuis tout ce temps et qu'elle écoutait patiemment toutes les histoires qu'il racontait sur Émilie. Il trouvait tout d'un coup qu'elle avait eu beaucoup de courage pour supporter cette situation. Il la comprenait totalement car il avait vécu la même situation avec Émilie. Il espéra n'avoir pas été trop désagréable avec elle. Peut-être lui avait-il souvent fait de la peine ?
« On va où maintenant ? Demanda l'enfant qui reprenait lui aussi son souffle.
-Il faut qu'on quitte la ville, vous ne pensez pas ? Dit Youssef. »
Hugo avait le même avis sur cette question depuis le début. Son rêve du moment était de quitter cet enfer au plus vite, mais les événements et surtout Émilie l'avait contraint à d'autres choix.
« Je connais des gens qui pourront nous aider à survivre, dit Émilie. »
Cette fille connaissait toujours des gens pour toutes sortes de situation. Elle avait couché avec la plupart de ces gens. Certes elle n'avait jamais couché avec Hugo, mais il était bien le seul à ne pas avoir eu cet honneur. Ce dernier se doutait même qu'Émilie avait dû avoir plusieurs rapports lesbiens. Elle parlait toujours du plaisir saphique avec une sorte de petite lumière dans les yeux. À vrai dire plus rien n'étonnerait Hugo à propos d'Émilie.
« Où sont ces gens ? Demanda Sonia avec une pointe de sarcasme dans la voix, si ça se trouve ils sont mort depuis longtemps ou ils ont été transformés en monstres depuis belle lurette.
-Mes connaissances ne sont pas du genre à mourir facilement, ils risquent d'être dans un magasin d'armes près de la gare. Pour tout vous dire, ils se préparent à la troisième guerre mondiale depuis des années. Ils étaient persuadés que les arabes allaient nous envahir !
-C'est pas un peu une bande de connards racistes ? Demanda Youssef avec une pointe de haine dans le ton.
-Non pas du tout, je ne les trouve pas si racistes que ça, ils pensent à se protéger. »
L'idée de rejoindre une bande de fanatiques de la gâchette, amis d'Émilie n'enchantait guère Hugo, mais il devait reconnaître qu'il ne pouvait pas passer les prochaines heures à courir sans mourir à un moment où à un autre d'une crise cardiaque.
Les monstres ne traînaient pas dans le coin et Hugo les remerciait presque d'avoir d'autres gens à agresser et à essayer de manger. Les rues de la ville étaient vides, il n'y avait même pas un chat qui pointait le bout de son nez.
Bertrand reprit le commandement des opérations. Il marchait d'un pas rapide, tout en essayant d'oublier la folle course qu'ils venaient tous de faire. Hugo reprenait son souffle. Il marchait près de Sonia.
Peu à peu ils se rapprochèrent, leurs mains se frôlant. Puis comme s'ils avaient fait ça toute leur vie, ils se prirent la main. Elle avait une main chaude alors qu'Hugo se sentait de plus en plus glacé avec sa simple chemise de plongeur. Son contact était doux et réconfortant. Comment avait-il pu passer à côté de ça pendant autant de temps ?
Hugo avait besoin d'autres vêtements. Le point négatif était qu'il n'avait pas d'argent sur lui, le point positif était que l'argent ne valait certainement plus grand-chose dans ce bas monde. Il trouverait certainement un magasin de vêtements et il ferait comme tout bon américain dans ce genre de situation, il balancerait une poubelle pour massacrer la vitrine.
Bertrand prenait un soin extrême à éviter toutes les places et toutes les artères de la vielle ville. Le groupe passa à côté de la place Jean Jaurès avec tous ses bars à la mode. Hugo n'aimait pas le coin, les filles étaient trop sophistiquées et elles passaient leur temps à distribuer des râteaux.
À l'inverse, les hommes allant dans ces bars ressemblaient tous à des gays. La plupart devait être hétéro mais il ne devait certainement pas être contre un petit coup de gode ceinture. Montpellier était une ville très ouverte.
Ils aperçurent la place de loin, quelques monstres marchaient sans but en se bousculant comme s'ils ne voyaient pas à deux mètres. Aucune de ces choses ne fit mine de les voir. Le groupe de vivants continua sa course en descendant vers la place de la comédie.
Ils marchaient toujours dans des venelles qui cette fois-ci étaient parallèles à la rue de la Loge, la grande artère du centre-ville où des dizaines de milliers de personnes se croisaient chaque jour.
Au détour d'une rue, ils arrivèrent en vue de la place de la Comédie. Les bars chics et chers étaient toujours là, ainsi que les statues des trois Grâces perchées sur leur fontaine. Les trois femmes de pierre étaient nues, leurs petits seins étaient visibles par tous les monstres qui traînaient alentour.
En matière de monstres, la place de la comédie n'avait pas à rougir. Des centaines de morts vivants marchaient sans but. Ils avaient des blessures plus horribles les unes que les autres. Certains n'avaient même pas de jambes et ils rampaient au sol comme des larves, en traînant leurs boyaux derrière eux.
Un seul coup d'œil suffit au six vivants pour savoir que la place de la comédie n'était pas la meilleure des options. Il faudrait au moins une armée pour passer par là. Il faudrait aussi avoir beaucoup plus d'armes à feu.
« On a pas le choix, dit Émilie, le magasin d'armes se trouve juste derrière. On devrait pouvoir trouver un moyen de passer.
-Ben si des ailes nous poussent dans le dos, répondit Hugo, on pourra facilement s'envoler dans le ciel et rejoindre tes amis les grands malades.
-Ils sont notre seule chance et tu le sais pertinemment. Tu ne comptes pas combattre l'armée des monstres avec ton seul revolver quand même ?
-Attendez ! Coupa Youssef, on ne peut pas passer par les airs et on ne peut pas passer par la terre.
-Oui on avait remarqué, répondit Émilie avec un peu trop de dédain.
-Il faut qu'on passe sous la terre, par les égouts !
-C'est une putain de bonne idée mec, intervint Bertrand. »
Aussitôt lancé, l'idée convainquit rapidement tout le monde. La bouche d'égout la plus proche se trouvait dans une rue qui allait directement sur la place de la comédie. Les six survivants s'élancèrent vers cette entrée en espérant qu'aucun des morts vivants ne les verrait.
Leur espoir fut rapidement contrecarré. Un groupe de monstre lança un grognement et plusieurs centaines d'autres accoururent vers la source du signal. En quelques secondes et dans la plus parfaite anarchie, le groupe des cannibales s'élancèrent vers les humains.
À mi-parcours, La bouche d'égout se présenta devant le petit groupe de vivants. Ils la soulevèrent sans difficulté grâce à la hache que Bertrand avait récupérée et entrèrent dans les ténèbres. L'idée qui avait paru si intelligente quelques secondes auparavant s'avéra rapidement être une idée totalement stupide. En effet, à l'intérieur des boyaux de la ville aucune lumière ne filtrait.
Aucun des survivants n'avaient de lampe torche et la seule idée qu'ils trouvèrent pour avoir de la lumière fut d'allumer leur téléphone portable.
Cela leur évitait de trébucher sur des immondices mais ça ne leur indiquait pas leur chemin à plus de deux mètres. Les égouts étaient un tunnel très étroit et puant. Il fallait baisser la tête pour pouvoir avancer. Jacob par sa petite taille était à la bonne hauteur pour une fois.
Hugo passa en dernier, il referma la bouche d'égout et plongea tout le monde dans le noir. Les morts vivants s'acharnèrent sur la plaque de métal, mais sans leur cerveau, l'ouvrir risquait d'être assez difficile. Comme tout le monde il alluma son téléphone pour profiter du peu de lumière qu'il diffusait.
La silhouette de Sonia se dessinait devant lui. Elle tenait par la main le jeune garçon. Hugo fut assez content d'avoir des bottes, le sol était recouvert d'un liquide dont il doutait de plus en plus que ce soit de l'eau. Ce liquide lui arrivait jusqu'aux chevilles. Alors que les autres devaient avoir les pieds trempés, il gardait les siens bien au sec. De temps à autre, il fallait encore plus baisser la tête de peur de se prendre un tuyau dans la figure. Apparemment de l'eau courait toujours à l'intérieur.
Bertrand était encore à la première position, le seul souhait d'Hugo était que le jeune homme connaisse aussi bien le sous-sol que la surface. Les égouts ne lui plaisaient pas. Il sentait revenir de vieux relents de claustrophobie. Le tunnel lui semblait tout d'un coup tellement petit. Il se demanda ce qui arriverait s'il s'effondrait. Personne ne penserait à les retrouver. D'ailleurs, il n'y aurait plus personne pour s'inquiéter de leur sort.
Rectification, mon pauvre Hugo, pensa-t-il, il n'y a déjà plus personne pour s'inquiéter de nous, tout le monde est mort ou en passe de le devenir.
Leurs pas résonnaient dans les ténèbres, Hugo les entendait plutôt bien, le bourdonnement dans ses oreilles avait quasiment disparu. Pour l'avenir, il devait noter de ne pas se trouver près d'engin pouvant ou ayant tendance à exploser.
Devant lui dans la pénombre oppressante, Jacob trébucha, Sonia l'aida à se relever. Hugo ne chercha pas à savoir ce qui avait fait tomber l'enfant. Comme tout le monde il avait entendu plein de légendes urbaines sur les égouts dans les grandes villes. La plupart devait être infondé, mais il ne comptait pas se retrouver face à face avec un crocodile mutant mangeur d'homme.
Depuis combien de temps le groupe crapahutait-il dans les égouts ? Depuis que les survivants avaient pénétré dans le tunnel, l'apprenti plongeur trouvait le temps de plus en plus long. L'idée de ne plus avoir d'oxygène et celle d'un éboulement l'obsédaient. Il n'osait pas prendre de grosses goulées d'air pour ne pas vomir. Ça n'était pas une surprise mais les égouts puaient la merde et la pisse, ils empestaient aussi la pourriture et des tas d'autres relents plus ou moins connus.
Soudain le tunnel s'agrandit et ils purent relever la tête, la claustrophobie d'Hugo ne disparut pas. Ils croisèrent un embranchement de tunnel. Le jeune homme pointa son téléphone mais à part les deux premiers mètres, il ne put rien voir de plus précis. Cela n'était pas fait pour le rassurer, que pouvait-il bien se cacher dans les intestins de la ville ?
Il coupa court à sa réflexion sur les habitants des sous-sols de Montpellier qui n'existaient que dans sa tête de claustrophobe.
Le tunnel déboucha dans un grand bassin rond. Sur le plafond, il y avait des machineries et tout un assemblage de tuyaux qui projetait de l'eau quelque part.
« On doit être sous la fontaine des trois Grâces, énonça Bertrand comme s'il parlait à une classe remplie de crétins. »
Le bassin était rempli d'eau, l'odeur de merde avait disparu depuis l'embranchement précédent. Chacun à leur tour, les six survivants sautèrent dans le bassin en poussant de grande exclamation une fois dans l'eau.
Hugo fermait toujours la marche, il se jeta dans l'eau en prenant bien soin de garder son téléphone et son revolver hors du liquide. Il n'avait pas envie de voir ce que l'eau pouvait faire à ces deux instruments. Il pensa un peu tard qu'il y avait des balles dans sa poche, mais il ne devait en rester que trois ou quatre.
En atteignant l'onde ridée coulant sous les Trois Grâces, il comprit pourquoi tout le monde poussait un cri de surprise. L'eau était plus que fraîche, elle était froide. Elle lui arrivait au niveau de la taille. Hugo se retrouva donc les couilles dans l'eau ce qui lui fit pousser un cri très féminin.
Une petite échelle remontait vers le tunnel suivant. Comme Bertrand semblait savoir où il allait, personne ne critiqua ses choix. Il ne venait même pas à l'idée pour Hugo de juger l'itinéraire du balayeur, par contre, il pensait de plus en plus que ce type aussi sympathique soit-il avait une coupe de cheveux qui lui aurait certainement valu la guillotine dans d'autres circonstances.
Le boyau suivant qui devait traverser la ligne de tramway et la suite du parcours était vide, il n'y avait pas une seule goutte d'eau dans les parages. L'odeur était bien moins pestilentielle que dans le premier traversé. Par contre, le groupe devait à nouveau marcher la tête baissée.
De temps à autre, il y avait au-dessus de leur tête une bouche d'égout ronde qui lançait un faible rai de lumière. Mais cela restait plutôt anecdotique et n'apportait pas de réelle clarté. Ils devaient se contenter pour le moment de la lueur blafarde de leur téléphone portable.
Après une intersection et trois bouches d'égout supplémentaires, Bertrand fit arrêter le groupe.
« Je pense que c'est ici, déclara-t-il, je vais monter en premier pour voir si la route est dégagée. »
Hugo ne voyait pas son interlocuteur, mais sa voix résonnait sur les parois exiguës du monde souterrain de Montpellier. Il entendit ensuite des bruits de pas montant un escalier en fer. À la fin, la lumière apparue enfin en descendant en cascade. La clarté du jour était éblouissante à tous ces yeux s'étant habitués aux ténèbres. Quelques secondes plus tard, le murmure de la voix du balayeur leur dit que la voie était libre. Sans se presser, tous les survivants sortirent.
Hugo prit une bonne bouffée d'air pur, il retrouvait enfin les grands espaces de la ville. Avant qu'il ne puisse remercier Bertrand de les avoir menés à bon port, une voix rugit à une fenêtre.
« Barrez-vous d'ici les bougnoules et les négros ! »
Devant eux se dressait un vieil immeuble montpelliérain. Au rez-de-chaussée, il y avait un magasin de couteau et de diverses armes qui était fermé par une grille en fer. Plusieurs types de couteaux et d'épées étaient exposés dans la vitrine. L'homme qui venait de crier devait avoir la cinquantaine, il avait rasé ses cheveux ce qui rendait sa figure encore plus dure qu'elle n'aurait dû l'être. En fait, il ressemblait à la caricature du vétéran américain du Vietnam.
Dans ses mains, une sombre mitraillette pointait les six survivants. Au moindre geste mal interprété Hugo se dit qu'ils finiraient tous avec du plomb dans la cervelle.
« Robert ! C'est moi, c'est Émilie !
-Mais c'est ma petite salope ! Désolé de t'avoir prise pour une casseuse islamique. Fred bougre de crétin va ouvrir à ma petite salope ! Bouge ton putain de cul de fils de pute ! »
La grille s'ouvrit, un adolescent tout penaud et arborant le look du parfait petit skinhead des Dock Martens, au blouson noir en passant par le jean retroussé, les enjoint d'entrer au plus vite en regardant si les monstres ne se précipitaient pas déjà dans leur direction.
Un petit groupe de morts vivants lançait déjà quelques cris gutturaux en direction des humains au milieu de la route. En quelques foulées, ils s'approchèrent dangereusement du groupe des vivants. Hugo ne se fit pas prier pour entrer dans l'armurerie. Pour une fois, il laissa à Youssef le soin de fermer la marche.
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