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Son bras la grattait et elle se sentait tellement fatiguée. Le tangage de l'appareil aurait bientôt raison d'elle et malgré le bruit elle sentait qu'elle pourrait facilement dormir. Elle n'avait pas l'habitude de passer des nuits blanches. D'ailleurs, elle n'avait pas l'habitude de faire des choses de ses nuits. Certes il lui arrivait de se toucher une fois qu'elle était sous ses draps, mais ce n'était pas vraiment comme si elle sortait pour s'amuser.
La nuit qu'elle venait de passer avait été la plus longue nuit de son existence. Il avait fallu se barricader dans la mairie alors que peu à peu les monstres les encerclaient et commençaient un siège. Plongés dans le noir le plus total, ils avaient regardé les morts vivant se repaître des chairs de ceux qui n'avaient pas eu la chance de s'abriter dans la mairie.
Joséphine avait cherché ses pères, mais aucun d'eux n'avait répondu à son appel. Elle ne savait pas exactement pourquoi, mais elle avait pleuré toutes les larmes de son corps. Personne ne lui avait remonté le moral ou lui avait prêté la moindre attention. Les quelques survivants passaient le temps à défendre le bâtiment face aux attaques répétées des monstres.
Personne ne lui confia de tâche, elle décida de ne rien faire. Même si elle avait vraiment voulu dormir, elle en aurait été empêchée par les cris incessants des monstres. De toute manière, elle voulait porter le deuil de ses pères jusqu'au matin. Certes, ils n'étaient jamais de bonne humeur et ne lui prodiguaient pas beaucoup d'attention, mais elle était attachée à ces deux hommes et à leurs petites manies.
Durant les longues heures qui la séparaient du matin, elle avait eu le temps de réfléchir à sa vie. Le prince charmant se faisait désirer, il n'avait toujours pas daigné frapper à sa porte pour faire le tour du monde. En même temps, faute de prince charmant, elle avait cherché un homme à peu près potable, mais cette recherche avait créé plus de soucis qu'elle n'en avait résolus.
Au fond de son cœur, elle ne se voyait pas vivre célibataire. Elle ne se voyait pas comme ces vielles filles du village qui entretenaient un ressentiment gigantesque contre tous les hommes de leur vie. Elle ne voulait pas devenir amère.
Elle avait passé ces cinq dernières années à espérer un avenir. L'avenir n'était jamais venu. Pendant cinq ans, elle avait répété les mêmes choses, commis les mêmes erreurs et attendu en vain que quelque chose se passe.
Dans les premiers temps, lorsqu'elle était sortie de l'école, elle s'était mise à la recherche d'un travail. Au bout de plusieurs mois de démarchage inutile, elle avait abandonné pour quelque temps le monde du travail. La pause dans la recherche d'un travail durait depuis plus de quatre ans.
Dans un second temps, elle s'était perdue dans de multiples relations à distance avec toutes sortes d'hommes. La plupart du temps, cela finissait mal. Pour ça aussi elle avait fait une pause. En fait, ses pères l'avaient contrainte de faire une pause, vu qu'elle n'arrivait pas à se choisir un garçon sensé. Là aussi la pause avait duré un peu trop de temps.
À force de ne plus voir personne, elle se referma sur elle-même et fit une dépression. Personne ne vint l'aider, parce que personne ne s'intéressait à elle.
Sa lâcheté l'avait empêché de mettre fin à ses jours. Mais l'idée la hantait toujours de temps à autre.
La plus intéressante chose qui lui était arrivé depuis cinq ans, c'était la fin du monde. Elle devait reconnaître qu'elle avait très peur pour son présent et pour son avenir, mais pour la première fois depuis très longtemps, elle avait une envie farouche de vivre. Elle ne voulait pas servir de nourriture aux monstres et elle était curieuse de savoir ce qui allait se passer après. Elle voulait voir ce que le monde deviendrait et éventuellement participer à sa reconstruction. Elle avait enfin retrouvé de l'espoir dans la vie.
L'attente dans la mairie n'avait pas duré jusqu'au petit matin. Vers la fin de la nuit, de vieux hélicoptères de transport militaire arrivèrent. Lorsque les géants d'acier se posèrent, les monstres lancèrent une vaste offensive sur les militaires. Ce fut ce moment que le maire choisit pour faire une sortie en direction des secours.
Joséphine ne se souvenait pas exactement de ce qui s'était passé à ce moment-là. Elle avait des flashs d'images ou des sons rémanents qui lui revenait de temps à autre à l'esprit. Il y avait eu des cris, des bousculades, des balles qui fusaient, des pleurs, du sang, de la merde, au moins l'explosion d'un hélicoptère et enfin il y avait ce monstre qui l'avait mordue.
Finalement, elle avait réussi à entrer dans la soute de l'appareil où elle se trouvait encore à présent alors que le soleil se levait petit à petit.
L'appareil se dirigeait vers Montpellier pour aller chercher quelques survivants qui avaient envoyé un message radio la veille au soir. Joséphine connaissait un garçon qui habitait cette ville, elle l'avait rencontré grâce à Internet, même s'ils n'avaient jamais eu l'occasion de se rencontrer.
Elle le trouvait très patient et très sympathique lorsqu'il écoutait tous ses problèmes sur Skype. Ce qu'elle ne savait pas et qu'elle ne saurait jamais c'était que ces discussions étaient une vrai torture pour le garçon.
Ce jeune homme aimait une autre fille plus que tout, elle s'appelait Émilie et les rares fois où le sujet venait sur le tapis, il aimait dire que cette fille était la plus belle et la plus gentille. Joséphine pensait qu'il en parlait avec ces mots afin de lui rappeler qu'elle n'était pas jolie.
L'oiseau de métal avançait dans la plaine languedocienne. À l'horizon, Montpellier se dessinait dans la pénombre. En se rapprochant, ce qui étonna le plus Joséphine ce fut toutes les colonnes de fumée qui s'élevaient dans le ciel. C'était comme si la ville entière était la proie des flammes. Elle se demanda si Hugo avait pu réussir à survivre.
Son bras la grattait de plus en plus, elle ne voulait pas montrer qu'elle avait été mordue. À la télé, il disait qu'une morsure suffisait pour se transformer en monstre, mais elle ne croyait pas la télé, elle se disait qu'elle pouvait quand même passer à travers le virus. Avec de la chance, elle serait peut-être immunisée contre l'action de ce ravage. Dans la famille, on avait de bonne défense immunitaire. Certes ces deux pères avaient le Sida, mais ils avaient su développer une grande résistance au virus ce qui leur avait permis de rester en vie.
Montpellier sous ses pieds, elle avait ses yeux qui se fermaient tout seul. Elle pouvait bien dormir pendant quelques instants. Entre deux clignements d'œil elle voyait la tour du Triangle la plus haute tour de la ville s'approcher de plus en plus vite.
Ils seraient arrivés dans moins de cinq minutes. Cela lui laisserait tout le temps pour un petit somme.
Elle ferma les yeux et mourut le virus avait gagné.
Lorsqu'elle ouvrit les yeux, elle sut qu'elle n'était pas morte. Elle sut qu'elle n'était plus humaine. Elle était quelque chose de supérieur à l'espèce humaine. C'était comme si son cerveau s'était réveillé après un sommeil de toute une vie. Elle pouvait sentir ses amis, les gens comme elle dans les rues de la ville. Elle pouvait leur parler et ils répondaient.
De son ancienne vie, il ne restait rien à part les fonctions motrices de base. Elle ne savait plus comment elle s'appelait, elle ne savait pas pourquoi elle volait dans le ciel et elle ne pouvait même plus penser aux oiseaux car elle ne savait pas ce que c'était. Elle ne savait même plus agir d'une autre manière que par la violence, elle aurait été incapable d'ouvrir une porte ou de serrer une main pour dire bonjour.
Enfin, il y avait cette conscience supérieure et ultime qui lui criait des ordres :
« Tue les non éveillés, mange-les !!! »
Les non éveillés brillaient avec obscénité. Elle devait les frapper et les mordre jusqu'à ce que cette lueur disparaisse. Elle devait accomplir les volontés de cette conscience supérieure.
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