18
Un jour, il y aura du bonheur, pensait Joséphine. Mais elle savait que ce jour n'était pas aujourd'hui et certainement pas demain. Papa 1 mangeait des pâtes bolognaises tandis que Papa 2 n'avait avalé que la salade en boycottant tout le reste. Il en avait plein le cul des plats de merde que la femme de la maison préparait. Il aurait préféré se faire la cuisine tout seul, mais Papa 1 lui interdisait formellement de toucher à tout ce qui avait un rapport avec le manger.
Joséphine aimait pourtant sa manière de cuisiner, mais apparemment elle était la seule dans ce cas. Papa 1 la critiquait tout le temps, mais il mangeait pour la simple raison qu'il avait faim et aussi parce qu'il fallait bien manger quelque chose avec la trithérapie. Papa 2 n'avait pas ce problème, il avait décidé de ne plus prendre ses médicaments depuis que le monde avait décidé de s'achever.
À part qu'un virus mortel transformait les gens en malade cannibale, la vie suivait son cours normalement. Son petit village ne semblait pas être touché par ce fléau et pour l'instant tout le monde faisait comme si rien ne se passait. Joséphine était même sortie pour acheter le pain. Certes les gens ne parlaient que de ça et ils faisaient des réserves de nourriture mais rien d'extraordinaire ne se produisait actuellement à Foissac petite commune près de Nîmes. Trois cents âmes vivaient paisiblement aux milieux des vignes, des champs de blé et des terres en friche. La plupart était des vieux et question animation il n'y avait pas grand-chose à faire. Les riches anglais aimaient bien le calme du sud de la France et ils rachetaient de plus en plus de maisons dans le village. Mais ils venaient quand il faisait beau et partaient quand les pluies leur rappelaient trop leur Angleterre.
L'arrivée, il y avait quelques années d'une famille homosexuelle n'avait pas été très bien vue, mais les vieux du village s'étaient habitués à Papa 1 et à Papa 2. Ils discutaient volontiers avec Joséphine bien que derrière son dos on l'appelait « la fille des pédés ».
À la fin du repas, elle débarrassa la table et fit la vaisselle comme tous les jours depuis... Eh bien depuis un temps qu'elle ne prenait plus la peine de compter. Après la vaisselle, elle tenta de se connecter sur le net, mais elle ne reçut qu'un message d'erreur en guise de réponse. Elle décrocha le téléphone pour confirmer ses soupçons, la tonalité avait disparu.
« Papa, la tonalité a disparu, cria-t-elle à ses pères qui regardaient les Feux de l'amour.
-Rien à branler ! Fut la seule réponse qui lui parvînt du salon. »
Elle revint dans sa chambre où elle s'allongea sur son lit. Sans le net qu'allait-elle devenir ? Elle ferma les yeux quelques secondes et s'endormit.
Les cloches de l'église sonnaient à tue-tête lorsqu'elle se réveilla. La sirène qui avertissait en cas d'inondation où d'incendies l'accompagnait. Ces deux choses produisaient un boucan à réveiller les morts. La sirène s'arrêta et les hauts parleurs qui informaient les villageois des différents événements de la vie du village lancèrent un message : « Tous les habitants sont priés de se réunir sur le parvis de la mairie au plus vite... ».
Le message tournait en boucle comme une sorte d'enregistrement de détresse fou. Joséphine sortit de son lit sans se presser. Papa 1 déboula dans sa chambre sans frapper à la porte.
« Bouge ton gros cul ! Tu n'entends pas les messages ? On va tous à la mairie. »
Elle ne répondit pas. Elle enfila une vielle doudoune qu'elle aimait bien puis se chaussa de ses baskets et fut prête. De toute façon, elle ne rencontrerait pas l'homme de sa vie aujourd'hui.
Dans la rue régnait l'agitation des grands jours, une dizaine de vieux armés de fusil de chasse datant de l'époque de Pagnol arpentait la rue en marchant vite en direction de la mairie. Papa 1 en salua quelques-uns qui ne lui répondirent pas. Leur problème n'était pas leur manque de politesse mais plutôt une surdité avancée.
À Foissac, il n'y avait que deux rues, la grande rue et l'autre rue, elles se rejoignaient au célèbre « Rond Point de Foissac » dont Patrick Sébastien, en tournée dans le coin, aurait déclaré : « c'est un joli rond point. »
La mairie datait du dix-neuvième siècle, mais cela ne semblait poser de problème à personne. Le maire vêtu de son écharpe tricolore hélait la foule présente. Il était dans la moyenne d'âge de la commune, c'est-à-dire soixante-cinq ans et il portait une moustache de bourgeois comme son père avant lui racontait la légende. Il avait aussi le teint couperosé de tous les alcooliques de village :
« Vous avez tous entendu parler à la télé du virus qui rend les gens fous ! »
Des « oui-da » et des « piches cons » (avec l'accent du sud) fusèrent un peu partout dans l'assistance. Tandis que quelques « qu'est-ce qu'il a dit » plus épars arrivèrent aux oreilles de Joséphine. Le comble fut atteint quand une vielle édentée déclara : « c'est de la faute aux communistes, aux parisiens et à l'Union européenne ».
Le maire reprit son discours :
« J'ai réussi à appeler mon fils tout à l'heure, il travaille dans l'armée de l'air. Des opérations de secours sont organisées dans beaucoup de villages. Il a demandé qu'un pont aérien soit mis en place pour sauver les habitants de Foissac et des villages aux alentours. Les premiers hélicoptères arriveront dans la nuit. J'ai décidé de rassembler tous les villageois dans un même point, cela facilitera les opérations. »
Encore une fois, la foule ne garda pas son calme : « Et si on ne veut pas partir ! », « Est-ce que mon chat peut venir. », « qu'est-ce qu'il dit ? » et encore « c'est de la faute aux Boches » retentirent sur le parvis de la mairie.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro