17
Cassel, Oxelaëre, Wallon-Cappel, Morbecque, toutes les petites routes de compagne menant vers le Sud étaient bonne pour éviter Hazebrouck. Avec ses plus de 20 000 habitants, il était nécessaire d'éviter la bourgade pour ne pas se retrouver bêtement au milieu de milliers d'infectés. Les petites bourgades de campagne offraient l'avantage de ne pas être trop dévasté par le virus. Dans certain lieu-dit un peu éloigné, il semblait même que les gens n'aient jamais entendu parler de l'horreur qui frappait les grandes villes.
Le voyage s'effectuait sans encombre et dans le silence. Le scooter faisait un bruit assourdissant et échanger de simple parole était un véritable gageure. Jennifer avait depuis longtemps passé ses bras autour d'Antoine. Bien que ce dernier aimait la sensation de ce contact humain, il désespérait que ce ne fut pas une autre qui ne fut dans son dos.
Alors que le soleil se couchait dans la campagne flamande, Antoine et Jennifer s'arrêtèrent dans une station-service perdue au bord de la route. Le pompiste était un homme bel et bien vivant. Il sentait la bière et le tabac froid. Il avait un vieux bleu de travail avec de multiple tâches. Il vint accueillir les deux jeunes gens.
« Bonsoir, mes braves voyageurs. »
Il avait un accent chti extrêmement prononcé.
« Bonsoir, on voudrait le plein pour le scooter, s'il vous plaît, répondit Antoine, on va voir aussi ce que vous avez à manger. »
La station-service était accolée à une vielle bâtisse à deux étages. Une vielle pancarte indiquait « Estaminet » en lettres décolorées. L'endroit ne semblait pas extrêmement accueillant. Les briques rouges avaient relativement mal vieillit. Les vitres ne devaient pas être lavé très souvent et un coup d'œil à l'intérieur indiqua à Antoine que l'on s'y éclairait à la bougie. Une vieille deux chevaux à la peinture rouillée pourrissait à l'extérieur.
Le pompiste remarqua qu'Antoine lançait des regards insistant à sa voiture.
« C'est ma deux poils ! Elle roule toujours, hein ! 30 ans et pas de brun !
-Belle voiture en effet... »
Contrarier le pompiste était une mauvaise idée. Antoine décida ceci tout d'un coup. Il avait faim et il se pouvait même qu'il pousse l'hospitalité jusqu'à passer la nuit sur place.
De près le pompiste était encore plus moche. Tout d'abord, son nez en chou-fleur ne le rendait guère séduisant. Ensuite son teint couperosé continuait à le faire passer pour un alcoolique. Enfin, il y avait ses dents pourries d'où sortait une haleine à intoxiquer un champ de betterave.
« Venez à l'intérieur les jeunes, y'a la moedre qui prépare la carbonnade ! »
Antoine lança un regard à Jennifer. Il ne comprenait pas grand-chose au langage que ce brave pompiste utilisait. Peut-être qu'en restant encore plus longtemps dans la Flandre, il aurait commencé à comprendre de quoi on parlait. Mais vu qu'il faisait tout pour quitter cette belle région et ses joyeux habitants, il ne risquait pas d'apprendre le dialecte local.
Antoine et Jennifer rentrèrent dans l'estaminet. Contrairement à ce que présageait l'extérieur l'ambiance à l'intérieur y était très chaleureuse. Certes, la foule des grands jours ne se pressaient pas à l'intérieur, mais les murs étaient joliment décorés avec des vielles roues de chariot, de vieux articles de journaux et divers vieux ustensiles de ferme.
Un feu de bois brûlait gentiment dans un âtre. Deux bougies allumés sur une table semblaient attendre les survivants. Une nappe à fleur légèrement ringarde était posé sur la table.
« Bienvenue les tchiots ! Dit une nouvelle voie. »
Une vielle dame d'un âge canonique apparue. La première chose qui sauta aux yeux d'Antoine fut son tablier à fleur qui datait d'avant la Grande Guerre. Elle avait le dos voûté et l'air sympathique des vielles grand-mères. Le pompiste et elle était de la même famille, ils avaient à peu de choses près le même nez. La mamie marchait lentement.
« Brian installe nos invités, ne fait pas ton sauvage. »
En fait, elle n'avait pas vraiment dit sauvage mais quelque chose se rapprochant plus de sauvache.
« Ouais la vielle ! Les jeunes, installez-vous là où y'a les chandelles. Moi c'est Brian, ma maman c'est la vielle et vous c'est comment tchiot ?
-Je suis Antoine et voilà Jennifer.
-T'es pas un chti toi ! »
On faisait souvent cette réflexion à Antoine depuis qu'il était arrivé dans le coin. Tout d'abord, il n'avait pas d'accent, ensuite il était brun et légèrement plus bronzé que la moyenne des gens du Nord. Ce qui le différenciait aussi était son incroyable incompréhension de leur dialecte. Les gens savaient quand on ne comprenait pas ce que voulait dire une wassingue et bien souvent cela vous catégorisez rapidement parmi les sudistes. Il y avait aussi d'autres questions comme : « mais qu'est-ce que tu es venu faire dans le Nord ? »
Cette dernière question faisait penser que même les gens du Nord trouvaient leur région inhospitalière. Antoine les comprenait : le froid, la pluie, la pollution... Il y avait cependant quelques clichés à propos du Nord que le jeune homme avait rapidement démentie.
L'alcoolisme : Il était courant de dire que les gens du Nord était des alcooliques. Cette seule affirmation était une hérésie en soi. Certes les chtis étaient des alcooliques notoires, mais au même titre que les Bretons, les Bordelais, les Picards, les Languedociens, les Auvergnats, les Savoyards, les Martiniquais, les Réunionnais et tous le reste des Français de métropole et des Dom-Tom.
La consanguinité : il est étrange que les Chtis soient connus pour leur consanguinité. Le Nord Pas de Calais est une région ouverte sur la Belgique, l'Angleterre et le monde. Le Nord Pas de Calais est de plus une région très peuplée où les mouvements de population sont très fréquents. Certes, il y a toute une frange de la population pour qui déménager de Grande-Synthe à Saint-Pol est une expédition dangereuse et qui pense que Malo les Bains c'est dans un autre pays. Il y a aussi des gens qui sont nées à Nieurlet, qui on grandit à Nieurlet, qui se sont marié à Nieurlet et qui sont mort à Nieurlet et pour qui le seul voyage dans un pays étranger c'était quand, ils sont allés à Lille. À nouveau dire que les Nordistes pratiquent la consanguinité, c'est avoir une horrible méconnaissance de la Lozère et de l'Auvergne en général.
Chômage : On dit souvent que les Nordistes ne sont qu'une bande de chômeur. Oui c'est vrai, mais bon la faute est plutôt aux patrons qui ont délocalisé leurs entreprises.
« Tu penses à quoi Antoine, demanda Jennifer.
-Non rien, répondit l'intéressé, puis en s'adressant à Brian, non je ne suis pas du coin, mais je goûte aux charmes locaux d'un estaminet chaleureux.
-Ouais mon gars, je vois que t'as une rojin en bonneamie.
-Oui certainement, se hasarda Antoine. »
Jennifer, Brian et la vielle éclatèrent de rire.
« J'ai dit une bêtise ? »
Les autres repartirent de plus belle, ils riaient à se tordre les côtes et à pleurer
« En fait, il a sous-entendu, commença Jennifer entre deux rires, que j'étais ta petite copine. C'était trop marrant de voir ta tête de type qui n'a pas compris.
-Non ce n'est pas ma petite copine, je l'ai rencontré ce matin sur l'autoroute. Sans faire exprès je l'avais bousculé. Je l'ai aidé à pas se faire dévorer par les contaminés.
-C'est une belle saloperie ça cette contamination, dit la vielle.
-On en n'a pas vu beaucoup de c't'race là ! Heureusement pour eux, parce qu'on les accueille à coup de pétoire du papy. »
Visiblement, la pétoire du papy ne devait pas se trouver dans le coin. Brian n'ajouta pas à la parole une exhibition de l'arme de son grand-père. Antoine l'en remercia intérieurement. Ce genre de démonstration finissait souvent à l'hôpital ou à la morgue. En ce moment, les hôpitaux et les morgues devaient être des endroits très tendance pour un contaminé en mal de compagnie.
« Sur l'autoroute, dit Jennifer, c'était une vraie guerre. Ils y avaient des voitures partout, un hélicoptère a tiré un missile, je ne sais même pas s'il a réussi à arrêter la foule d'infectés qui était en train d'attaquer. Dans les villages, la situation était plus calme heureusement.
-Il se passe jamais grand-chose dans le coin, dit la vielle, on vit un peu comme dans le passé. »
Un simple regard à la décoration du lieu suffisait pour en avoir la confirmation.
« Vous avez souvent des clients ? Demanda Antoine.
-Ouais, y'a bien les habitués qui viennent prendre une bière, mais y'a aussi des gens de passage, qui viennent pour la carbonnade de maman et qui reste dormir la nuit.
-Je pense qu'on sera dans cette catégorie, dit Jennifer. »
Brian sourit. S'il y avait une blague cachée, Antoine ne l'avait pas très bien comprise. S'il n'y avait pas de blague la situation devenait inquiétante.
« La vielle, sert nous de la bière ! On va se mettre criminel pour fêter les clients.
-Euh, je compte pas rouler sous la table, dit Jennifer, on repart demain matin nous. N'est-ce pas Antoine ?
-C'est clair moi je compte bien arriver dans le Sud avant la fin du monde. »
La mère de Brian apporta trois pintes de bière. Antoine n'en avait pas très envie sur le moment. Il voulait rester le plus longtemps lucide, mais il devait reconnaître qu'il avait très soif. Il but une rasade pour être polie.
« On prendra deux chambres pour cette nuit, s'il reste de la place évidemment. »
La salle principale étant vide, il sourit en disant ceci. Les autres ne réagirent pas. Il n'avait décidément pas le même humour. Brian éclusa d'un trait la moitié de son verre. Il semblait que le pompiste ait très soif.
« Vous dormez pas ensemble les tchiots ?
-Je suis pas une fille facile ! Dit Jennifer.
-T'es de la jaquette gars ? Demanda très sérieusement Brian à Antoine.
-Euh, non ni de la jaquette, ni de la veste, ni du ciré jaune. »
Cette fois ci, les autres s'esclaffèrent. Pour fêter ce rire, Brian but quelques gorgés de bière.
« C'est d'la bonne binouze, hein ?
-On l'a brasse nous-mêmes, ajouta la vielle. Certes on n'a pas les autorisations de l'état et de tout ça, mais on fait ça avec de l'amour. C'est pour ça qu'elle est fort bonne. »
Antoine goûta une seconde rasade, il ne vit pas en quoi ce breuvage méritait autant de compliment. Pour lui ce n'était qu'une bière produite illégalement dans une cave, mais il ne devait certainement pas comprendre l'attachement de ses hôtes à leur breuvage.
« La vielle apporte nous la carbonnade avant qu'on meure de faim ! »
Antoine avait déjà eu l'occasion de goûter à la carbonnade flamande. C'était plat en sauce avec des bouts de bœuf qu'on a fait revenir. À vrai dire ce plat se rapprochait du bœuf bourguignon mais à la place du vin on mettait de la bière. Les gens du Nord aimaient autant la bière que les gens du sud le vin.
À l'extérieur, le soleil était couché depuis quelque temps. Les ténèbres nocturnes étaient terrifiantes. À travers les carreaux sales aucune lueur ne transparaissait. La chaleur et la lumière du feu de cheminée illuminait et réchauffait autant les corps que les esprits. Il semblait que pour une poignée d'heure rien ne de mal ne pourrait arriver dans cet accueillant refuge. Ce devait être ça l'hospitalité et la chaleur légendaire des gens du Nord : l'art de vous accueillir lorsque l'ont été loin de chez soi comme l'un des leurs.
La vielle amena une marmite chaude. De la fumée s'échappait en volute délicieuse. L'odeur du bœuf emplit les narines d'Antoine et il saliva à l'idée du futur repas qui allait lui être servi. Avec une louche, la mère de Brian déposa une platée de bœuf et de légumes avec leur sauce dans l'assiette des deux clients. Dans la carbonnade, la sauce était aussi goutteuse que le bœuf en lui-même.
Pour fêter l'arrivée du repas, Brian acheva sa bière et demanda à la maîtresse de maison de lui en servir une seconde. Il rota de satisfaction et entama son dîner. Jennifer fit de même mais sans le rôt et la rasade de bière. Antoine voulait attendre la vielle, mais il décida que les us et coutume de cet estaminet permettait cette entorse à la bienséance.
L'odeur et la vue de la carbonnade n'étaient pas trompeuse. Les morceaux choisis de bœuf étaient fondants en bouche et se mariaient agréablement à la sauce.
« Alors Madame et Monsieur Brian, vous comptez rester ici ? Ou vous allez vous réfugier ailleurs ? »
Brian paru très surpris à la limite d'être choqué.
« J'ai été conçu ici, vous savez... »
Il semblait désigner un endroit sombre dans un coin de la pièce. Antoine se refusa à comprendre ce qu'il venait de dire.
« ... cet estaminet est dans notre famille depuis des générations. On a tout connu nous, les mineurs, la crise, la guerre. Mes ancêtres veulent pas que je parte d'ici et je mourrais ici. »
Il parlait comme si ses ancêtres se planquaient dans l'endroit sombre où il avait été conçu.
« Qu'est-ce que vous ferez si les infectés débarques dans le coin ?
-Si les chailles débarquent dans le coin, la moedre et moi on leur filera des coups de pied au cul ! Et puis on a la pétoire du grand-père !
-Je vais vous donner un conseil, si les infectés débarquent tirez dans la tête, c'est la seule manière de les tuer. »
Le reste du repas s'effectua dans une humeur joyeuse. Brian ne put s'empêcher d'entonner des chants de carnaval, des chansons qui parlaient des avantages de rester célibataire, des chansons qui parlaient de chatouiller des lézards, des chansons sur les grosses tototes de la tante Charlotte, des chansons sur des Marie, des Rose et des Rose-Marie. Alors qu'Antoine venait de finir sa bière, il décida d'aller prendre un peu de sommeil bien mérité. Il prit son katana qu'il n'avait pas quitté depuis le début du repas et se leva.
« Je veux bien que vous me montriez ma chambre à présent, demain on a une longue route et j'ai envie d'être plus ou moins en forme tout de même »
Jennifer acquiesça. Elle indiqua à la mère et au fils qu'elle irait elle aussi se coucher. La vielle donna les clefs des chambres.
« C'est des chambres au premier et elles sont à côté les tchiots. Si dans la nuit il vous passez l'idée de vous réchauffer l'un l'autre. »
Jennifer rougit, sur sa peau blanche le rouge se distinguait même dans la pénombre. Antoine essaya de rester lucide malgré la pinte de bière. Certes il n'avait pas bu d'alcool depuis un certain temps, mais il savait plus ou moins se contrôler quand même.
Jennifer tendit son bras. Antoine avait presque oublierqu'elle avait des difficultés pour marcher. Il passa sa main à sa taille et elle passa sa main sur ses épaules. Il sourit. La vielle aurait du grain à moudre pour jaser !
Malheureusement pour la vielle et pour le reste du monde, elle ne pourrait pas beaucoup jaser faute d'interlocuteur. Brian ne semblait pas être intéressé par les divagations de sa mère. La troisième pinte qu'il éclusait, attirait toute son attention. Son grand projet d'être « criminel » partait sur de bonne voie. Le plus grand risque était qu'il tombe dans le feu et qu'il explose à cause de tout l'alcool qui devait parcourir son sang.
Tant bien que mal, Antoine et Jennifer arrivèrent en haut des escaliers. Le couloir était très sombre. Une vielle lampe à pétrole illuminait faiblement les lieux. Antoine se montra très surpris qu'au vingt et unième siècle des gens avaient encore l'équipement nécessaire pour s'illuminer au pétrole.
« C'est laquelle ta chambre ? Demanda Jennifer.
-J'ai la 5 et toi ?
-La 6, c'est ici.
-Je te dépose là, ça ira pour la suite ?
-Attend Antoine, on n'est pas obligé de dormir chacun dans son coin.
-C'est à dire ?
-Ne soit pas stupide, tu vois très bien de quoi je parle. »
Jennifer était vraiment très mignonne et le simple fait de penser à lui faire l'amour lui donna une gentille érection. Il se rappela cependant de Leila. Revoir son visage dans sa tête n'annihila pas toute excitation, mais lui permis d'y voir plus clair.
« Non Jennifer, je ne peux pas. Je suis amoureux d'une autre.
-Dans ce cas là j'espère qu'elle a de quoi se défendre ou qu'elle a de la chance. »
Jennifer lui embrassa la joue et elle rentra dans la chambre. Antoine regagna ses quartiers.
Dans la pénombre nocturne, Antoine vit un lit, un petit bureau avec sa chaise, une table de chevet et une armoire encastrée dans le mur. Il referma la porte de la chambre à clef. La chambre ne comprenait ni douche ni WC. Il n'avait pas eu le temps de demander où était les commodités. Logiquement ces dernières devaient se trouver à l'étage.
Antoine jeta un regard par la fenêtre la Flandre intérieure s'étendait devant lui. Certes il ne voyait pas à dix mètres le décor, mais il se dit que s'il ne voyait rien, les infectés ne verraient guère mieux. Enfin ceci ne serait vrai qu'une fois que les gérants auraient éteint le feu brûlant dans la cheminé. Dans le cas inverse, l'estaminet risquait de briller comme un fanal dans toute la plaine. Si les choses se passaient mal, la nuit s'écourterait drastiquement.
Antoine posa le katana contre la table de chevet, en cas d'attaque, il devait l'avoir à porter de main s'il ne voulait pas se transformer en carbonnade flamande pour les contaminés. Il se déshabilla et s'allongea dans le lit. Malgré la fatigue, le sommeil ne l'emporta pas rapidement. Il repensait encore à toutes les horreurs qu'il avait vues durant la journée. Il pensait à toutes les fois où il avait failli mourir. Il revit le massacre de ses voisins, le parking de sa résidence, l'explosion du port de Dunkerque, cet horrible infecté qui était à deux doigts de l'avoir sur l'autoroute, ses jambes lui rappelèrent la course effrénée sur l'autoroute, il ré-entendit le jeune homme qui ne voulait pas aider Jennifer...
Il s'endormit.
Ses rêves ressemblèrent à des cauchemars. Il courrait encore et toujours essayant de fuir une horde d'infecté. Il savait qu'il n'avait aucune chance. Il sentit des mains l'entourer. Elles le retenaient, l'attrapaient, l'empêchaient d'avancer. Elles le tiraient vers des bouches pleines de sang, le faisaient tomber et le ruaient de coup. Les dents le mordaient, lui arrachaient les chairs et le mangeaient.
Antoine sorti brutalement de sa terreur nocturne. Il était vivant. La nuit noire régnait toujours en maîtresse à l'extérieur. Rien n'avait changé finalement, tout allait bien. L'estaminet lui offrait toujours la sécurité et la chaleur.
Non, il y avait un bruit dans la pièce d'à côté. Il entendit des gémissements étouffés et une sorte de toc toc régulier. Antoine rassembla ses souvenirs embrumés, Jennifer se trouvait dans la chambre contiguë à la sienne. Quelque chose d'étrange se déroulait dans cette pièce là. Le jeune homme enfila ses vêtements, il n'avait pas envie que Jennifer pensa qu'il voulait lui faire l'amour. Il prit son arme et sortit de sa chambre.
Plongé dans l'obscurité, le couloir était difficilement praticable. Avec sa main, Antoine toucha le mur pour rester sur la bonne route. Il arriva devant la porte de Jennifer. Les gémissements étouffés venait bien de cette chambre, à ceci s'ajoutait un râle beaucoup plus masculin.
Avec le plus grand des soins pour faire le moins de bruit possible, Antoine dégaina. Il avait une vague idée de ce qui pouvait se produire dans la chambre de Jennifer, il espérait avoir tort. Il ouvrit la porte.
Un faible lampe à pétrole illuminait la scène. Jennifer était nue dans son lit. Brian lui aussi en tenue d'Adam avait son corps sur celui de Jennifer. Une de ses mains plaquées sur la bouche de la jeune femme empêchait cette dernière de crier. Son autre main tenait fermement les deux bras de Jennifer. Avec son bassin, il pénétrait la jeune femme sans ménagement.
Jennifer était peut-être une adepte du sadomasochisme et des fils à maman alcoolique, mais dans le cas contraire ce que venait de surprendre Antoine s'appelait un viol. Vu la tête décomposée de Brian, ce qui venait d'être interrompu ne devait pas être extrêmement consenti par Jennifer.
« C'est pas ce que tu crois, lança un Brian honteux, elle m'a aguiché pendant toute la soirée. »
Antoine ne partageait pas ce souvenir de la soirée avec le pompiste.
« T'es complètement taré, Brian.
-Regarde moi cette salope ! Tu peux venir si tu veux, je peux te la tenir. Mate ces tet'ches et sa preute bien mouillé.
-Je comprend que dalle à ce que tu racontes, mais si tu veux que je te donne un bon conseil : éloigne-toi gentiment d'elle. »
Lentement Brian se releva, il leva les deux mains en signe d'apaisement. Son sexe décalotté était toujours en érection.
« Je veux pas de problème gars. On faisait rien de mal, c'est elle qui voulait en plus. »
De lourdes larmes coulaient sur le visage de nacre de Jennifer. Elle ne semblait décidément pas consentante. Antoine pointa sa lame en direction de Brian pour le tenir en respect. Ce dernier déglutit.
Puis une série d'événements se déroula en une fraction de seconde. Un vitre fut brisée en bas, la vielle hurla, Antoine fut déconcentré un instant lorsqu'il détourna du regard du violeur, Brian en profita pour se jeter sur Antoine, mais au moment où il allait l'agripper, il tomba au sol le couteau de Jennifer profondément planté dans son dos. La jeune femme avait profité d'un instant d'inattention pour achever le violeur.
Les yeux de la jeune femme débordaient de haine pour son agresseur. Elle retira le couteau du dos de Brian, une petite giclée de sang atterrit sur son visage. Brian semblait souffrir, il marmonnait des excuses et des supplications pour qu'on se laisse en vie. Comme si elle avait fait ça toute sa vie, Jennifer ramena en arrière la tête de l'homme en lui tira les cheveux et lui trancha la gorge sans que le doute étreigne un seul instant son bras vengeur. Des torrents de sang giclèrent au pied d'un Antoine trop surprit pour réagir.
« Co... Comment tu vas ? Réussit-il à demander. »
Au rez-de-chaussé, il y eut une détonation et des cris d'infectés. D'autres vitres furent brisées. L'urgence les rattrapait à nouveau. Il n'y avait pas le temps pour réfléchir à l'horreur qui venait de se dérouler. De toute manière, dans le monde d'infectés qui s'ouvrait à eux, le temps de la réflexion était définitivement terminé. Ce monde appartiendrait à ceux qui agissaient au lieu de réfléchir.
Il y eut un second coup de feu. L'urgence montait d'un cran.
« Habille-toi le plus vite possible, il faut qu'on parte d'ici ! »
Antoine détourna le regard de Jennifer, il lui laissa le peu d'intimité que la situation pouvait permettre. Il rengaina son arme, se dirigea dans sa chambre, il enfila ses chaussures et prit son sac. La nuit avait toutes les chances d'être extrêmement écourté.
Antoine revint dans le couloir. Il n'osa pas regarder dans la chambre de Jennifer de peur de la mettre mal à l'aise.
« T'es prête ?
-Encore deux petites minutes. »
La voix de la jeune femme ne tremblait pas. Elle était sûre de ce qu'elle disait.
Quelqu'un montait les escaliers, Antoine dégaina. Plus il se servait de cette arme, plus cela devenait facile de s'en servir. Il ne pensait pas prendre aussi rapidement l'habitude de tuer. Ceci lui faisait terriblement peur et le rassurait sur sa capacité à revoir la méditerranée un jour.
Il y eut un nouveau coup de feu en bas puis un long cri qui glaça le sang d'Antoine. Il y eut ensuite une lumière orange qui crépita en bas. De grande ombres apparaissaient et disparaissaient dans l'escalier, elles se déformaient, grandissaient, devenait menaçante puis minuscule. Le corps affreusement mutilé d'un infecté apparu. Il boitait de son pied gauche et son bras droit ne tenait que grâce à un lambeau de chair à moitié déchiqueté. Le reste de son corps n'apparaissait pas à cause du contre jour, il n'était qu'une forme qu'une sorte de mannequin doté de vie et d'un appétit féroce. Antoine accueillit ses prétentions d'un coup d'estoc dans la tête. La lame s'enfonça facilement et d'un coup de pied le jeune homme repoussa en bas des escaliers le monstre.
« Je suis prête, dit Jennifer. »
Les deux jeunes gens descendirent prudemment les escaliers. À chaque marche qu'ils laissaient derrière eux, l'atmosphère se réchauffait sensiblement. La lumière devenait de plus en plus intense, le plafond se voila avec une couche de fumée. Au rez-de-chaussé, le feu dansait sur tout ce qu'il pouvait consumer. Il attaquait tout de qu'il trouvait. Il mangeait les nappes, le bar, les tables, les murs et les infectés sans faire de différence.
Derrière le bar, la vielle tira des coups de feu sur tous les infectés qui osaient passer le pas de la porte ou une des fenêtres brisés.
« Oh Brian ? Hurla-t-elle. »
Alors que Jennifer restait bouche bée sans répondre, Antoine prit la parole.
« Il est en haut, il se prépare.
-Prenez les clefs de la deux poils les jeunes, faites chauffer le moteur pendant qu'on arrive avec Brian. »
La vielle passa les clés de la voiture qui pourrissait devant l'estaminet à Antoine. D'un coup d'œil rapide, ce dernier remarqua que la mère de Brian avait été mordu au bras.
La vielle se dirigea ensuite vers l'escalier.
« Brian, bougre de con, dépêche-toi de descendre. »
Sans un mot supplémentaire, Antoine et Jennifer sortirent de la maison. Heureusement pour eux, les flammes ne léchaient pas encore l'entrée. Malheureusement pour eux, les flammes attiraient de plus en plus d'infectés. De deux coups, Antoine en envoya deux sur le chemin de leur ancêtre.
Le couple de jeune gens s'installa dans la vielle voiture. Antoine mit la clé dans le contact et alluma le moteur en enfonçant la pédale d'embrayage. Il se retrouva ensuite très bête lorsqu'il fallut passer la première vitesse.
« On la passe comment la première ?
-Tire la boite de vitesse vers toi et tourne-la à gauche. »
Antoine s'exécuta, il accéléra et le moteur ronfla avant de caler. À l'extérieur quelques infectés éclairés par l'incendie s'approchaient dangereusement de la voiture. Le jeune homme renouvela l'expérience. Il réussit à faire bouger de quelques mètres l'antiquité.
« On n'attend pas la vielle ? Demanda Jennifer en se retournant.
-Non elle a été mordu, elle n'en n'a plus pour longtemps.
-Comment je fais pour la seconde ?
-Enfonce le levier.
-Comment tu sais tout ça ?
-Mon grand-père en avait une de son vivant, j'aimais bien le regarder conduire quand j'étais jeune.
-T'avais des loisirs étranges dans ta jeunesse. »
Une fois la seconde passé la voiture accéléra et les deux jeunes gens s'éloignèrent de l'estaminet. L'incendie se propageait de plus en plus, la bâtisse vomissaient des corps enflammés. Quelques infectés courraient derrière la voiture, mais ils n'étaient pas près de la rattraper.
Grâce aux conseils de Jennifer, le jeune homme réussit à passer la troisième et à allumer les phares. Il faisait tout pour lui poser le plus de questions possibles sur la conduite de l'engin. Il ne désirait pas parler de ce qui s'était produit dans la chambre. Il ne connaissait pas les mots pour réconforter une personne qui venait d'être violé. Durant toute sa vie prévisible, Antoine n'avait jamais été confronté à ce genre d'horreur.
Alors que les deux jeunes gens s'enfonçaient toujours plus dans les ténèbres nocturnes de la campagne flamande, le silence s'installa, ce n'était pas un ange qui passait cela ressemblait plus à une très lourde absence de parole. Une fois ce silence bien en place, Antoine n'osait plus parler.
Jennifer tremblait. Même si le jeune homme ne voyait pas de larmes rouler sur sa joue à cause de la pénombre, il l'entendait sangloter. Il posa sa main sur son épaule, mais elle le repoussa. Antoine ne tenta pas d'autres approches.
« Merci, dit-elle entre deux pleurs. »
Antoine déglutit. Pourquoi le remerciait-elle ? Parce qu'il était présent à ces côtés ?
« Merci, de l'avoir poussé à arrêter ce qu'il faisait.
-Je n'ai pas fait grand-chose, je dirais même que je n'ai pas fait assez.
-Ce que tu as fait, était parfait. Je pensais que ça n'allait jamais finir. Il y avait cette odeur d'alcool, et ces horribles mains caleuse et qui puait la pisse. J'étais tellement impuissante face à lui. Je ne pouvais absolument rien faire, j'ai essayé de me débattre au début, mais je n'ai rien pu faire, il était plus fort que moi. Je voulais crier, te réveiller, mais il m'a frappé et ensuite il m'a empêché de dire un mot. Je n'arrivais même pas à pleurer, j'aurais mille fois préféré être morte. Si j'avais eu le temps, je pense que je l'aurais torturé comme il m'a torturé. Heureusement que tu l'as arrêté avant qu'il ait fini, tu vois ce que je veux dire ? »
Antoine voyait parfaitement ce qu'elle voulait dire et il ne trouvait toujours pas les mots pour lui donner un peu de réconfort. La route défila encore pendant quelques kilomètres. Il n'y avait personne aux alentours, pas une seule lumière humaine ne brillait sur terre comme au ciel.
« Tu crois en Dieu Antoine ?
-Je ne sais pas.
-Je pense qu'il veut nous détruire.
-Pourquoi tu penses ça Jennifer ?
-Pendant des milliers d'années, l'homme a passé son temps à inventer des moyens de tuer ses congénères de la meilleure des manières possible. Cependant, ces derniers temps l'homme a aussi essayé de tuer sa propre planète. Dieu a dû en avoir marre que nous détruisions ce qu'il avait créé.
-Je ne suis pas sûr que ce soit Dieu qui ait fait ça. Je pense que c'est l'homme qui a inconsciemment trouvé un moyen de se détruire. Notre génération n'attendait que la fin de ce monde moribond. Cette contamination lui a donné raison. Il fallait bien que ce monde s'achève. Nous savions tous que nous ne pouvions pas continuer de cette manière dans cette société. Notre ancien monde était malade, tu ne pourras pas affirmer le contraire.
-C'est certain.
-Regarde comment en une seule journée, l'humanité est retourné à ses pulsions primaires. Enlève l'état et l'homme devient un monstre.
-Non, je ne pense pas, le virus a joué un rôle déterminant dans ce que tu dis.
-Brian était-il contaminé ? »
Instantanément, Antoine regretta ce qu'il venait de dire. Il eut un sanglot pour seule réponse.
« Je suis désolé. »
Le silence si durement brisé, revint sans fracas dans la voiture. Le voyage jusqu'à Valenciennes risquait d'être très long.
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