Le Florine.
Il était 5h10 quand Chan ouvrit un œil et bien qu'il soit habitué à se réveiller aux aurores, il ne s'attendait pas à un réveil si matinal en vacances. Pour autant, il ne ressentait ni fatigue, ni courbature, il se sentait bien. Son corps et son esprit semblaient lui dire que sa nuit s'arrêtait ici et Chan se leva sans mal. Il passa un coup d'eau fraîche sur son visage clair et lisse avant de brosser ses cheveux foncés qui lui tombaient naturellement sur le front. Il enfila une tenue de sport, remplit sa gourde qu'il accrocha à sa ceinture faite pour ses activités sportives et avec enthousiasme, il quitta la maison encore plongée dans le silence de la nuit.
Il décida de courir le long de la berge en se faufilant par son jardin. Il n'y avait pas de chemin prévu à cet effet, mais la maison de location était assez isolée et le terrain était plat, alors finalement, c'est sans plus d'effort que Chan démarra la seule activité capable de totalement lui vider l'esprit. Il courut une grosse demi-heure le long d'un lac qui semblait interminable. Cet esprit de grandeur ne le dérangea pas pour autant, il se sentait même à son aise. Il pouvait entendre quelques grenouilles coasser sur son passage. Le soleil se levait avec paresse en un défilé de bleu ciel et d'une couleur plus orangée quand il aperçut au loin un couple de grues terminer de construire son nid.
Chan ne put s'empêcher de s'arrêter un instant pour les observer, reprenant un souffle ordonné. Il avait toujours trouvé ces oiseaux divins et pouvoir observer un couple en pleine nidification dans des bambous était une aubaine. À sa manière, Chan les enviait. Qu'il devait être confortable de savoir qu'à chaque instant de votre vie quelqu'un pensait à vous et surtout, vous attendait. Quelle aubaine...
À une vingtaine de mètres de là, Il remarqua un ponton de bois qui semblait avoir vécu plus d'années qu'il n'en vivrait jamais. Il s'y aventura pourtant sans trop de craintes et avec discrétion, il s'assit à son rebord, observant tantôt les oiseaux sur le lac, tantôt le soleil se lever au derrière de la forêt verdoyante.
Proche de lui, il entendit les clapotis de l'eau s'abattre avec plus de vitesse sur le rebord du bois sur lequel il était installé. Curieux, il se retourna et ce fut avec gêne qu'il observa un petit bateau arriver avec douceur derrière lui. Il s'agissait là d'une barque rouge foncé, presque bordeaux, sur laquelle tenait Dieu seul savait comment un petit moteur à essence. Elle avait très clairement été rafistolée plusieurs fois au fil des années et sur sa tranche, il pouvait observer une inscription « Florine ». C'était étonnant comme nomination, et plus surprenant encore, ce dernier lui semblait familier sans réellement l'être.
C'est là qu'il se rappela l'avoir vu sur l'une des photos le long du mur du restaurant où il avait mangé la soirée passée.
Intrigué, Chan se surprit à lever les yeux vers son propriétaire et ce fut en s'étouffant avec sa gorgée d'eau qu'il constata qu'il s'agissait là du même homme que dans le restaurant. Ce dernier le remarqua, mais l'observa à peine quand Chan se relevait déjà pour s'éloigner du ponton afin de regagner la forêt.
- Tu t'enfuis ?
- Non, pas du tout, juste... c'est que, je... je ne savais pas que c'était un terrain privé.
L'homme ne le regarda pas vraiment. D'une vision et de gestes experts, il amara la barque le long de la berge avant de sauter avec aisance sur le ponton de bois, comme s'il y était coutumier. Il noua une corde épaisse à une borne d'amarrage quand Chan, se recula encore davantage. Le pêcheur s'accroupit contre le bord de son bateau et d'une poigne affirmée, il attrapa un filet dans lequel reposait une vingtaine de poissons.
Chan ne put s'empêcher de remarquer la contraction de ses cuisses puissantes lorsqu'il était à genoux, il en allait de même pour ses bras secs et épais qui avaient porté sans le moindre effort un filet qui semblait pourtant lourd de plusieurs dizaines de kilos. Chan en avala difficilement sa salive et son estomac, pourtant vide, se retourna dans tout son corps, le prenant par surprise.
Le pêcheur autant que cuisinier s'avança sur le ponton, arrivant avec décontraction vers lui, un sourire discret, presque provocateur, perché à l'angle de sa bouche. Il s'arrêta devant son homologue puis de son doigt, il pointa une bâtisse lointaine derrière Chan et ce dernier ne comprit pas tout de suite. Alors, d'un rire ouvertement moqueur cette fois-ci, le pêcheur lui dit :
- La maison au fond c'est la mienne, et ici, c'est mon terrain. J'imagine que t'as dû couper par la forêt quand tu courais.
C'était rhétorique, Chan le savait et son visage tout entier devint plus rouge que le bateau du propriétaire. Ce dernier perçut son trouble et alors que Chan se penchait en avant pour s'excuser, Minho le coupa dans son élan :
- Mon terrain n'est pas bordé ni clôturé, tu peux passer comme tu veux et courir ici ou utiliser mon ponton, ça m'est égal. J'en ai vraiment rien à faire, t'inquiètes pas.
Chan ne sut que répondre et ce ne fut qu'après quelques longues secondes qu'il capta le tutoiement du pêcheur. Sa manière si décontractée, presque provocatrice d'être le rendait plus alerte qu'il aurait aimé l'admettre et ce fut avec un peu plus de poigne qu'il lui demanda :
- Quel âge avez-vous ?
- Je suis probablement un petit peu plus jeune que toi ou alors on a le même âge, j'en sais rien. Pourquoi ? T'es si attaché que ça aux honorifiques ?
Le pêcheur passa devant son nouvel acolyte et sans même attendre de réponse il commença à marcher plus franchement vers sa bâtisse, laissant Chan bien seul sur la berge. Ce dernier en était tout retourné, à quoi bon poser une question si c'était pour ne pas en attendre la réponse ? Pour dire vrai, oui, il tenait aux honorifiques, il avait été élevé ainsi et l'attitude nonchalante de son cadet l'agaça dans sa confiance en ses principes. Il s'apprêtait à lui répondre d'une voix plus portante quant à plusieurs dizaines de mètres devant lui, le cuisiner se retourna.
- Tu viens ?
- Moi ?
- Non, non, les poissons.
Ce dernier secoua son sac de poissons en souriant avec malice, un sourcil relevé quand Chan capta à retardement l'ironie. Décidément, jamais l'aîné n'avait été en contact avec un tel type de comportement. Ses actions le laissaient pantois et il ne savait pas vraiment quoi en penser. Face à lui, il se sentait tout petit et pour autant l'attitude si opposée à la sienne de l'homme devant lui le poussait à la transgression. Devait-il le suivre ?
- Tu vas m'aider à vider les plus gros poissons, c'est le prix à payer pour avoir couru sur mon terrain.
- Mais vous avez dit tout à l'heure que vous en aviez rien à faire...
- Moi oui, mais toi t'as l'air du genre pour qui ça compte, alors si je peux en profiter un peu... Amène-toi !
Chan était abasourdi, jamais personne ne lui avait parlé de cette manière lors d'une première rencontre ni même après, pire, jamais personne ne s'était servi de lui tout en le lui signifiant. Pour couronner le tout, le cuisinier semblait n'en tirer aucune culpabilité.
Chan attendit quelques secondes bouche cousue, mais lorsqu'il y réfléchissait un peu, il ne pouvait que se dire que c'était peut-être une occasion d'en apprendre plus sur le jeune homme et surtout, une occasion pour lui de passer du temps avec cet homme qui, il ne pouvait pas se le cacher, lui plaisait plus qu'il ne l'admettrait jamais.
Cela faisait des années que Chan n'avait plus été attiré par personne. C'était un travailleur de bureau hors pair et acharné, toujours occupé, rarement enclin à sortir. Sa timidité y jouait beaucoup et sa réserve naturelle, même dans des circonstances qui s'y prêtaient, l'empêchait toujours d'aller plus loin dans les relations. Il n'était pourtant pas sans expérience, mais disons qu'elles pouvaient se compter sur les doigts d'une main là où, au vu de la beauté presque irréelle de l'homme déjà loin devant lui, il se doutait que ce dernier devait avoir eu son lot d'aventures.
Pour autant, pris par le tumulte de ses pensées et sans comprendre ni pourquoi ni comment, ses pas le guidèrent tout seuls jusqu'à la bâtisse. Il trottina même pour rattraper son nouvel acolyte et le poissonnier sourit pour lui-même, la tête baissée vers ses pieds. « Cute », il ne pouvait s'empêcher de le penser quand il constata que Chan ralentissait la cadence avant d'arriver à son côté, comme pour lui signifier qu'il n'était pas si pressé et qu'à tout moment il pouvait partir.
Les deux hommes marchèrent jusqu'à la maison en silence quand il arrivèrent devant une sorte d'hangar ouvert sur l'extérieur. Sur la gauche étaient installés deux lavabos en inox profond suivis d'une longue table en bois vernis qui longeait le mur sur plusieurs mètres. Une énorme poubelle noire terminait l'allée et Chan mit quelques secondes à comprendre que c'était là que le propriétaire s'occupait de ses poissons.
- Pourquoi vous... pourquoi tu pêches aussi tôt ?
- Alors ça y est, on se connaît à peine et tu me tutoies déjà ?
Chan se mit à rougir de tout son être, son sang pulsait dans ses oreilles mû par la surprise que venait de lui infliger l'homme qui lui faisait maintenant face. Ce dernier le regardait avec malice, les lèvres bien étirées par son humour pinçant.
- Mais... mais vous aviez dit que...
- Ça va je rigole, détends-toi !
Ce dernier passa à côté de Chan en riant ouvertement. Il lui tapa dans le dos comme pour terminer de l'achever et il alla poser le filet de poissons sur la table. Chan manqua de s'étouffer avec sa propre salive quand ses doigts commencèrent, comme indépendants de sa volonté, à se triturer entre eux dans un entrelacs d'angoisse. Du coin de l'œil, le cuisiner perçut son trouble et, avec plus de douceur, il lui lança :
- Mon humour est un peu... direct. J'ai pas vraiment l'habitude de croiser des gens de mon âge, à part en pleine saison, mais en général je ne sympathise pas vraiment. Tu peux me dire "tu", je préfèrerais même.
- Parce que tu veux sympathiser avec moi ?
La voix de Chan s'était faite presque inaudible et le cuisinier se tourna totalement devant lui, surpris. Chan captant pleinement et pour la première fois de la journée son regard presque toujours narquois et qui pourtant à cet instant trahissaient bien autre chose. Les orbes félins et brillants de son vis-à-vis le rendaient tout tremblant et la manière dont sa lèvre supérieure chevauchait sa lèvre inférieure le rendait déjà fou. Comment une telle personne pouvait exister ? Pourquoi l'univers lui avait caché cet être durant tout ce temps ?
Le propriétaire du Hangar avait des cheveux mi-longs qui lui tombaient toujours un peu devant les yeux et Chan se serait damné des années en enfer pour pouvoir remettre l'une de ses mèches derrière son oreille. Ses dents de devant étaient légèrement en avant et cela ne venait que rajouter à son charme. Ses lèvres semblaient toujours munies d'un rictus mi-moqueur mi-séducteur et cela retournait les pensées les plus saines du conseiller financier. Tout en cet homme lui hurlait la décadence et à chacun de ses mouvements il ne pouvait qu'imaginer la volupté de sa chair sous ses mains hésitantes.
Il lui faisait perdre la tête.
- T'es vraiment intrigant, tu le sais n'est-ce pas ?
Le cuisinier semblait profondément sincère et Chan frotta énergiquement son visage de ses mains, comme pris dans un rêve dont il ne voulait surtout pas se réveiller. Finalement, le poissonnier finit par lui demander d'approcher.
- Pour le poisson, tu dois commencer par le vider comme ça, maintiens-le bien car ça glisse. N'oublie pas d'enlever cette partie. En soi, les clients peuvent le faire eux-mêmes, mais c'est plus sympa quand c'est déjà vidé, puis les invendus partent au restaurant et je préfère quand tout est déjà prêt, je gagne du temps en cuisine.
Chan l'observa faire avec attention avant que l'homme ne se décale pour qu'il le fasse à son tour. Le poisson était effectivement visqueux, plus que Chan ne l'avait imaginé et il ne put empêcher son visage de décrocher une légère grimace, tant à cause de la texture que de l'odeur. Le cuisinier l'observa en souriant avant de se mettre lui-même à vider le reste de sa pêche. Un silence confortable se fit et Chan ne pouvait s'empêcher de regarder l'homme posté à sa gauche. Ses mains expertes tenaient le poisson avec fermeté et lorsqu'il remonta ses manches, Chan ne put faire l'impasse sur la puissance de ses muscles ainsi que sur, encore une fois, les veines apparentes de ses avants-bras qui rendaient le tout terriblement attirant sans qu'il ne sache vraiment pourquoi.
Le piercing qu'il avait au niveau de son nez brillait sous les rayons maintenant rosés du soleil et Chan était ébloui, un couteau figé dans sa main tandis que la vision qui s'offrait à lui, lui semblait, elle, surréelle.
- Tu vas te couper à force de ne pas regarder ce que tu fais.
L'homme avait parlé sans même se retourner vers Chan alors ce dernier retourna à sa tâche, les oreilles rougies par sa maladresse. Il devait vraiment arrêter de le fixer de la sorte, il ne faisait que s'humilier. Chan se donna pour mission de changer de sujet et avec tout le courage dont il était capable, il demanda au cuisinier :
- J'ai cru lire ton prénom au bas d'une photo dans ton restaurant, mais je ne suis pas sur...
- Minho.
Chan attendit une réciproque qui ne vint pas et il se sentit tout bête d'avoir tenté une approche qui se soldait par un silence aussi surprenant. Il n'avait jamais rencontré quelqu'un ayant autant confiance en lui tout en parlant si peu. De là où il venait, les hommes les plus beaux prenaient de la place. Ils se montraient, ils se pavanaient. Minho n'avait rien à voir avec eux. Il était différent, foncièrement.
- Tu vas pas me demander comment je m'appelle ?
- Tu t'appelles Chan.
- Comment tu le sais ?
Chan l'observa avec surprise, la bouche légèrement ouverte laissant ses dents parfaitement alignées et d'une blancheur sans failles se dévoiler.
- J'ai entendu ton ami t'appeler comme ça quand il t'a précisé que je n'étais pas au menu.
Chan lâcha avec fracas le couteau sur la table de bois qui rebondit pour venir s'échouer sur le sol lisse du hangar. Sans aucune retenue possible, il commença à s'étouffer avec sa salive quand son visage devint cramoisi. Rouge n'était plus une option, Chan suffoquait littéralement. Jamais il ne s'était senti si gêné de sa vie et de voir Minho sourire de cette manière, si décontractée et fière ne fit qu'ajouter à sa gêne. Ce dernier ne l'observait même pas, il commençait déjà à écailler les poissons qu'il allait garder pour le restaurant quand Chan essaya à présent par tous les moyens de fuir cette rencontre.
- Je... je... je crois que mes amis vont s'inquiéter, il faut que j'y aille parce qu'après ils vont croire que...
- Inutile d'en faire autant Chan, ne t'inquiète pas, tu peux y aller.
- Bonne journée Minho.
- À bientôt Chan.
Chan était mortifié, il n'avait pas eu si honte depuis très longtemps. A dire vrai, il n'avait pas eu si honte depuis que Félix s'était étalé dans le hall principal de leur entreprise et cela remontait déjà à plusieurs années.
Sur ce coup là, Chan se sentit si humilié qu'il en voulait à Changbin, pourtant il savait que ce dernier n'avait rien fait et que sa voix portait naturellement... disons que c'était Changbin. Aussi délicat qu'un éléphant dans un magasin de porcelaine...
Comment allait-il pouvoir l'aborder de nouveau ? C'était impossible ! Il ne pourrait jamais se relever d'une humiliation pareille... Pourtant, au loin, alors que Chan parcourait à vive allure la forêt luxuriante qui les entourait pour regagner la berge et ainsi courir de nouveau jusque chez lui, Minho ne l'avait pas lâché des yeux. Un sourire sincère perla sur ses lèvres quand il reposa son poisson et son couteau sur la plaque attenante.
Le pêcheur prit appui sur l'évier en face de lui pour secouer énergiquement ses cheveux qui battaient l'air matinal. À voix haute, Minho émit ce qui lui trottait déjà en tête depuis qu'il l'avait vu rougir sur la berge.
- Cute...
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Chan est adorable, je hurle mdr
Je suis tellement du genre à la Minho que les gens réservés c'est du pain béni pour moi haha
Vous ressemblez plutôt à Chan ou à Minho pour le moment ?
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