Je suis Claire. Enfin, je m'appelle Claire. Mais qui je suis, ce n'est pas clair. Et peut-être que ça n'a pas à l'être. Qui je voudrais être, ce n'est pas clair non plus. Mais peut-être que ça n'a pas non plus à l'être.

Tu me dis que je ne sais pas ce que je veux, mais moi j'ai l'impression de savoir ce que je veux mieux que toi tu ne sais ce que tu veux. Tu vois, le problème avec ce genre de question, c'est que plus on y pense et plus on trouve d'éléments de réponses, moins ça semble clair. Tu dis que tu veux être quelqu'un de bien. Tu dis que tu veux être heureux. Et ça te suffit comme réponses. Moi aussi je veux être quelqu'un de bien, et moi aussi je veux être heureuse ; mais ça ne me suffit pas comme réponses. C'est quoi être quelqu'un de bien ? C'est quoi être heureux ? Crois-tu vraiment que les réponses à ces questions soient claires pour toi, ou pour qui que ce soit ?

Je veux être quelqu'un de bien ? Peut-être. Peut-être pas. Tout dépend de ce que l'on entend par là. Je veux être le genre d'humain que j'aimerais que les humains soient. Plus que tout, je veux ça. Mais ça veut dire quoi au juste ? Ça peut vouloir dire un millier de choses à la fois, et ça veut dire un millier de choses à la fois. Alors bien sûr je ne les ai pas toutes en tête en disant ça, mais je crois que je veux être ce millier de choses. Je veux être quelque chose de beau. Pas être belle ; ça, on s'en fout. Mais, tu sais, juste être quelque chose de beau au milieu de ce monde pourri. Je voudrais être une métaphore, un message, un symbole. Je voudrais être la preuve qu'autre chose est possible. Je voudrais être la preuve que les humains ne sont pas condamnés à n'être que ce qu'ils sont déjà. Je voudrais être une lueur d'espoir au milieu du chaos. C'est con, hein ? Mais, tu sais, je crois vraiment que c'est possible. Je ne crois pas que ça changerait quoi que ce soit, mais je crois que je pourrais être ça. Et je veux être ça, plus que tout. Je ne sais juste pas encore comment exactement. Mais je voudrais juste ne jamais, devant le miroir ou devant mon autobiographie, ne ressentit le même genre de mépris que je ressens en regardant les autres.

Pourtant je ne vois pas que du moche et du stupide autour de moi. Je vois les petits morceaux de beauté en chacun aussi. Ou au moins les vulnérabilités. Tous ces petits trucs qui rappellent que les humains sont humains, au moins encore un peu. Qu'aussi immondes ou bêtes que soient leurs choix et leurs façons d'être, il y a un peu de chacun d'eux en moi, et un peu de moi en chacun d'eux. Je voudrais mettre un peu de moi en eux, si possible. Tu sais, juste insuffler un peu de beauté en passant. Être inspirante. J'aimerais tellement être ça. Mais c'est trop présomptueux. Je n'ai pas ce pouvoir là. Je vois ces similarités, ces petits bouts de lien. Je vois ce qui les rapproche de moi : ces besoins et ces croyances qui créent leurs façons d'être et qui sont aussi les miens. Et je voudrais juste pouvoir tirer sur ces petits bouts de lien et créer quelque chose à partir de là. Partager, ou au moins essayer. Leur rappeler qu'ils ne sont pas seuls. C'est une sensation étrange. C'est dur à expliquer. C'est que je les méprise sans les mépriser. Je les regarde de loin, de haut, et je les méprise. Quand je pense à l'humanité en faisant des généralités. Puis je les regarde un par un, et je ne peux pas faire autrement que de les comprendre. Je vois leurs raisons, la façon dont la vie a fait d'eux ce qu'ils sont. Je vois que même s'ils sont loin d'être admirables, ils sont pardonnables. Ils me semblent juste perdus ; au moins autant que je le suis moi.

Oui je sais, c'est très présomptueux. Mais, oui, j'aimerais juste être quelque chose de mieux qu'eux. Mieux selon ma propre conception de ce qui serait mieux. Et elle n'est pas forcément universelle ; et elle n'a pas à l'être. J'ai juste besoin de vivre en accord avec ma propre conception de ce que l'humanité devrait être. Juste créer à travers moi un exemple d'humanité qui vaille le coup à mes yeux. Oh, si c'est présomptueux, tant pis ; ce serait bien pire de ne pas l'être. Ce serait bien pire de se laisser aller à la simplicité, à être infiniment moins que tout ce que je pourrais être. Je voudrais juste être quelque chose qui ait du sens à mes yeux. Quelque chose de beau et d'unique. Et, dans mon monde idéal, chacun en ferait autant, et on serait tous différents au final. Des genres de beauté différents en chacun ; comme si on était tous des tableaux, ou des chansons. Je veux être ma propre création, et aimer cette création. Peut-être que c'est égocentrique. Peut-être que c'est complètement vain. Mais c'est ce que je veux, ce qui est important pour moi. Et je crois que le monde serait plus beau si tout le monde se fixait ce but là ; aussi présomptueux et égocentrique qu'il soit.

Comment je compte faire ça ? Il n'y a pas qu'une seule réponse. C'est à travers tout. Tout tout tout, depuis le moindre petit détail jusqu'aux grands choix qui façonnent une existence. Tout devient important parce que tout devient signifiant. Ce n'est pas un délire mystique. C'est juste une exigence. Une exigence trop exigeante, que je ne pourrais probablement jamais atteindre. Juste un idéal vers lequel tendre. Je veux juste créer ma propre essence, et aimer cette essence. Ce cœur de mon être qui transparaîtrait à travers chaque mouvement, chaque mimique, chaque choix, chaque parole. Et quand on me demande ce que je veux dans la vie, je réponds ce genre de monologue chaotique qui veut rien dire pour la plupart des gens. Parce que c'est trop abstrait. Mais le truc c'est qu'au final je ne crois pas que ce soit si important que ça, ce que je vais faire de ma vie. Je crois que ce qui sera important, c'est comment je le ferais. Je pourrais faire n'importe quoi, mais d'une façon qui soit mienne. Une que je trouverais belle.

Et du coup je ne peux pas faire n'importe quoi. Parce que la plupart des choses, on ne peut pas les faire d'une façon qui soit nôtre. Pas dans ce monde là en tout cas. J'aurais dû choisir une voie artistique peut-être. Mais, tu vois, je n'en ai même pas envie. J'ai l'impression que ce serait choisir la facilité. J'ai envie de faire ce qu'ils font tous, tous les autres. Mais de le faire mieux. Mieux dans tous les sens du terme : plus efficacement, plus humainement, plus sincèrement, plus passionnément, et surtout avec un truc en plus. Toujours un truc en plus, mais je ne sais pas lequel. J'ai envie de faire ce qu'ils font tous, mais différemment. Juste pour prouver que c'est possible. Je sais que c'est con. Mais c'est beau aussi. C'est significatif. Ça l'est à mes yeux en tout cas. Tu comprends pas, j'ai juste envie d'être un pied de nez à cette fichue humanité qui a fait un gâchis monstre de tout le potentiel qui était en elle, et qui continue de répéter cette erreur génération après génération. Je ne suis même pas sûre que ce soit vraiment possible. Mais j'ai envie d'essayer.

J'ai envie d'être quelqu'un de bien ; je viens de t'expliquer ce que ça signifiait pour moi. Et j'ai envie d'être heureuse. Ça vient après, je crois. En tout cas c'était ce que je croyais jusqu'ici. Maintenant, je commence à me poser la question. Je crois que, si je finis par découvrir que ce n'est pas possible d'être quelqu'un de bien au sens ou je l'entends, alors je finirais probablement par me contenter d'être heureuse. Ça fait peur. Ça me fait peur. Peut-être que c'est ce qui leur est arrivé, à eux tous. Ils ont réalisé que c'était impossible d'être quelqu'un de bien, et ils ont choisi de se contenter de la recherche du bonheur. Tu crois que c'est ça ? Je crois que je serais assez égoïste pour faire ça moi aussi. Je ne suis pas sûre que j'aurais assez de force pour tenir en essayant d'être quelque chose de plus beau si j'ai l'impression que c'est impossible, que personne ne le vois, ou que je dois trop sacrifier pour ça. Parce que j'ai envie d'être heureuse aussi. Et en même temps je sais que je ne me sentirais jamais pleinement heureuse si je ne suis pas quelqu'un de bien ; que je me sentirais mal. Mais je sais aussi que je commence à en avoir marre de n'être qu'une abstraction.

J'ai envie de me sentir vivante. J'ai envie de vivre. Parce que plus le temps passe, plus je réalise que l'on n'en a pas assez, de temps. On n'est là que brièvement. Et on se doit d'en profiter. Puis, quitte à parasiter l'univers, autant que ça profite à quelqu'un non ? Je le ressens de plus en plus vivement, que je me dois de prendre tout ce que je peux prendre. Que je ne peux pas me permettre de faire du gâchis. Et que si je ne vis pas, alors je ne suis rien. Je sais que je ne peux plus n'être qu'une abstraction dans ma tête. Je sais que j'ai besoin de profiter, de sentir la réalité avoir prise sur moi. Et de te sentir dans mes bras. J'ai besoin de me soucier du monde autour de moi, d'entrer en interaction avec lui. J'ai besoin de créer de la beauté, pas seulement en moi mais aussi dans le monde. Et entre nous aussi. J'ai besoin de voir la beauté partout où elle peut être vue, surtout là où elle est difficile à repérer. Et j'ai besoin de créer de la beauté partout où elle peut être créée.

Et j'ai besoin de n'être pas seule. Juste pour prouver que ça aussi c'est possible. Juste pour prouver qu'à deux aussi ça peut marcher. Juste parce que c'est encore plus beau. Juste parce que c'est un autre genre de beauté. Un plus difficile à atteindre encore. Je veux qu'on soit beaux, toi et moi. Qu'on ait quelque chose de beau, au sens où on l'entendra nous. Quelque chose de plus sincère, de plus humain, que ce que les autres peuvent avoir. Quelque chose avec un truc en plus, un qu'on choisira nous. J'ai envie qu'on soit heureux, mais aussi qu'on soit beaucoup plus que ça. J'ai envie qu'on soit une métaphore, un message un symbole. J'ai envie que notre relation soit ce qu'on aimerait que l'amour soit. C'est con tu crois ? Peut-être. Présomptueux ? Peut-être. Mais je m'en fiche. C'est ce que je veux. Mais je ne suis pas sûre que ce soit possible. Parce que je ne suis pas sûre que ce soit ce que tu veuille toi.

Et j'ai envie d'être heureuse. Mais j'ai surtout envie d'être heureuse avec toi. Ça, c'est très con. Mais c'est comme ça. J'ai envie que tu sois quelqu'un de bien. Et j'ai envie que tu sois heureux. Même si ça doit être que ce que toi tu entends par là, et pas forcément ce que moi j'entends par là. Je ne sais même pas ce que tu entends par là. Alors c'est très con. Mais j'ai quand même envie de ça pour toi. Plus que tout. J'ai envie d'aimer. De t'aimer. C'est très con. Mais aussi très humain. Alors tu sais, je crois que si tu ne me laisses pas aspirer à plus pour nous deux, je finirais par renoncer. Pas par renoncer à nous, mais par renoncer à plus.

Et je crois que ce serait dommage. Et je ne sais pas si je serais heureuse ainsi. Mais au moins je serais en vie. Je ne serais plus qu'une simple abstraction. Et, au moins, alors, je mourrais un jour en ayant la satisfaction d'avoir compris ces êtres humains que je méprisais. Je les aurais compris parce que je serais devenue exactement comme eux. Ce serait plus simple. Ce serait plus clair. Mais est-ce vraiment ce que tu veux ? Tu crois que ça ferais de toi quelqu'un de bien ? Tu crois que ça te rendrait heureux ? Tu crois que ce ne serait pas un immense gâchis de notre potentiel ?

Je suis comme ça. Je vois le potentiel et la beauté. Je te regarde avec des yeux pleins de petites étoiles et tu trouves que c'est con. Mais ce n'est pas con. Ce n'est pas con de voir le potentiel et la beauté. C'est difficile. C'est difficile, mais c'est signifiant. Et ce qui serait con ce serait de renoncer. Ce serait con de renoncer à toi. Et ce serait tout aussi con de renoncer à tout le reste pour toi. Alors, s'il te plait, ne me laisse jamais tomber dans ce travers là.