Chapitre 4 partie 1
Je patiente en compagnie de la Mère Supérieure depuis quelques minutes devant la porte du pensionnat. Elle ne m'a pas lâchée d'une semelle depuis le départ de la Reine et a même fait personnellement mes valises.
Je ne peux pas la blâmer pour son manque de confiance. Après cet entretien pour le moins douteux, beaucoup auraient aimé prendre la fuite, moi la première. Et elle me connaît. Elle sait que j'ai envie de tenter quelque chose. Mais j'ai conscience que l'établissement qu'elle dirige est une véritable forteresse et que mes chances de liberté seront plus élevées à l'extérieur de la ville. C'est pourquoi je ne tente rien, élabore un plan basique en attendant gentiment de voir si ce coche fera réellement son apparition ou non.
Il est dix-neuf heures précises quand un véhicule noir banalisé s'arrête devant nous. Immédiatement, un valet de pied en livrée assortie descend pour m'ouvrir la porte tandis qu'un autre s'occupe de ma valise, confirmant une bonne fois pour toute que tout ce que j'ai vécu ces dernières heures est bien réel. Et à ce niveau, je suis malheureusement obligée de l'accepter. J'en rirait presque.
Étonnée plus qu'apeurée, je me tourne vers la femme se tenant à mes côtés.
– Qu'est-ce que je suis censée faire ?
– Eh bien, monter, quelle question ?
Joignant le geste à la parole, elle me prend fermement par le bras et me pousse vers la porte ouverte. Toutes les fibres de mon être me hurlent de m'échapper, mais je résiste et m'assois sur une banquette recouverte d'un velours rouge profond.
La porte claque. Dans un élan de panique, je parviens à descendre la fenêtre qui me sépare de la seule mère que j'ai jamais connue :
– Est-ce que vous savez au moins où ils m'emmènent ?
– Non, je n'en ai aucune idée, C. prenez soin de vous.
Et sur ces mots, simples, presque froids, elle s'éloigne pour laisser la voiture démarrer dans un sursaut qui me projette contre la paroi.
En quelques secondes, nous traversons la Porte de la Tour et empruntons le boulevard que j'ai suivi la veille pour aller à la décharge. Mais au lieu de prendre sur la gauche, nous dépassons la Porte des Épars. Puis celle du Châtelet derrière laquelle se trouve la Spirale.
Le paysage défile devant mes yeux à une vitesse folle et ma gorge se serre devant mon impuissance, mais il faut que je me reprenne si je veux pouvoir agir.
Mon plan est simple. Quelle que soit la distance que nous ayons à parcourir, il faudra bien que nous nous arrêtions. Que ce soit pour le confort des chevaux, ou le mien. Et c'est à ce moment là qu'il faudra que je saisisse ma chance. Cependant, mon bon sens me rattrape rapidement.
C'est bien gentil de vouloir échapper à la Reine, mais pour aller où ? Retourner à Kern voudrait dire retomber entre ses mains. De plus, j'ai beau avoir parcouru les abords de la ville durant mon année d'apprentissage, je ne suis jamais allée plus loin que la limite que m'autorisait la fermeture des portes. À savoir à cinq ou six kilomètres du centre, et seuls mes cours de géographie et le souvenir que j'ai des cartes étudiées me donnent une idée de ce qui se trouve plus loin.
Le coche se dirige vers le nord. Au delà du faubourg, je reconnais les fermes de la Villa Mahaut dans lesquelles j'imaginais couler des jours paisibles au cas où la vie de ferraillé ne m'intéressait plus. Est-ce qu'ils pourraient m'accueillir, eux ? Possible. Je sais qu'ils emploient parfois des étrangers. Sans plaques ni tatouage, je pourrais facilement me faire passer pour quelqu'un d'extérieur.
Mais bientôt, nous dépassons les derniers repères visuels que j'ai, et tout ce qui se trouve autour de moi n'est qu'inconnu. Alors que je me demande comment me débrouiller pour entreprendre mon chemin de retour, je sens que le coche ralenti. Est-ce qu'on serait arrivés ? Déjà ?
Un regard par la fenêtre m'apprend que nous nous trouvons aux portes d'une petite bourgade qui doit être le Domaine du Bailli. Vu tout le mystère qu'ils ont fait sur mon départ, je m'attendais à ce qu'ils me détiennent plus loin. Mais quelque part, ça m'arrange. Mon évasion n'en sera que plus facile.
Le véhicule s'arrête finalement et j'entends des éclats de voix. Je descend alors la fenêtre pour demander des détails au cocher, mais je n'ai pas le temps de prononcer un mot que j'entends un cris et vois le pauvre homme tomber à terre. La surprise me fige un court instant, et alors que mon premier réflexe serait d'aller voir comment il va, mon instinct me dicte de rester cachée.
Quelque chose cloche. Nous sommes en plein milieu de la route. À ma droite, la première propriété n'est pas à moins d'une centaine de mètre, et à ma gauche ne se trouve que la forêt domaniale.
Une nouvelle fois, la peur s'empare de moi quand je réalise que nous sommes attaqués.
– Où est la fille ? grogne une voix.
La stupidité de la question me fait presque éclater de rire. Où veut-il que je sois ? Cachée dans une malle ? En dessous du véhicule ? En y réfléchissant, j'aurais préféré que ce soit le cas, parce que s'ils me cherchent, c'est qu'ils savent qui je suis. Et ça ne présage rien de bon.
Je me mets à réfléchir à toute allure aux raisons qui les pousseraient à commettre un tel acte, et elles sont toutes plus effrayantes les unes que les autres. Avec chance, ils veulent me capturer pour une rançon. Dans le pire des cas, ils sont venus pour me tuer. Et je suis là, à quelques secondes de me faire repérer, sans rien pour me défendre. Rassurant. Cependant, je ne compte pas attendre ici qu'ils me cueillent. La meilleure des défenses, c'est encore l'attaque. À moins que ça soit l'inverse ?
Je ne sais plus, et à vrai dire, je m'en contre-fiche. Je prends une grande inspiration, compte intérieurement jusqu'à trois et donne un grand coup de pied dans la porte. Elle s'ouvre dans un claquement sec et immédiatement, je saute hors du véhicule pour courir en direction du village. Mais au bout de deux foulées à peine, je freine en catastrophe comme je tombe nez-à-nez avec un homme armé. J'ai juste le temps de voir la surprise être remplacée par la détermination dans ses yeux que je prends un virage serré et m'élance hors de portée, hors de la route, à travers champs.
– Rattrapez-la !
Je jette un regard par-dessus mon épaule et ne distingue mes assaillants que grâce à leurs kelten bleus qui se démarquent dans l'obscurité croissante.
Bleus ? Ça serait des Aturän ? Ça n'a pas de sens. Pourquoi m'attaquer s'ils savent qui je suis ?
Deux sont à ma poursuite, et un autre, certainement celui qui a beuglé l'ordre, reste à côté du coche, sur un grand cheval blanc. Non, ça n'a vraiment pas de sens. À part les merkarïn, rares sont les Aturän qui possèdent un cheval, et je mettrai ma main à couper que cet homme est tout, sauf un merkaron.
L'effroi s'infiltre dans mes veines, néanmoins ça ne me donne que plus d'énergie pour semer ces individus. Et j'en ai besoin ! La terre meuble en friche rend ma progression difficile, mais je me dis que si ça l'est pour moi, c'est également le cas pour eux.
J'entends l'un des hommes chuter et jubile, puis une flèche siffle à mon oreille gauche. Je serre les dents et rentre le cou dans les épaules. Comme si ça pouvait empêcher leur projectiles de m'atteindre sur un terrain aussi découvert !
Je continue. Je me rapproche du but. Les premiers arbres ne sont qu'à une dizaine de mètres. Un dernier effort et je serai plus à même de me protéger. Malheureusement, j'entends le cavalier éperonner sa monture. Il ne lui faudra pas plus de quelques secondes pour me rattraper. J'accélère donc le pas tandis que j'entre dans le sous-bois, mais une douleur fulgurante me frappe le flanc gauche, et je m'écroule lourdement.
J'ai le souffle coupé quelques secondes, et je parviens à reprendre des goulées d'air seulement pour les laisser s'échapper en un grognement. J'ai tellement mal que je me contorsionne, le visage enfoui dans les feuilles mortes et la terre humide, mais ça n'arrange rien. Bien au contraire.
Quelque chose me gêne. J'essaye de bouger mon bras pour y porter la main et tenter de l'identifier, mais chaque mouvement est une épreuve.
Des pas se rapprochent et je distingue bientôt une paire de bottes en cuir noir. L'homme s'avance, m'empoigne sans ménagement pour me retourner, et je hurle quand la hampe de la flèche fichée dans mon dos se brise sous mon poids.
Mon assaillant me domine de toute sa hauteur. À travers mes larmes et l'obscurité grandissante, je distingue un visage pâle comme j'en ai rarement vu, et des yeux sombres. Étrangement, son expression n'est pas hostile, mais inquiète. Dans sa main droite, il tient fermement un scramasaxe dont la lame me renvoi la lumière du soleil couchant. Il porte un bracelet de force en cuir au poignet, mais l'autre est nu, et me révèle son identité : sur sa peau blafarde, je vois clairement le soleil rouge de l'armée, ce cercle au centre marqué d'un point.
– C'est pitié que tu aies à mourir à cause d'une erreur de naissance, me dit-il.
Je tremble de tout mon corps. J'ai froid. Je souffre. Et malgré la situation, je parviens quand même à rire. Mais ça ne dure pas.
– Ewin ? dit alors une voix douce, presque amicale. Finis le travail.
– Bien, mon Seigneur.
J'ai juste le temps de voir la tête du cheval blanc que la lame me transperce l'abdomen. Tout mon corps se contracte, et un voile noir me tombe sur les yeux.
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