Chapitre 3 partie 1
Je me réveille à la première sonnerie de la journée. Mais contrairement à mon habitude, aujourd'hui, je ne me prépare pas à sortir. De la malle au pied de mon lit, je pioche des vêtements plus fragiles que ceux que je mets pour travailler. Plus élégants. Comme me reprochant de ne pas les avoir portés plus souvent, le pantalon et la veste anthracites de mon uniforme scolaire sont un peu froissés, tout comme la chemise crème que je porterai avec. Mais ma toge noire les recouvrira bientôt, alors je ne m'en occupe pas plus.
Une fois prête, je quitte le dortoir en compagnie de quelques camarades de mon année, et nous nous rendons au réfectoire. Il règne dans la pièce un silence de plomb, et je constate que certaines on le teint cireux. Rares sont celles qui, comme moi, ne se préoccupent pas de ce qui va suivre.
Les garçons et les filles suivent les cours et vivent dans deux pensionnats séparés, mais l'évaluation se déroule dans l'un ou l'autre des établissements une année sur deux. Cette fois, c'est chez les filles.
Le test est divisé en trois blocs : langues et civilisation, sciences et enfin techniques. Chacun a ses sous-épreuves d'une durée plus ou moins longue. C'est la validation ou non de ces différents blocs qui détermine l'appartenance à l'une ou l'autre des communautés qui composent notre société, mais c'est la maîtrise des sciences qui fait pencher la balance entre Kerïn et Aturän. Je sais donc ce qu'il faut laisser de côté pour demeurer Atura, et que privilégier pour devenir ferraillé, tout en ne prenant pas le risque de devenir une esclave, et pour moi, là est toute la difficulté : plus de soixante-quinze pour cent de réussite en sciences et je suis Kerni, moins de cinquante et je risque de devenir esclave.
La journée, qui s'annonce longue, débute avec l'épreuve de Langues et Droit, enchaîne avec celle d'Histoire et Géopolitique, et à onze heures, c'en est terminé pour la première section. Bien que je maîtrise la plupart des sujets, je prends soin de ne pas dépasser un taux de réponse de soixante-quinze pour cent, ce qui, en cas de réussite, la validerait.
Vient ensuite l'épreuve des sciences ou j'applique le même stratagème, et après la pause déjeuner, l'après-midi est consacrée aux épreuves techniques durant lesquelles chacun est interrogé sur sa spécialité. Pour la première fois de la journée, je donne tout ce que j'ai.
Le test se conclut par une épreuve facultative d'exercice physique, pour ceux qui voudraient rejoindre les rangs de l'armée, ceux qui souhaitent se démarquer, comme moi, ou encore ceux qui pensent échouer et pour qui il ne reste plus que la force et l'appel des arènes pour briller.
Alors que je m'apprête à retourner au dortoir pour troquer mon uniforme strict contre mes vêtements de travail plus confortables, la Mère Supérieure hèle une « C ». Je sais qu'elle me vise, mais l'ignore ouvertement, me disant que je ne suis de toute manière pas la seule « C » de la foule. Heureusement, je m'en débarrasse définitivement quand un des examinateurs lui pose une question à laquelle elle ne peut échapper.
Une fois revenue, je rase les murs, rejoins les derniers orphelins et nous sommes testés sur des épreuves d'agilité, de force et d'endurance : ils nous font faire des courses d'obstacles, soulever des charges, et après ça, courir dans la cour du pensionnat le plus longtemps possible. Je fais de mon mieux, ne connaissant pas vraiment le barème, mais je réalise rapidement que mon entraînement de ferraillé a entretenu ma forme.
Après une dizaine de tours, ne restent que deux personnes à part les autres apprentis ferraillën et moi : un jeune homme que je n'avais jamais vu, et une jeune fille à qui j'ai rarement adressé la parole, malgré tous les cours que nous avons suivis ensemble. Une « B », travailleuse, mais de celles dont les résultats atteignaient tout juste la moyenne en dépit de tous les efforts fournis. Je ne me doutais pas qu'elle était aussi athlétique et suis heureuse de constater que si elle a maintenu son niveau scolaire, elle se fera une bonne place dans l'armée.
En y réfléchissant, il ne faudra pas que je m'étonne si après cette ultime épreuve, je recevais moi aussi une demande du Chef des Armées de la Reine.
Après une minute supplémentaire, les examinateurs nous arrêtent, nous félicitent, et nous libèrent enfin. Tous les autres sont partis se reposer en attendant la cérémonie de commémoration, et les couloirs sont déserts quand je me dirige de nouveau vers le dortoir, en reprenant mon souffle.
Quelques temps plus tard, alors que je sors du local sanitaire, propre comme un sou neuf, je croise la « B » de tout à l'heure. Elle a l'air préoccupé. Par politesse plus que par réelle envie, je lui demande donc comment s'est passé le test, et la félicite sur son épreuve physique.
–Qu'est-ce qui te prends ? me répond-elle, désabusée.
À mon tour, je tombe des nues, mais me ressaisis :
–Un mot sympa, de temps en temps, ça ne fait pas de mal, non ? Je t'ai fait quelque chose ?
–Comme si tu ne le savais pas...
Non, en effet, je ne vois pas où elle veut en venir. Je lui demande.
–Tout le monde sait que tu es la plus qualifiées d'entre nous pour devenir Kerni, crache-t-elle presque. Et il faut en plus que tu passes l'épreuve physique ? Tu ne crois pas que tu pourrais au moins ne pas totalement humilier le reste d'entre nous ?
Puis, sur ces paroles, elle me laisse en plan pour aller se préparer. Je tends la main pour la retenir, j'essaye de la contredire, mais les mots restent coincés dans ma gorge. Qui sait ce qu'elle me ferait si je lui disais que j'avais fait exprès d'échouer aux épreuves ? Elle entendra bien les résultats ce soir.
Les mots de Daniel me reviennent alors en mémoire ; sa façon d'insister sur le fait que je doive profiter de mes capacités, et pas les gâcher. Mais la jalousie de cette fille ne fait que me conforter dans ma décision.
Certes, c'est injuste que quelqu'un comme elle se batte si fort pour obtenir quelque chose, et que quelqu'un comme moi puisse l'obtenir aussi facilement mais ne s'en soucie pas. Et je suis consciente que le choix que j'ai fait est un luxe. Mais est-ce que c'est ma faute si j'ai ces capacités alors que la richesse que je recherche n'a rien à voir avec l'argent ou le pouvoir ? Pourquoi me le reprocher ? L'herbe est toujours plus verte ailleurs, et c'est valable pour tout le monde.
Contrariée, je jette plus que je ne range mes vêtements de travail dans mon coffre, et après avoir revêtu ma toge, je me dirige d'un pas rapide vers la cour du pensionnat dans l'espoir de profiter de quelques minutes de tranquillité. Mais dès que je pose un pied dans le cloître, la Mère Supérieure fond sur moi comme un rapace en hurlant presque mon matricule, abandonnant sans cérémonie les surveillantes avec lesquelles elle s'entretenait quelques secondes plus tôt.
–C-1-87, arrêtez-vous immédiatement, j'ai à vous parler !
Pas de doute, c'est bien moi. Sans la protection de la foule des élèves, je n'ai d'autre choix que de m'arrêter.
Sa robe et son voile presque aussi sombres que sa peau volent autour d'elle alors qu'elle franchit les derniers mètres qui nous séparent. Ses yeux bleu ciel lancent des éclairs.
–Que se passe-t-il ? demandé-je le plus poliment possible.
–Que se... Ne jouez pas les innocentes avec moi, jeune fille. Je vous avais pourtant prévenue, hier matin avant que vous ne sortiez, que je tenais à vous voir après les épreuve. Pourquoi m'avoir ignorée tout à l'heure ?
Je retiens un rire nerveux autant qu'un soupire.
–Tout à l'heure ? Mais, il fallait que je me prépare pour l'évaluation physique ! Vous n'auriez pas voulu que je la passe dans cette tenue ?
Pour accentuer mes mots, je déploie ma toge autour de moi.
« De quoi aurais-je eu l'air lors de la cérémonie si j'avais sali mon uniforme ? Ça n'est pas comme ça que vous m'avez appris à montrer le respect que je dois à la Famille Royale.
Je ne tiens pas à dépasser les limites, mais je ne comprends ni sa fébrilité ni son insistance à mon égard, alors je ne peux m'empêcher d'être cynique.
–La barbe ! Je vous aurais bien fait payer votre insolence si seulement la Famille Royale n'avait pas d'autres plans pour vous. Maintenant, suivez-moi.
–De... Comment ?
Incrédule, je la laisse me saisir par le poignet, comme elle le fait toujours lorsqu'elle est sur le point de punir quelqu'un, et me conduire jusqu'à son bureau. Contrairement à son habitude, elle n'y entre pas en trombes, mais s'arrête devant la porte pour y frapper. Je remarque deux femmes inconnues qui discutent à voix basses un peu plus loin. Quand elles nous voient, elles se taisent et me dévisagent.
–Que se passe-t-il ? demandé-je à la Mère Supérieure devant son comportement étrange, sentant l'angoisse poindre.
– Allez. Vous le saurez bien assez tôt.
À l'intérieur, une voix féminine m'ordonne d'entrer et j'obéis. Prenant soin de refermer la porte derrière moi, je me tourne ensuite vers le bureau situé au fond de la pièce, et je reste stupéfaite quelques secondes avant de m'écraser au sol dans la pire des révérences que j'ai jamais exécutée. Assise à la place de la Mère Supérieure, vêtue de la plus magnifique des robes de deuil que j'ai pu voir, se tient Ærona, Reine de Kern.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro