Chapitre 2 partie 1
La Spirale. C'est là que je vais emménager dans moins de deux jours. Tout le monde m'y connaît déjà, si bien que je m'y sens plus chez moi que je ne l'aurais jamais été au pensionnat. C'est un endroit étrange enterré de l'autre côté de la ville. Daniel m'a dit que ce lieu avait un jour été une carrière. Après la destruction, et à cause des guerres que le chaos avait engendré, les nouveaux habitants de Kern en avaient extrait la pierre pour rapidement construire la muraille. Par la suite abandonnée, les premiers metallïn y avaient élu domicile, et c'était devenu leur repère, leur place forte.
Évidemment, ils n'y habitent pas tous. Ça ferait trop de monde à loger. Non. Seuls les ferraillïn restent là. Mais principalement et surtout, ceux qui peuvent encore courir à l'extérieur de la ville. Ceux pour qui se trouver près des portes est le plus important. Les plus robustes, en somme. Les autres vivent dans le reste du périmètre nord-ouest.
Difficile de se dire que ce quartier est le leur, pensé-je quand nous y arrivons. Il se serait plus apparenté à celui des especïn ou des herberïn. Ici, aucune trace de métal, quel qu'il soit. Nous sommes littéralement entourés de végétation ; comme si nous avions pénétrés dans un grand jardin ou un sous bois. Il n'y a que la porte massive se trouvant au bout du chemin sur lequel nous évoluons pour nous prouver que nous sommes encore dans l'enceinte de la cité.
Le seul élément indiquant l'entrée de la Spirale dans toute cette verdure est la présence de deux personnes : un homme et une femme, assis à côté d'un arbre sur notre droite, et discutant. On pourrait se méprendre sur la raison de leur présence ici, mais le fait qu'ils portent des couteaux de chasse à leurs ceintures de façon bien visible est en soit un indicateur suffisant quant à leur rôle de gardes. Nous les dépassons pour tourner derrière le tronc du chêne centenaire qui les abrite, et ils nous saluent, ne prenant même pas la peine de vérifier nos identités avant de nous laisser emprunter l'escalier en colimaçon qui descend le long d'un trou béant.
Une fois arrivés au premier sous-sol, nous le quittons pour prendre la passerelle qui court le long des parois de ce trou, la seule partie visible de la construction qui donne sur l'extérieure et qui dessert les différents quartiers qui y sont aménagés. Faite d'un assemblage de métal et de bois, elle descend progressivement jusqu'au fond, quinze mètre en dessous, en suivant la forme d'une spirale.
Mais ce n'est qu'un niveau plus bas que Daniel s'arrête. Devant sa porte. Son bois simple à la peinture verte écaillée semble posée là par hasard au milieu d'une grande baie faite d'une association de panneaux de verre dépoli, et rien ne la distingue des autres, hormis le petit numéro « 6 » qui y est gravé.
– Donne-moi tes affaires et va prévenir Jordan, m'ordonne-t-il. Le temps d'attraper de quoi nous changer et je te rejoins.
Sans discuter, je m'exécute et descends jusqu'au dernier sous-sol. Là, occupant une bonne partie de l'espace disponible, se trouve la salle des machines qui abrite une chaudière. Certes, une antiquité, mais qui n'a plus besoin de prouver son utilité. Fonctionnant au bois, elle permet entre autre de chauffer les quartiers de la Spirale, mais surtout, l'eau de pluie récupérée et contenue dans les citernes au premier sous-sol.
– Baraquement 6 ? me demande le chef opérateur, plus par habitude qu'autre chose.
– Exact.
– Ça vous fait cinq minutes chacun...
– ...et pas une de plus, terminé-je. Ne t'inquiète pas, Jordan, je connais les règles. De toute manière, ce n'est pas comme si on pouvait vraiment faire autrement.
– Je sais. Mais j'aime bien rappeler de temps en temps que nos ressources sont précieuses. Surtout à ceux qui en profitent outrageusement, comme toi.
– Et je ne me lasserai jamais de te l'entendre dire !
Alors que je vois le chef opérateur cocher une case sur un calepin et fouiller dans une boîte en bois avec l'air renfrogné qui le caractérise quand il s'adresse à moi, je me dirige vers les douches qui se trouvent à l'opposé de la salle des machines.
Avec dix minutes d'eau chaude par personne et par jour, pas la peine de me préciser que c'est un luxe dont les résidents peuvent profiter tant qu'ils en payent le prix. Luxe que Daniel partage sans broncher avec moi quand d'aventure je passe par la Spirale après le travail. J'ai refusé catégoriquement, la première fois qu'il me l'a proposé. Il m'a alors menacé de me mettre sous l'eau de force, s'il le fallait. Depuis, jamais je n'ai refait l'erreur de ne pas le prendre au sérieux, et j'ai en permanence des vêtements de rechange qui traînent chez lui. Au cas où.
En entrant dans le local, je constate qu'il ne fait plus suffisamment jour pour que la lumière naturelle éclaire l'endroit. Et ce, malgré les panneaux réfléchissants placés le long des parois de la Spirale et qui acheminent les rayons du soleil jusqu'en bas. J'entreprends alors d'allumer deux lampes à huiles que je place dans deux cabines.
Au moment où je termine, Daniel me rejoint.
– Pour toi, me dit-il en me fourrant dans les mains des vêtements propres et une serviette, surmontés d'un pain de savon et d'une petite carte en métal.
Je le remercie, entre dans la première cabine et tourne sur moi-même pour m'enfermer. Une fois confinée dans l'espace exiguë, je prends une grande inspiration et me concentre pour garder mon calme. Puis, je pose mes affaires propres sur l'une des tablettes accrochées au mur sur ma gauche, me décoiffe et me déshabille en essayant de ne pas me cogner contre les parois en bois, abandonne mes vêtements sales sur le sol, et saisis mon pain de savon ainsi que la carte métallique. Je me tourne alors vers la porte faisant face à la première, y glisse la carte dans l'encoche prévue à cet effet, et actionne le verrou mécanique. Un léger cliquetis se fait entendre, et la cabine de douche s'ouvre finalement. J'attrape alors la lampe à huile, la pose par terre, et referme la porte.
Dès que le verrou s'enclenche, l'eau se met à couler d'un pommeau fixé au mur, et je m'active à faire mousser le savon dans mes mains. J'aperçois au passage les boursouflures qui marquent mes paumes, d'ordinaire cachées par des gants ou des mitaines qui ne me quittent jamais. Elle sont le vestiges d'un accident dont je ne me souviens même pas, mais de les voir me laisse toujours une impression étrange. Essayant de la chasser, je tente à la place de faire disparaître toute cette poussière de mes cheveux noirs et de ma peau caramel.
Au bout de cinq minutes, l'eau s'arrête d'elle-même et la porte se rouvre. Je me sèche alors rapidement, m'habille, rassemble mes affaires et sort du local douche, ne pouvant rester enfermée plus longtemps. L'eau chaude, c'est bien, mais les endroits trop étroits, pour moi, ça l'est moins.
Passant devant Jordan sans lui jeter un regard, je remonte vers le baraquement de Daniel, m'arrêtant quelques secondes devant la porte numéro quinze.
– Plus que deux jours, me dit mon ami quand il me rejoint. Tu auras bientôt tout le loisir de regarder cette porte. D'ici là, on a autre chose à faire, tu te rappelles ?
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