Chapitre 3
Ma décision est prise. Sur le chemin qui mène jusque chez moi, j'ai conclu que je me rendrais à cet événement annuel.
J'ôte mes écouteurs lorsque j'entre chez moi, la pluie m'a frigorifié. J'enlève mes converses, trempées et les poses sous le radiateur pour qu'elles puissent sécher avant que je ne ressorte. En espérant que le temps s'améliore, autrement le feu de camp ne pourra certainement pas avoir lieu.
En quelques mouvements, je me retrouve sous le jet de douche, bouillant. Je soupire d'aise lorsque je parviens à me réchauffer. Je ressors pour adopter une tenue chaude et confortable, en laissant mes cheveux tomber en cascade sur mes épaules. Je ne ferais pas plus d'efforts concernant mon apparence, j'ai horreur d'en faire de trop. Ce jean slim allonge mes longues jambes fines, et ce gros pull en laine fait ressortir mes yeux émeraude comme Mya aimait les qualifier.
Encore une fois, le silence m'accable. Maman n'est pas encore rentrée, et elle ne rentrera sûrement pas de sitôt. Étant infirmière, elle travaille souvent de nuit. Nous croiser est devenu rare, bien que les seules fois me réjouissent. Elle m'a eu très jeune. Lorsqu'elle est tombée enceinte, elle n'était encore qu'une étudiante et a dû interrompre sa scolarité. Après m'avoir mise au monde, elle a poursuivi ses études, moi j'alternais entre plusieurs nourrices. Malgré tout, je n'ai jamais manqué d'amour maternel, elle a toujours montré sa présence même avec des études et un métier prenant. Je l'admire pour tout ce qu'elle a accompli tout en ayant à élever une enfant, seule.
Quand j'ai eu l'âge, elle m'a expliqué avec la plus grande des douceurs, que mon père n'a jamais été présent pour moi, il s'est enfui lâchement dès l'annonce de sa grossesse. Je sais qu'il lui arrive encore d'avoir quelques regrets le concernant. Elle ne devrait pas, je ne manque de rien et c'est une maman que je n'aurais jamais pu espérer meilleure.
Je grignote un reste dans le frigo avant de m'apercevoir que la pluie à laisser place à une nuit humide. J'enfile mes chaussures maintenant réchauffées, puis ma fidèle veste en cuir.
Dès que j'ouvre la porte, je ressens là toute l'agitation du centre de Strambridge. La ville presque entière est en mouvement pour se rendre au feu de camp.
J'ai failli oublier le plus important.
Je referme la porte, grimpe les marches de l'escalier deux à deux, puis me dirige vers mon bureau où l'objet que je souhaite brûler ce soir, repose. Je le détaille tristement, avant de le fourrer dans la poche de ma veste. Cette fois, je me mets réellement en chemin.
J'arrive rapidement où toute la foule est regroupée. Je m'arrête un peu à l'écart et inspire une grande bouffée d'air avant de retrouver tous ces souvenirs.
De la musique est diffusée par une grosse enceinte, les gens dansent, rient et boivent. Tout ce qu'il y a de plus normal pour un événement festif.
Plusieurs visages me sont familiers, des étudiants, des voisins aussi. Puis j'arrive à discerner parmi la foule, mon groupe d'ami, ou devrais-je plutôt le qualifier au passé.
Si Mya n'était pas partie, je serais certainement avec eux, en train de m'amuser et rire aux hilarantes blagues de Léo, accompagnée de Lou, et Bryan.
En me rendant compte que Lou me regarde, je lui adresse un bref signe de la main, qu'elle me retourne avec ce même sourire. Ce sourire qui semble dire : "Tu n'es pas seule, ne sois pas triste". Je souris en retour, par politesse.
Mon corps est alors attiré par cette grande source de chaleur. Les flammes orangées grimpent de plus en plus haut et semblent danser une jolie valse. La veste que j'ai enfilée n'est pas suffisante pour casser le froid, mais le feu, en revanche me fait un bien fou.
Quelques minutes filent, je reste immobile face aux flammes. Finalement, en voyant que les gens s'avancent pour brûler leurs objets et ensuite repartir, je me demande si je ne suis pas ici depuis plus longtemps que de simples petites minutes. J'observe alors les alentours et constate que la soirée ne bat plus son plein, mais qu'elle est belle est bien en train de prendre fin pour certains. Je suis en partie seule face à ces larges flammes.
Une musique débute soudainement. C'est durant cette chanson que ma meilleure amie et moi avions jeté nos objets. C'est durant cette musique que nous nous sommes regardés en pleurnichant et riant en même temps. C'est étrange, je me sens chagriné, mais presque réconfortée. C'est une sensation qui me fait presque du bien, j'ai l'impression d'avoir Mya à mes côtés.
Je sors l'objet de ma poche et fixe la fine chaîne en métal, puis mon regard dévie sur le petit pendentif qui représente un globe terrestre. Il s'encre dans mes yeux larmoyants. Mya me l'avait offert, elle en portait un aussi. Elle m'avait affirmée ce jour-là, que c'était à ses côtés que j'allais parcourir le monde entier.
Une larme solitaire trace un sillon le long de ma joue, sans que je puisse y faire quoi que ce soit. Le jour de son enterrement, elle le portait autour de son cou tout comme je portais le mien. Cette nuit, je compte l'abandonner entre les flammes pour me prouver que sans cet objet, notre lien aurait tenu dans le temps, et qu'on aurait quand même pu faire ce tour du monde à deux, coûte que coûte. Pour me prouver que ce feu brûlant qu'était notre amitié existe toujours malgré le fait qu'elle ne soit plus à mes côtés.
Je l'enferme vigoureusement entre mon poing, cette fois, je ne retiens plus mes larmes, je les laisse tracer leur chemin comme elles le souhaitent. C'est dans ces moments comme celui-là que la solitude devient presque insupportable.
Promptement, une main se pose sur mon épaule, suivie de plusieurs autres. Ce sont eux. Mon groupe d'amis. Ou, du moins ça l'était...
Ils sont tous là, je pense même apercevoir la silhouette de Mya un peu plus loin. J'hallucine , mais l'imaginer ici, me fait du bien.
Je rassemble tout mon courage lorsque je décide qu'il est temps de laisser ce collier se consumer. Lou serre ma main libre entre la sienne, comme pour me transmettre sa volonté. Je lui adresse un court regard, tandis qu'elle me fait un sourire encourageant. Bryan et Léo sont à mes côtés, concentrés sur les flammes, eux aussi, accompagné par cette mélodie qui ravive de précieux et douloureux souvenirs.
Je m'approche un peu plus des flammes et jette le bijou qui retombe entre les cendres. Un petit nuage de fumée s'échappe dans les airs. Je lève le regard vers le ciel, puis ferme les yeux.
Je ne fais désormais plus attention à la musique, mais davantage aux battements de mon cœur qui raisonnent.
Un petit sanglot à mes côtés me serre le cœur, je sais qu'il appartient à Lou. Elle comme moi, adorions le petit trio de filles que nous formions. Je reviens à la réalité lorsque mes iris retombent sur les flammes.
Lorsque la musique prend fin, c'est comme si le moment ne faisait plus partie de la réalité. La silhouette de Mya n'est plus là et je sais que Lou, Bryan et Léo vont finir par repartir.
Lou m'adresse un regard larmoyant, rempli de tendresse, Bryan dépose l'une de ses mains sur mon épaule, et Léo lui, use de son éternel humour en ébouriffant tendrement mes cheveux. Ils me manquent.
Je les regarde s'éloigner et quitter définitivement l'événement. À trois, ils restent muets et finissent par disparaître de mon champ de vision.
Je continue de fixer les flammes qui dansent durablement. Il ne reste presque plus personne hormis les retardataires à la buvette et d'autres qui préparent leur départ.
Lorsque mon regard dévie un peu sur la droite, je reconnais sur-le-champ un bandana noir et des cheveux en bataille. Entre ses mains, il tient ce qui semble être une photographie. Mon regard remonte sur son visage, ses yeux brillent, mais ses joues ne sont pas humides. C'est comme s'il était doté de puissantes barrières permettant de retenir chacune de ses larmes.
Je l'évalue encore, intriguée. Il ne m'a pas encore remarqué. En un mouvement, rapide, il s'accroupit, puis dépose délicatement la photo sur les braises. Avant qu'elle ne se consume entièrement, j'ai le temps d'apercevoir qu'il s'agit d'un cliché familial, elle semble déchirée. Si je ne m'abuse, je pense le reconnaître, lui, une femme plus âgée et une toute petite fille. Néanmoins, il est clair que la partie déchirée est réfléchie de façon à faire disparaître une personne de l'image.
Je relève ensuite mon regard vers lui. Cette fois, ses iris sont ancrés sur moi. Sans réellement mesurer ce que je fais, je m'approche prudemment de lui et me plante à ses côtés sans dire un mot. Il ne semble pas décidé à parler non plus. Je crois, finalement, que ça me convient totalement.
Cette nuit, il ne dit rien, et paraît même un type au cœur meurtri.
Mais, demain, il redeviendra l'étudiant auquel j'ai fait face ce matin.
C'est généralement comme ça que ça se passe. Nous renvoyons tous une image le jour, celle que nous souhaitons faire voir.
Ça devient presque instinctif. Quand on nous demande si tout va bien, nous répondons que oui, que nous apprenons à vivre avec. Pourtant, c'est souvent le contraire que nous ressentons vraiment.
J'ai froid, mais je compte bien rester jusqu'à ce que les flammes s'éteignent pour ne laisser place plus qu'aux crépitements.
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