En me rendant compte que mon insistance devient presque embarrassante, je reviens à la réalité et mets fin à notre connexion visuelle, me concentrant de nouveau vers le monde extérieur, bien plus vivifiant.

J'oublie presque l'étudiant qui se tient à quelques centimètres de moi lorsque j'aperçois une hirondelle tracer son chemin dans le ciel. Ce que ce doit être exaltant de pouvoir être libre, d'aller n'importe où, d'être aussi petit à l'échelle du monde.

Mon voyage intérieur prend subitement fin lorsque M. Smith m'interrompt :

- Pouvez-vous nous faire planer avec vous Mlle Reeves ?

Je lui adresse un regard furtif, mais ne lui réponds pas. Il ne cherche pas plus à comprendre et repart dans ses précieux calculs.

À mes côtés, le beau brun s'agite, il griffonne quelque chose d'illisible d'où je suis, avant de chiffonner le papier et de l'envoyer rebondir sur la tête du blond qui l'accompagnait tout à l'heure.

L'intéressé le ramasse, le déplie, puis ne prend que quelques secondes pour le décrypter avant d'adresser un regard sous-entendu à son ami.

Je fixe le papier revenir et repartir de l'un à l'autre. Ce qu'ils se disent sur ce fichu morceau de feuille semble drôle, puisqu'ils ne cessent de pouffer de rire mutuellement.

La sonnerie fait sursauter un bon nombre d'étudiants bercés par le cours ennuyant de M. Smith. Il faut dire que ses cours ne sont pas suffisamment animés ou même intéressants pour rester concentré une heure entière. Puis, les Mathématiques et moi n'avons jamais vraiment trouvé un terrain d'entente. Seule Mya parvenait à comprendre tous ces chiffres et lettres mélangées.

Le brun à mes côtés se hâte de ranger le peu d'affaires qu'il a sorties et rejoint le blond. Je fais de même en m'attardant un peu.

En descendant les marches de l'amphi, mon pied shoot dans quelque chose de plutôt léger, je me baisse et ramasse un morceau de papier chiffonné. Je le déplie curieusement en me rendant rapidement compte qu'il s'agit du papier que s'échangeaient les deux types à l'instant. Je continue mon chemin pour quitter la salle, le regard rivé sur les inscriptions immatures sur le haut de la feuille. Décevant.

Brusquement, mon front heurte un obstacle robuste, bien plus imposant que moi. Je relève mes iris dans sa direction et croise encore ce regard bleu, un sourire mesquin étirant un coin de ses lèvres.

- Si tu cherches mon numéro, il n'y est pas inscrit.

Son regard désigne la feuille que je tiens entre mes mains.

Cette fois, je réplique :

- Je ne demande jamais le numéro d'un type qui ne m'intéresse pas.

Je lui tends le papier, en affichant un faux sourire victorieux, puis regagne les couloirs du campus.

Autre que les dessins puérils, j'ai pu décrypter qu'il parlait du feu de camp annuel. C'est un événement qui a lieu chaque hiver, les étudiants sont souvent très impatients concernant cette festivité. Tous les habitants de Strambridge l'attendent. Je l'attendais tous les ans moi aussi. Mais plus cette année.

C'est une soirée consacrée aux souvenirs. Un feu gigantesque brûle durant une nuit entière éclairant la plage en une lumière orangée. Chaque volontaire a le choix de brûler un objet qui a marqué son année. L'année précédente, Mya et moi avions brûlé les affaires qui nous avaient accompagné durant nos années de lycée. Pour nous, cela signifiait passer au stade supérieur, à deux nous grandissons, comme on se l'était promis en silence. S'engager dans la vie d'étudiante. Seulement, elle n'a pas pu franchir ce grand pas avec moi.

Cette année, nous étions censées y retourner. Mais, je ne pense pas le faire. C'est un événement que j'ai toujours fait avec elle, alors le faire sans elle, me parait pour le moment inconcevable. Toutefois, j'aimerais le faire pour elle. C'est quelque chose qu'elle adorait faire.

Quand nous sommes rentrées le soir même, nous avions pleurniché d'avoir brûlé toutes ces choses qui constituaient nos souvenirs. Nous étions idiotes, mais ça nous avait plu. C'était comme quelque chose d'emblématique pour elle et moi.

En y repensant, m'y rendre sera certainement compliqué moralement, mais j'ai besoin de le faire. J'ai la ferme intention de lui rendre ce petit bonheur. J'ai une petite idée déjà, de ce que je pense abandonner au milieu des flammes. Ce sera pour moi, l'occasion de lui dire au revoir, comme j'aurais dû le faire avant qu'elle ne parte.