Chapitre 19
La musique rythmée a remplacé celle qui nous berçait depuis quelques minutes. Les duos commencent à se diviser, certains ricanent entre eux, et d'autres vont se désaltérer après ce long moment de valse.
Asher et moi ne nous sommes pas encore résolus à décrocher nos regards l'un de l'autre. Pendant un instant, le temps semble se figer. Pourtant, en un instant, il semble se raidir brusquement. Avant que je puisse l'interroger, il m'offre son dos en mettant fin à notre proximité puis s'éloigne hâtivement pour sortir de la maison. C'est à rien y comprendre.
Je m'assois sur le même sofa que tout à l'heure et laisse le temps filer comme bon lui semble. De toute façon, mon subconscient est bien trop occupé à se poser mille et unes questions. Bryan s'amuse à enfiler quelques shots avec des camarades à lui, Léo batifole avec une fille qui parait un peu plus âgée que lui. Lou qui discutait avec une amie à elle, a désormais son attention braquée sur moi, sourcils froncés.
Ça sent l'interrogatoire...
Elle adresse quelques mots à l'étudiante puis d'un pas assuré, elle se dirige vers moi.
- Peine de cœur ?
Elle s'affale sur le fauteuil et m'observe, son habituel sourire aux lèvres.
Je ne comprends pas immédiatement le sens de sa question, puis assimile qu'elle fait référence à Asher.
- Ce n'est pas, enfin... Non pas du tout.
Elle hausse un sourcil.
- Ah oui ?
Elle ne semble pas très convaincue.
- Parfaitement.
Elle hoche lentement la tête.
- Qui était donc ce mec sexy à la chemise noire ?
Je pince mes lèvres puis finis par lancer :
- Longue histoire.
En un sourire en coin, elle me fait aussitôt comprendre qu'elle aimerait que je lui raconte.
Lou est une jeune femme qui peut se montrer très têtue, mais également très convaincante. Par-dessus tout, excessivement curieuse. Du moins dans mes souvenirs. Avec tout ça, je suis contrainte de lui raconter tout ce qui concerne Asher. Sa présence au sein de mon cursus à l'université, son impulsivité, son comportement qui m'agace un peu plus à chaque fois... Je fais simplement abstraction en ce qui touche de près ou de loin à ce jeu que nous avons instauré entre nous. Je préfère garder ça pour moi, que de l'étaler au grand jour. Ça me parait bien plus judicieux.
Pour conclure le résumer que je viens de terminer, elle lâche :
- Je vois.
Mes sourcils se froncent légèrement.
- Tu vois ?
Elle pouffe légèrement.
- Oui, je vois. C'est compliqué entre-autre.
J'acquiesce d'un hochement de tête, même si ce n'est pas si compliqué que ça en a l'air. Il n'est juste qu'un objectif tout comme je n'en suis qu'un pour lui.
Elle enchaîne :
- Tu en as parlé à quelqu'un d'autre ? Je veux dire, de sexe masculin. On ne sait jamais, tu pourrais peut-être avoir un avis un peu plus concret que le mien.
Directement, je pense à Nick. Il m'a simplement réclamé de me méfier. Quand j'y repense, sa réaction avait l'air étrange ce jour-là.
Je réponds à Lou :
- Oui.
Comme elle constate que je n'en dis pas plus, elle insiste un peu :
- Il en pense quoi ?
Je jette un coup d'œil à la porte d'entrée qu'Asher a emprunté pour sortir il y a un moment maintenant.
- Il m'a mise en garde, rien de plus.
Elle soupire, exaspérée.
- Les mecs et leurs mises en gardes, une éternelle histoire.
Elle marque une pause et observe les étudiants se déhancher avant de me confier :
- Écoute, niveau relation, je suis peut-être pas la mieux placée, mais s'il y a une chose que l'on me répétait quand j'étais petite, c'est que, qui ne tente rien à rien.
Elle hausse les épaules avant que son regard égaré sur la piste se plante dans le mien.
- La prise de risque peut parfois mettre un peu de piment là où il n'y en a pas forcément.
Je lui offre un faible sourire, elle m'avertit tout de même :
- Ne prends pas de trop grands risques non plus.
Elle me fait un clin d'œil avant de m'informer qu'elle part gérer Bryan, saoul.
J'observe la scène en souriant légèrement, il a l'air maître de lui-même.
Je me lève, bien décidé à prendre l'air après être restée au moins deux bonnes heures au centre de toute cette agitation. Quand j'évalue l'extérieur, j'ai un haut le cœur en voyant tous ces corps agenouillés en train de régurgiter.
La seule carrure debout, qui n'est pas en train de tenir les cheveux d'autrui, est celle d'Asher adossé au muret vers lequel mes pas m'ont instinctivement guidé pour échapper à l'odeur de ces renvois.
Plus je m'approche, plus sa silhouette est distincte. Il a l'air d'être songeur, la tête dressé vers le ciel nocturne. Je remarque qu'entre ses lèvres, il tient une cigarette à moitié entamée.
Il fume ?
Seule la cendre brulante est visible dans cette obscurité, le reste est uniquement éclairé par les faibles lampadaires de la rue.
Quand j'arrive à ses côtés, j'ai bien l'impression qu'il ne m'a toujours pas remarquée. Il s'aperçoit de ma présence, que lorsque je m'assois sur le muret, en silence.
Il ne dit rien non plus, son regard s'arrête ouvertement sur moi.
J'attrape le bâton de tabac qu'il n'a pas quitté puis je le porte à mon tour à mes lèvres, sans vraiment y réfléchir à deux fois. J'inspire la fumée nocive, en lui permettant d'acheminer dans mes poumons. Une affreuse sensation de brulure m'arrache une faible grimace. Quand je relâche la fumée, elle s'échappe dans un nuage, presque parfait.
Le regard perçant d'Asher ne s'est toujours pas détourné. Il attrape son poison et jette ce qu'il en reste à ses pieds avant de l'écraser jusqu'à ne plus voir une seule petite braise.
- Ce n'est pas bon pour toi.
Je ne tarde pas à contester :
- Ça l'est pour toi ?
Il ne répond rien, il sait qu'il ne peut rien riposter.
Après un petit moment silencieux, un groupe de types passe dans la même rue où nous sommes. Tous nous scrutent sans gênes, j'ai l'impression que leur regard pourrait fusiller n'importe qui sur place.
- Tu les connais ?
Il hausse les épaules en répondant vaguement :
- Non.
Je plisse les yeux.
- Eux, ils avaient l'air pourtant.
Les muscles de sa mâchoire se contractent.
- Ce sont juste des types.
Je surjoue l'absurdité :
- Mince, j'ai pourtant cru que je savais différencier le sexe masculin du féminin.
Il m'accorde un instant son attention.
- Tu n'as pas besoin d'en savoir plus.
Je hoche la tête et laisse le silence une nouvelle fois s'immiscer entre nous avant que ma spontanéité prenne le dessus.
- C'est quoi ton problème ?
Il craque un de ses doigts.
- Bordel, et c'est quoi le tiens ? Ça te sert à rien de savoir qui ils sont.
Je secoue la tête.
- Et moi, je ne te parle pas uniquement de ça.
Il m'incite à continuer d'un simple regard.
- Je te parle de toi, de tes réactions, ton attitude instable...
- Mes réactions et mon attitude instable ?
Il simule l'étonnement.
Je justifie mes propos :
- Un instant, tu m'accordes une dance et l'autre d'après, tu prends la fuite sans explication.
Il pouffe amèrement.
- Quoi ? Tu veux qu'après une danse je me métamorphose en un type pathétique, gentil qui propose un verre à la nana puis promettra une longue et belle relation ? Je ne suis pas comme ça, va falloir t'y faire.
Je descends du muret pour me planter devant lui.
- Me faire à quoi ? Tes sautes d'humeur, ton impulsivité ?
Ses iris bleus plantés dans les miens, j'y ressens toute son amertume.
- J'ai pourtant cru que c'était clair.
Je fronce les sourcils, il poursuit :
- Il n'y a qu'une putain de règles entre nous. Le premier attiré vers l'autre a perdu. Le but n'est pas de changer pour mieux s'attirer.
Je lui fais face, sans céder.
- Tu joues vraiment au type froid et distant ?
Il est tendu, son attitude laisse presque tout transparaître.
- Je ne joue pas. Je le suis déjà. Fallait pas jouer si tu ne t'en sentais pas capable.
Je pouffe nerveusement.
- Si, je vais jouer Asher. Je vais jouer comme toi tu joues. Je peux t'assurer que je mènerais ce jeu jusqu'au bout. Et je te garantis que tu n'as jamais joué avec une fille comme moi.
Je ne lui laisse pas le temps de répliquer, j'enchaîne :
- Tu as certainement employé cette façon de faire avec d'autres nanas. Tu as probablement gagné avant. Mais, considère que c'est du passé, que devant toi, ce n'est pas une de tes précédentes, exposée sur ton tableau de vaincues...
Il m'écoute attentivement.
- Considère que je suis joueuse, et que j'aime parvenir au bout de chacune des parties que j'entreprends de mener jusqu'à terme.
Je me suis rapprochée de lui, désormais, son torse frôle pratiquement ma poitrine. Son regard à changer, une lueur de défi fait briller ses pupilles.
Je ne me tais toujours pas. Cette fois, je m'approche de son oreille :
- Personne ne peut justifier ce que je suis en train de dire. Toutefois, tu ne me connais pas. Je vais jouer. Jusqu'au bout.
Je le sens frémir. Promptement, ses mains se posent soudainement sur mes hanches pour les agripper fermement. Il me fait pivoter pour que ce soit mon dos contre le muret. On pourrait penser que c'est désormais à son tour d'avoir l'entier contrôle sur la situation.
- Personne ne nous connait intégralement. Si seulement tu savais. Je suis loin d'être celui que tu crois que je suis. Je suis bien plus brut et impulsif que tu sembles l'envisager.
Il marque une pause, je sens pour la deuxième fois de la soirée, son souffle mentholé sur mes pommettes.
- Tout ce que tu assures à l'air prometteur, Gourmande.
Il sourit franchement, nos lèvres se frôlent quasiment.
- Mais j'ai construit cette règle, et je compte bien en être une énième fois vainqueur.
Il s'écarte, toutefois dans un élan de provocation, je réduis cet infime espace.
- Je te l'ai dit. Entre toutes celles que tu as acquises, et moi, il y a une grande différence.
Je pose un doigt sur son torse, mon regard ancré dans le sien.
- On va mener cette règle à terme, je te vaincrais à ton propre jeu.
Un sourire mesquin prend forme sur ses lèvres pour le moins attirantes.
- Très bien, alors jouons.
Je reste quelques secondes face à lui avant que je me résolve à rentrer de nouveau dans la maison.
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