J'ai une drôle d'impression, je crois que c'est ma dernière journée en vie....
Cher petit journal voilà qu'il ne te reste plus qu'une page où mon stylo puisse encore inscrire mes mots et faire baver son encre.
Si cette journée doit être la dernière je prie pour qu'elle soit la plus belle de toutes.

Ce matin on se réunit tous dans la bibliothèque. Alma doit partir dans quelques minutes et on ne veut pas l'abandonner sans un au revoir.
Après mille embrassades nous traînons nos pieds jusque devant la porte de sortie.

<<Bientôt ce sera votre tour>> souffle-t-elle avant de disparaitre derrière les vitres teintées.

Théophile fond en larme, Sebastian et moi échangeons un regard incrédule. On le raccompagne doucement jusqu'à la chambre de sa sœur en se disant que peut-être la compagnie de celle-ci le réconfortera. On s'installe tous deux sur (ou à coté dans mon cas) le lit de Théophile pendant que celui-ci pleure dans les bras de sa sœur jumelle.
Tout à coup j'entends un bruit de drap et je relève la tête.... ET LÀ QUE VOIS-JE ?

Philomène en train de caresser doucement les cheveux de son jumeau.
Je donne un coup de coude à Sebastian pour qu'il regarde. Ses yeux indiquent bien qu'on a vu la même chose....
On avance doucement, ne sachant pas trop quoi faire. C'est alors que Philomène nous regarde et souris. Théophile semble se rendre compte à ce moment là que ce n'est ni Sebastian ni moi qui sommes en train de le rassurer ainsi.

L'air effrayé il sort sa tête des draps et voit sa sœur éveillée.
Le cri qu'il a poussé à ce moment est indescriptible, un mélange d'euphorie et de stupeur.
Les infirmières accourent. Elles écartent les deux jumeaux et emmènent Philomène pour des contrôles. On aurait pu croire que les séparer serait un véritable supplice mais Théophile est tellement surpris qu'il est resté pétrifié pendant toute l'opération.

On l'emmène manger mais il ne parle pas de tout le repas, lui d'habitude si bavard. Le réveil de sa sœur endormie depuis si longtemps doit être un choc très important pour lui. Lorsque un médecin vient le chercher pour aller voir sa sœur, on le laisse et nous partons vers le parc avec Théophile.

-Tu sais Sora... Je dois partir aujourd'hui moi aussi.... Mes parents viennent me chercher tout à l'heure... Je ne voulais pas vous faire de peine... Et encore moins à toi. Alors je n'ai rien dit ... Je m'en excuse.

Je suis très heureuse pour lui c'est sûr ! Mais je n'arrive pas à cacher ma déception.... J'espérais passer cette dernière journée (enfin si j'en croyais mon instinct) avec lui.
Nous avons passé le reste du temps à parler de tout et de rien puis Sebastian s'en est allé, avant de franchir les portes il m'a embrassé une seconde fois et m'a chuchoté à l'oreille:

-J'espère qu'on se reverra Sora ... Sache que je t'aime et que je ne t'oublierai jamais.

Et le cœur lourd je l'ai regardé partir vers la vie, tandis que je reculais de plus en plus vite vers la mort.

Je remontais lentement vers ma chambre, alors que le soleil terminait sa course à l'horizon et passais prendre des nouvelles de Théophile et Philomène.
Ils étaient côtes à côtes à se raconter les nouvelles d'un monde que Philomène devrait à nouveau découvrir.
Tandis que je les observais depuis le seuil de la chambre, une infirmière m'informa qu'ils partiraient eux aussi très bientôt.

-Le plus tôt possible sera le mieux pour elle, elle a perdu beaucoup de repères et doit se réintégrer au plus vite.

Je repartis vers ma chambre.
Je suis déjà fatiguée, je vais dormir tôt...
Je crois que cette citation trouve sa place ici, à occuper le dernier bout de blanc de mon cahier....

On devrait tous se voir comme des gens qui vont mourir le lendemain. C'est ce temps qu'on croit avoir devant soi qui vous tue.
-Elsa Triolet