— ... Et c'est pourquoi je vous propose de nous séparer ici, en relative bonne entente. Nous avons beaucoup voyagé ensemble...

Un mois. Ce n'était pas tant que ça. Yeosang n'aimait pas être à terre, mais il allait devoir y retourner dans quelques minutes. Sur terre, il se sentait emprisonné, comme dans une cage dont il ne pouvait pas sortir. Plutôt ironique, considérant son passé. Mais il préférait ne pas y penser, aussi reporta-t-il son attention sur le discours du Capitaine. En tant que navigateur et pilote, ce n'était pas la première fois qu'il le voyait. Mais pour certains, il découvrait seulement à quoi ressemblait celui qui les avait guidés ce dernier mois. Hormis le Vice-Capitaine, il était le seul à communiquer avec le Capitaine.

— Je vous souhaite à tous bonne chance, dieu sait si nous nous reverrons !

Yeosang soupira. Un mauvais Vice-Capitaine. Voilà ce qui avait accéléré la fin de leur équipage. Un peu trop sûr de lui, au lieu d'apaiser l'équipage, le Vice-Capitaine avait lui-même déclenché les disputes. Modifié les paroles du Capitaine, envoyé certains pirates à la mort, créé des tensions... Yeosang était dans le milieu presque depuis sa naissance. Et il avait tout de suite compris le manège du Vice-Capitaine, cherchant à saper le pouvoir de son supérieur pour prendre sa place, son bateau, sa vie.

Enfin bon, il n'allait pas pleurer ce changement anticipé. Le plus important était d'abord de trouver son ami de toujours.

Il chercha Wooyoung du regard, qui devait être avec les autres gabiers, les acrobates faisant la vigie et s'occupant des voiles. Le Capitaine possédait un impressionnant bâtiment, un trois-mâts, bien armé, avec un équipage en conséquence. La foule l'entraîna malgré lui et il arriva sur le ponton avant de s'en être rendu compte.

Une goutte de sueur glacée descendit le long de sa colonne vertébrale dès qu'il sentit la terre battue sous ses pieds. Il n'avait pas eu le temps de se préparer. Il ne voulait pas, il se sentait seul, il se sentait perdu. Où était-il ? Il paniquait. Non, il ne devait pas. Reste calme, Yeosang, reste calme. IL n'est pas là, IL ne peut plus te faire du mal, reste calme...

— Yeosang ! Yeosang !

Cette voix qui l'appelait apaisa ses craintes presque instantanément, et il se sentit respirer à nouveau. Son ami le cherchait aussi. Yeosang avait toujours si peur à chaque nouvel équipage que son ami trouve quelqu'un de plus intéressant que lui, et qu'il le laisse tomber...

— Wooyoung !, cria Yeosang quand son ami arriva à sa hauteur.

Wooyoung plaqua la main sur son oreille avec une grimace de douleur et Yeosang rit doucement.

— C'est pas cool.

— Non.

Mais Yeosang se plaisait à calmer ainsi son ami un peu plus bruyant que la normale.

— Bon, on fait quoi ?

— On va à l'endroit habituel et demain, on cherche notre prochain équipage, répondit Yeosang en observant une statue difforme, au bout d'une ruelle éclairée par de nombreuses lampes à huile.

Wooyoung passa son bras autour des épaules de Yeosang et l'entraîna dans la ruelle opposée, qu'ils remontèrent à bon rythme, à la recherche de leur établissement habituel. Yeosang ne prit pas la peine d'avertir Wooyoung qu'il n'allait pas dans la bonne direction, préférant le laisser se perdre pour le guider discrètement quand ils commenceraient tous deux à fatiguer.

Discutant joyeusement de tout et de rien, ils croisèrent le médecin rouge qui descendait la rue, les yeux dans le vide, et semblait se diriger vers une grosse flaque d'un liquide non identifiable. Wooyoung accéléra le pas pour tenter de l'arrêter mais le médecin sauta à côté de la flaque sans même la regarder. Pour se prendre le poteau juste à côté.

— Tout va bien, Doc ?, demanda Wooyoung d'un air inquiet.

— Oui, tout va bien ?, répéta-t-il faiblement avant de reprendre son chemin.

Wooyoung et Yeosang ne connaissaient pas plus que ça le médecin, se contentant de le croiser une fois de temps en temps et de se renseigner avec plaisir sur les dernières rumeurs le concernant, de plus en plus improbables le temps passant.

Aussi, quand Wooyoung se tourna vers Yeosang d'un air incertain, ce dernier haussa simplement les épaules.

— Ça arrive d'être distrait, je ne vois aucune raison de nous inquiéter. De toute façon, ce ne sont pas nos affaires.

Wooyoung sembla considérer cette dernière remarque un moment. Avec un dernier regard en arrière, il reprit Yeosang par les épaules. La légèreté du moment avait cependant disparue, et Yeosang se sentit soudainement épuisé. Pour la première fois, il oublia même de laisser Wooyoung guider, et l'entraîna dans leur taverne habituelle. Ils y trouvèrent une chambre, et plusieurs annonces de pirates à la recherche d'équipage. Dont une annonce très particulière que Wooyoung lut à voix haute pour Yeosang. Un capitaine qu'ils ne connaissaient pas et un navire non baptisé, sans autre objectif que de trouver le trésor de chacun et le frisson de l'aventure, et une liste de postes à pourvoir. Le bateau partirait deux ou trois jours plus tard. Enfin, l'annonce se concluait par différents horaires de présence dans différents endroits du quartier rouge ou du quartier du port.

— C'est celui qui part le plus tôt, remarqua Wooyoung.

— Je te crois, répondit Yeosang. Nous irons les voir demain.

Wooyoung hocha la tête et ils montèrent dans leur chambre pour s'endormir comme des masses, profitant du confort du matelas pour rêver leurs aventures futures et passées sur les mers.

Mingi regarda tristement sa veste une fois de plus. Noire, classique, sans fantaisie. Il soupira, le nez dans sa bière sans la boire.

— Tu ne nous donnes pas vraiment une bonne image, tu sais..., intervint Hongjoong.

— Tant de recherches pour trouver LA veste avec laquelle je voulais terminer ma vie... Celle-ci est si terne...

— Apprends à coudre, tu pourras la recréer. Et même l'améliorer ! Mais tu n'auras jamais l'occasion d'apprendre si tu meurs de la main d'Igor avant...

— Je sais coudre, j'avais déjà fait l'ancienne, grogna Mingi en levant les yeux au ciel. Et je ne m'inquiète pas pour lui, je ne pense pas qu'il s'en prenne à moi de sitôt. Tant que je l'évite.

— Je suis ravi de voir que cette tendance au sacrifice ait disparu dans le naufrage.

— Je me sacrifierais pour que tu fuies, asséna Mingi en se tournant vers Hongjoong.

Hongjoong le tapa derrière la tête.

— Prends soin de toi, imbécile !, lâcha-t-il d'une voix agacée où perçait l'inquiétude.

Mingi haussa les épaules avec nonchalance et bu enfin une première gorgée de sa bière.

— Vous partez quand ?, demanda froidement quelqu'un.

L'inconnu, debout devant leur table, semblait aller bien. Mais Mingi remarqua ses mains crispées sur la table. Il en avait besoin pour se tenir droit, c'était évident.

— Pas avant le lever du premier soleil, l'ami, répondit-il avec agacement. Tu es le bienvenu partout ailleurs qu'ici, si on te dérange...

L'homme plissa les yeux et tira une chaise pour s'asseoir en face d'eux.

— Quand quittez-vous Soleï ?

Mingi allait envoyer balader le malotru quand Hongjoong le tira en arrière d'une main sur l'épaule.

— Si nous arrivons à réunir un équipage, d'ici, deux à trois jours. Le plus tôt possible.

— Je veux faire partie de votre équipage.

— Ton nom et le poste pour lequel tu postules, répondit machinalement Mingi.

Ce simulacre d'entretien, Hongjoong et lui l'avaient fait des dizaines de fois, un équipage restant rarement uni très longtemps. Leur dernier équipage avait tenu exceptionnellement longtemps, mais les vieilles habitudes revenaient, et la lassitude avec.

— Chef cuisinier. Rien de moins, sinon je vais voir ailleurs. Des dizaines d'équipages voudraient m'avoir à leur bord...

Mingi en doutait. La seule chose dont il ne doutait pas à l'heure actuelle, c'était que personne ne se disputait pour rejoindre leur bord.

— Ton nom, répéta Mingi tandis que Hongjoong sortait une liste des différents postes vitaux sur leur navire.

— Park Seonghwa.

— Connaît pas. Ça s'écrit comment ?

Hongjoong lui envoya un coup de coude et Mingi tressaillit, cachant la douleur derrière un sourire joueur.

— Est-ce que vous pouvez l'écrire et signer s'il-vous-plaît ?, demanda gentiment Hongjoong.

La « célèbre » Seonghwa s'exécuta, puis s'immobilisa en plissant les yeux. Avant qu'il n'ait pu changer d'avis, Hongjoong lui arracha le papier des mains et Mingi referma l'encrier.

— La signature est là, approuva Hongjoong. Eh bien cher monsieur, à dans deux jours, devant la statue difforme près du port.

Hongjoong lui tendit la main, ce que Mingi n'aurait même pas songé à faire. Ne fais pas aux autres ce que tu n'aimerais pas qu'ils te fassent, oui. Mais si les autres commençaient, Mingi ne s'embarrassait pas de politesse.

L'autre lança un regard désapprobateur à la main tâchée d'encre de Hongjoong avant de se lever sans un mot et de disparaître dans la foule.

— Tu as écris une nouvelle mélodie aujourd'hui ?, demanda Mingi, qui avait suivi le regard de Seonghwa.

Hongjoong s'essuya la main sur un mouchoir dépassant de sa poche.

— En nous comptant tous les deux, nous sommes 4 pour l'instant...

— Oh, tu évites la question, je ne m'y attendais pas, sourit Mingi en se penchant par-dessus l'épaule de Hongjoong pour observer la liste. Mais un jour il faudra que tu me les montres, je suis vraiment curieux... Et concernant la liste, on a encore demain... On peut toujours partir avec un équipage réduit, si vraiment tu veux récupérer ce bateau.

— C'est notre meilleure chance... On n'aura jamais assez d'argent pour nous en procurer un autre. Et j'ai beau adorer l'angoisse qui me noue l'estomac à chaque coin de rue de cette ville, je pense qu'il ne vaut mieux pas trop traîner ici. Pour l'instant du moins. On pourra peut-être revenir pour nos beaux jours...

— C'est ça... Nous vivrons nos beaux jours...

Mingi reçut une nouvelle claque derrière la tête.

— Qu'est-ce que j'ai dit tout à l'heure ?

— Ce ne sont pas tes agressions régulières qui vont allonger ma durée de vie, explosa Mingi de rire.

Hongjoong serra les lèvres, et étouffa un éclat de rire dans son rhum.

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Ce travail est aussi disponible, sous le même nom, sur mon compte AO3. J'en suis l'unique auteure.