Jongho ne réussit pas à dormir. Il somnola, tout au plus, impatient de parler avec les pirates et de leur proposer le bateau en échange de son intégration à l'équipage. Finalement, il réveilla le capitaine.

— J'ai un marché à vous proposer.

Hongjoong sursauta et se redressa violemment. Il plaqua la main sur ses côtes avant de jauger Jongho du regard.

— Bonjour, répondit-il d'une voix où perçait l'agacement.

Jongho balaya la salutation d'un revers de la main impatient. Il n'avait pas de temps à perdre, dans une semaine tout au plus, son bateau serait vendu à son commanditaire.

— J'ai un marché à vous proposer. Vous allez repartir sur les mers, non ?

— Oui, j'imagine, répondit prudemment Hongjoong.

— Que diriez-vous de récupérer le bateau dont je vous ai parlé hier ?

— Comment ça ?

— J'ai eu une idée pour résoudre nos deux soucis en une seule solution. Vous êtes un équipage sans bateau, et j'ai un bateau sans équipage, que je ne peux donc pas conserver. Je vous propose, en échange de mon intégration à l'équipage, de vous aider à voler mon navire.

Hongjoong sembla réfléchir un instant, qui parut une éternité à Jongho.

— Très bien, dit-il en lui tendant la main.

Jongho la serra, stupéfait. Il ne s'attendait pas à ce que ce soit si facile.

— Mais je doute que trois personnes puissent être considérées comme un équipage viable sur un brick, ajouta Hongjoong sans lui lâcher la main.

D'accord. Non, ne pas s'inquiéter. Tout allait bien se passer. Le plan n'était pas si parfait, mais ça allait fonctionner. Il l'avait assuré à Yunho, et il n'avait vraiment pas envie de revenir sur ce qu'il avait dit.

— Vous n'avez pas d'équipage ?

— Comme je le disais hier, et je sais que vous écoutiez, dit-il avec un sourire en coin, nous avons fait naufrage. Notre bateau n'est plus qu'un tas de débris, et au moins la moitié de mon ancien équipage repose au fond de l'océan. Et je ne sais pas ce que sont devenus les autres, mais comme ils doivent considérés que je suis responsable de notre mésaventure, je ne suis pas sûr qu'ils aient de très bonnes intentions à mon égard.

La froideur de Hongjoong mit Jongho très mal à l'aise. Il n'avait pas l'habitude de traiter avec les pirates, il ne faisait qu'exécuter les ordres de son supérieur. Et même pour ce navire, il n'avait jamais rencontré le commanditaire. Mais l'inconnu qui l'avait écouté la veille au soir n'était peut-être pas si rempli de bonté...

Jongho retira sa main de force. Il n'était pas un enfant, il était fort, il n'allait pas se laisser intimider.

— Alors trouvez-vous un équipage, dit-il d'une voix forte. Vous avez moins d'une semaine.

Un sourire en coin moqueur apparût sur le visage de Hongjoong, mais Jongho se força à rester calme, et surtout à ne pas rougir. Rien n'était embarrassant dans cette situation, et il ne comprenait pas sa réaction. Il aurait dû blanchir de peur. Pourtant, alors que Hongjoong soutenait son regard plus longtemps que la majeure partie des personnes qu'il côtoyait, Jongho se surprit à être gêné.

— Bien. Nous avons un arrangement, alors.

Jongho retint un soupir de soulagement, et se leva, le visage aussi impassible que possible. Il lui lança une clé, et agitant l'autre qu'il avait dans la main, il les invita à fermer derrière eux s'ils sortaient et à le retrouver, si ce n'était pas ce soir, dans deux jours pour le tenir au courant. Il s'éclipsa ensuite rapidement, le corps tendu par l'anticipation.

Hongjoong observa le charpentier par la fenêtre, un large sourire aux lèvres.

— Ce n'est pas une bonne idée, marmonna Mingi.

Hongjoong l'avait vu tressaillir quand il avait accepté le marché de Jongho, aussi ne fut-il pas surpris de l'entendre se manifester. Ni de la teneur de sa remarque.

— Change au moins la construction de ta phrase, Mingi, répondit-il sans même lui accorder un regard.

— Il est tellement jeune....

— Il tient énormément à son bateau...

— Hongjoong..., le coupa Mingi avec lassitude.

— Au moins, il s'en occupera correctement, conclut Hongjoong d'une voix sans appel. Et un brick est le bateau idéal pour notre profession.

Mingi se frotta le coup avec agacement.

— Et où est-ce que tu trouves ton équipage ? En laissant une annonce dans toutes les tavernes de la ville ?

— En faisant une annonce dans toutes les tavernes de la ville. Tout le monde ne doit probablement pas savoir lire, on n'a pas tous la même éducation Mingi...

Mingi grogna et Hongjoong rayonna de fierté. Il ne se lassait pas de gagner leurs petites disputes.

— Vous êtes tellement têtu, Capitaine.

— J'ai surtout envie de redonner du sens à ce titre, Vice-Capitaine. Dans tous les cas, il ne vaut mieux pas qu'on traîne ici si tu t'es battu avec plus dangereux qu'on ne peut le surmonter à deux...

Mingi baissa les yeux.

— Arrête de te morfondre, pirate, ajouta Hongjoong en se levant avec énergie. Viens, allons-nous acheter de nouveaux vêtements, on ne recrutera personne avec nos déguisements.

— Nos déguisements ? Oh, c'est pas vrai, rit Mingi. Oui, allons-nous changer.

Seonghwa ne goûtait jamais les plats qu'il cuisinait s'ils n'existaient pas pour son propre plaisir gustatif. Dans la cuisine dont il était le chef, dans le seul restaurant de qualité de la ville, il surveillait chacun de ses cuistos d'un œil acéré, se fondant sur son propre instinct et sur ses habitudes lorsqu'il cuisinait.

— Trop de sel, n°2, beaucoup trop de sel, recommence, tu payeras le plat à midi. Peut-être arriveras-tu à le manger... N°3, essuie tes éclaboussures, si n°4 ne fait pas attention, ça va créer un accident. N° 10, lave tes ustensiles correctement ! Tu as envie de servir quelque chose qui a le goût de brûlé ?!

La tête haute, il traversait les différents couloirs de son domaine. Il avait conscience d'être toujours strict, toujours sur leur dos, toujours sur le qui-vive, toujours à écouter la moindre de leurs conversations en cuisine et à les faire taire si leur rythme en était brisé. On n'arrivait pas en haut sans talent ni chance, mais surtout, on ne restait pas en haut sans rigueur et détermination. Les jeunes se bousculaient littéralement pour se faire employer dans sa cuisine, il ne s'inquiétait pas d'en démoraliser un ou deux. Ils n'étaient simplement pas prêts pour cette vie.

Satisfait par sa ronde, il s'installa lui-même au fourneau. Deux clients très importants s'étaient invités dans son restaurant, et il se faisait un plaisir de préparer un repas pour quelqu'un d'autre que ces rejetons de pirates vivant sur la fortune amassée par leurs chers parents. Il espérait acquérir leur soutien par ce repas, ce qui lui permettrait de partir de cette île, de faire profiter une clientèle plus fine de ses talents et de sa maîtrise des fourneaux.

Seonghwa le savait depuis toujours, la cuisine était un don inné chez lui. Ce n'était pas quelque chose que lui avait appris son père, porté sur la boisson. Ni sa mère, éternellement absente, toujours en quête d'un mari plus riche que le précédent, mystérieusement disparu. Le seul qui avait échappé à cette malédiction était le père de Seonghwa, probablement grâce à son manque de fortune. Non, ce don, il l'avait en lui depuis la naissance, et il aurait pu passer à côté, s'il n'avait pas dû préparer ses propres repas dès son plus jeune âge. Mais jamais, au grand jamais, il ne leur serait reconnaissant, contrairement à ce que ses parents semblaient espérer quand ils venaient lui quémander une part de sa fortune. Non, sa fortune, il l'avait bâti sur son don, et les deux n'étaient qu'à lui. A lui seul. Et si ses repas lui permettaient d'obtenir des faveurs, alors il était toujours le seul acteur de sa fortune.

Cela avait eu l'effet inverse. Il aurait dû s'en douter... Un continent qui ne vivait que sur ses propres ressources ne pouvait souhaiter que leur chef le plus réputé parte ailleurs. Et puis, comme l'avait si bien fait reconnaître le maire, sa réputation ne s'étendait que dans le cercle relativement fermé des pirates. Il n'était qu'un inconnu à l'extérieur de cette terre.

Un inconnu talentueux, doté à la naissance, mais un inconnu tout de même. Un inconnu dont le nom était entaché d'une réputation parmi les pirates. Non, ses importants clients préféraient le voir s'épanouir ici, plutôt que de le voir s'éteindre sur un autre continent...

Seonghwa se remémora leur ton compatissant trop sucré, écœurant. Bien sûr, ils le comprenaient. La vie n'était pas facile ici, dangereuse même lorsque la nuit était tombée. Mais non, ils ne l'aideraient pas à partir, il était un atout pour cette ville.

Un atout ? Qui tenait quel rôle exactement, sur ce continent fermé ? Ils avaient été bien en peine de lui répondre, et Seonghwa les avait quittés sans un mot, l'esprit dominé par la rage.

Il avait fermé le restaurant et renvoyé chez eux tous ses cuistots pour les deux prochains jours. Seul à ses fourneaux, il cuisinait dans l'espoir de se calmer. Seul. Calme en apparence. Ses mouvements ne manquaient pas de précision. Mais son repas eut le goût de cendre et il jeta son assiette à la poubelle, où elle se fracassa.

Son nom était entaché d'une réputation parmi les pirates. Peu importait qu'il ait vécu dans la légalité la plus totale par rapport aux lois des autres pays. Eh bien soit ! Avec sa fortune, il pourrait toujours s'acheter un juge, peu importe où ses escapades le mèneraient à l'extérieur du Conglomérat. Qu'il en soit donc ainsi ! Il partirait sur un navire pirate ! Au moins ne sera-t-il plus prisonnier de cette île, de sa population et de ses restrictions !

Seonghwa se défit de son tablier et le jeta par-dessus les débris de porcelaine. Il ne reviendrait pas. Et il allait vivre la vie de pirate dès maintenant, en se soûlant dans la première taverne qu'il trouverait et en jouant aux cartes jusqu'à ronfler sur la table.

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Ce travail est aussi disponible, sous le même nom, sur mon compte AO3. J'en suis l'unique auteure.