— Ce n'est pas parce que je ne dis rien que je vous fais confiance !

Yunho déposa une écharde sur un petit plateau, les épaules silencieusement secouées d'un rire. Le médecin les avait soulagés, Hongjoong et lui, en assurant que la plaie n'avait pas l'air infectée et que seuls de petits copeaux de bois, difficilement visibles, empêchaient la plaie de se refermer. Mingi voyait bien que le médecin tentait d'être le plus léger possible, et ses épaules s'étaient considérablement tendues durant la dernière demi-heure. Sa remarque semblait lui avoir fait du bien, et Mingi fut surpris d'en éprouver satisfaction.

— J'en ai bien conscience, répondit-il à Mingi avec un demi-sourire, avant de baisser à nouveau la tête sur son patient.

Mingi sourit... Puis se renfrogna, agacé de s'être laissé apprivoiser par un sourire. Il reporta plutôt son attention sur la pièce. De petite taille, elle était assez impersonnelle. Une petite table carrée, deux chaises. Seule décoration, une petite étagère de miniatures de bateaux divers, de la barque jusqu'à un fier Trois-mâts. La dernière miniature était celle d'un brick.

Le lit, sur lequel était allongé Hongjoong, avait été poussé contre la fenêtre pour récupérer un maximum de lumière de la rue, et plusieurs chandelles avaient été allumées. Le propriétaire de la maison, Jongho, un charpentier, faisait bouillir des chiffons propres de Yunho, pour éponger le sang, et un futur bandage sur un modeste fourneau au fond de la pièce.

Yunho releva la tête en jetant un tissu ensanglanté sur une assiette et Mingi se précipita vers Jongho.

— Un chiffon s'il te plaît.

Jongho hocha la tête et en récupéra un avec une pince en bois.

— Le jour commence à se lever, marmonna Mingi en retournant vers le lit.

Yunho jeta un coup d'œil sur la rue, prit la bande que Mingi lui tendait et fronça à nouveau les sourcils de concentration sur la plaie de Hongjoong.

— Oui. Ça devrait rendre mon travail plus facile, ajouta-t-il. Je pense que j'ai bientôt terminé.

— Enfin, murmura Hongjoong avec soulagement. J'ai l'impression de me vider de mon sang quand je vois cette pile de tissus...

— Il vous en reste encore assez pour survivre, le rassura Yunho avec un nouveau sourire.

Mingi ricana en s'asseyant sur la dernière chaise, la première étant utilisé par Yunho.

— Vous avez entendu Capitaine ? Vous allez vous en remettre, ajouta Mingi en lui tapotant le pied, le ton taquin.

Hongjoong retira son pied en levant les yeux au ciel.

— Je sais que vous aviez peur, continua Mingi. Je n'ai pas eu peur depuis ma naissance, moi...

— J'ai tendance à comprendre l'inverse quand tu dis ce genre de choses, répondit Hongjoong avec assurance.

Un large sourire s'épanouit sur le visage de Mingi et il se pencha en arrière, la tête contre le mur.

— Peut-être, chuchota-t-il pour lui-même.

La fatigue prit rapidement le dessus sur ce qui lui restait d'inquiétude, et il s'endormit.

— J'aurais besoin d'... , commença Yunho en levant la tête. Ah, il dort, continua-t-il en chuchotant.

Jongho tourna la tête vers Mingi pour le trouver les bras croisés et le visage offert à la lumière. Malgré la position inconfortable, il avait l'air détendu, paisible.

— Je m'en occupe, murmura-t-il donc.

— D'un bandage alors, s'il te plaît.

Jongho s'exécuta, avant de se laisser glisser contre le mur avec un soupir, les yeux fermés. Il était épuisé lui aussi, mais son lit, ses chaises et même sa table étaient occupées.

— Comment vous êtes-vous fait ça ?, demanda Yunho à voix basse en terminant de nettoyer la plaie de Hongjoong pour la bander.

— Un naufrage, murmura amèrement Hongjoong.

A ce mot, l'attention de Jongho fut piquée. Un marin sans bateau... Il ne savait pas vraiment où cette réflexion était en train de le mener, mais il se redressa en espérant obtenir plus d'informations.

— Il vous a appelé « Capitaine »..., continua Yunho.

Jongho retint une exclamation de satisfaction : il détestait les baisers, mais il aurait pu embrasser Yunho pour le remercier de creuser le sujet de sa curiosité.

— Oui, je suis... j'étais ?, demanda Hongjoong d'une voix confuse. Enfin, oui, j'ai été son capitaine jusqu'à ce naufrage... Mais il n'y a pas une once de respect pour moi dans ce titre quand il s'en sert, ricana Hongjoong. Ça fait longtemps qu'on navigue ensemble, et il l'utilise plus pour braver mon autorité que pour autre chose.

Yunho rit doucement mais n'ajouta rien.

Jongho grimaça, agacé. Si seulement Yunho pouvait lui en demander plus sur ses plans à partir de maintenant !

— Pirates ou Marine?, demanda Yunho.

Un froissement de tissu lui répondit, et Jongho supposa que le Capitaine s'était tendu.

— Vous ne risquez rien, dans cette maison tout du moins, continua Yunho, donnant raison à Jongho. C'est juste que, dans ce qu'ils vous restent de vêtements à tous les deux, on dirait des uniformes de la Marine. Voilà, j'ai fini, dit Yunho avec un soupir satisfait.

Jongho entendit Hongjoong se redresser lentement.

— Bien sûr... J'avais oublié ce détail..., marmonna-t-il en se frottant le front. Ça explique certaines choses. Soleï ne devait pas nous voir d'un très bon œil...

— Alors ? Parce que je dois vous organiser une extraction à l'aurore, si vous êtes de la Marine...

— Pourquoi feriez-vous ça ?

Yunho haussa les épaules et Jongho perçut l'amusement dans sa réponse.

— Je suis médecin. J'apprécie que mes patients survivent assez longtemps pour guérir.

— Nous sommes des pirates, admit finalement Hongjoong.

Jongho retint une exclamation de satisfaction. Ça y est, il la tenait, sa solution ! Il allait garder son navire ! Il suffisait de... convaincre les deux hommes de le voler. Ils devaient avoir un équipage qui les cherchaient, et en un rien de temps, l'opération serait montée et il deviendrait Maître-charpentier du navire qu'il avait construit. Jamais il ne laisserait la place à quelqu'un d'autre.

— Et quant à notre survie, continua Hongjoong, nous ne sommes pas d'ici, n'y sommes même jamais venus... Tout dépend d'avec qui Mingi s'est battu ce soir...

Jongho hocha la tête malgré lui, inquiet de la réponse. Non seulement il allait probablement les héberger pour le reste de la « nuit », mais en plus, il craignait de perdre à nouveau son bateau, après avoir espéré une fois de plus pouvoir le conserver.

— Je ne pense pas qu'Igor posera de problème. Il a d'autres occupations, hormis la bagarre inégale. Le jeu, l'alcool, les prostituées... Tenez-vous simplement à l'écart de son établissement.

— Vous savez comment il en est arrivé à cet état ?

— Je l'ai croisé.

Jongho entendit presque l'histoire derrière cette réponse laconique. Il connaissait le médecin, il était presque sûr qu'il avait tiré Mingi d'un mauvais pas.

— Vous ne l'avez pas aidé, lui..., dit Hongjoong d'un ton soupçonneux.

— Vous n'en savez rien, intervint Jongho avec agacement en relevant la tête. Comme vous l'avez dit, vous n'êtes pas d'ici, et vous ne nous connaissez pas...

Yunho le remercia d'un sourire et se tourna à nouveau vers Hongjoong.

— Il a remis en cause ma notion de consentement implicite. Je n'ai pas l'habitude de m'occuper de survivants conscients, pour tout vous dire...

— Et maintenant ? Si je vous autorisais...

— Vous n'êtes pas lui. Mais je peux vous assurer que je lui proposerais à nouveau mes services dès que l'occasion se présentera. Vous devriez vous rallonger. Je vais m'occuper de toi, Jongho, dit Yunho pour mettre fin à la conversation.

Jongho se leva avec un hochement de tête. Yunho passait le voir régulièrement pour vérifier qu'il ne s'était pas blessé au travail, mais Jongho avait compris qu'il cherchait juste à exclure Hongjoong de la conversation qui allait suivre. Les deux hommes sortirent dans la rue.

— Comment vont tes mains ?

— Très bien.

Yunho s'appuya contre le mur avec soulagement.

— Est-ce que tu te sens de les héberger cette nuit ?

— Oui, je dormirai par terre. Ou pas du tout.

— Fais attention à toi...

— Je recommence dans moins de 4 heures, dit Jongho d'un ton cassant.

Une expression coupable se peignit sur le visage de Yunho et Jongho regretta sa remarque.

— Ne t'inquiète pas, Yunho, ajouta Jongho d'un ton joueur. Grâce à toi, j'ai trouvé une solution pour garder mon bateau, murmura-t-il.

Yunho le regarda d'un air interrogateur.

— Un équipage sans bateau, et un bateau sans équipage !, s'exclama Jongho. C'est le plan parfait.

— Comment sais-tu qu'ils ont besoin de toi ? Ou même qu'ils ont besoin d'un bateau ?

— Vu qu'ils sont encore habillés de leurs guenilles d'uniforme militaire, je pense pouvoir affirmer qu'ils viennent d'arriver, et qu'ils n'ont pas d'argent. Ou peu. Donc pour le bateau, je ne me pose pas de question.

Yunho hocha la tête, et Jongho sourit fièrement.

— Ça se tient. Mais n'oublie pas qu'on est sur Soleï, chacun fait sa loi pour soi ici... Vous risquez plus que n'importe où ailleurs sur cette planète, il n'y aura pas de jugement si vous échouez.

— On n'échouera pas. Et on ne reviendra pas ici jusqu'à ce que mon commanditaire se calme. Dans un an ou deux.

— Auront-ils besoin de toi ?

— Je peux négocier avec eux, affirma Jongho avec confiance.

Yunho l'observa d'un air dubitatif.

— Tiens-moi au courant, répondit-il simplement.

— Je n'y manquerai pas. Tu voudrais venir ? Sortir de la monotonie du quotidien. Je sais que ça te pèse dernièrement.

Le regard de Yunho se perdit dans le vide, et quand il revint sur terre, il détourna les yeux.

— Comment fais-tu ça ? Lire dans les gens, alors qu'ils ne t'ont rien dit... Et pour répondre à ta question, non, je ne viendrai pas. J'aime la vie que je mène maintenant. J'ai l'impression de faire quelque chose de juste. Du moins quand je soigne les villageois et que je stoppe des bastons de rue.

Jongho connaissait déjà la réponse de Yunho. N'empêche, il était un peu déçu. Il aurait bien aimé connaître quelqu'un de confiance sur son bateau. Et puis, il appréciait vraiment le souriant médecin, il allait lui manquer... Mais Jongho était trop fier pour le lui dire.

— Je ne te retiens pas plus longtemps, dit Jongho d'un ton un peu bourru. Je n'ai que de petites touches de finitions à faire, que mes mains connaissent mieux que je ne me connais moi-même, mais toi, tu dois avoir toute ta tête pour ne pas faire d'erreurs.

Yunho referma la main sur son épaule et la pressa rapidement.

— Vraiment, tiens-moi au courant, ajouta-t-il sans se retourner.

— Je vais réussir, répondit Jongho.

Bien sûr que ça allait fonctionner. Jongho ne voyait pas d'autre issue possible.

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Ce travail est aussi disponible, sous le même nom, sur mon compte AO3. J'en suis l'unique auteure.