Mingi était plutôt un homme d'habitudes. Concernant son lever, tout du moins. Il n'avait pas besoin de dormir beaucoup pour se sentir bien, mais prendre quelques instants pour réfléchir, immobile dans son couchage et les yeux grand ouverts, lui était indispensable pour bien commencer la journée.

Pour son premier réveil sur le bateau, Mingi fixa donc le hamac supérieur. Au moment d'agencer les quartiers de l'équipage, Hongjoong et lui avaient décidé d'organiser les couchages plutôt que de laisser chacun s'installer où bon lui semblait. D'autant plus qu'en la présence de nouveaux et encore délicats pirates, il leur semblait compliqué d'organiser un roulement dans les tours de sommeil. Chaque membre de l'équipage avait donc son propre hamac, pour l'instant, moyennant une superposition des couchages entre les poteaux.

Jongho remua et le hamac au-dessus de Mingi se balança doucement.

Mingi sourit légèrement. La présence de Jongho était une nouveauté de ces dernières 24 heures. Le jeune charpentier semblait s'être pris d'affection pour Mingi depuis le sauvetage, et il s'était presque jeté sur le hamac supérieur quand Mingi s'était allongé sur le sien.

Mingi ne comprenait pas pourquoi ce soudain élan. En tant que Second de l'équipage de Hongjoong, il avait toujours rempli le rôle de lien entre l'équipage et le Capitaine, le rôle du transporteur entre deux villages qui ne se parlent plus depuis des années, mais ne savent plus pourquoi. Mais de fait, le transporteur avait toujours cette aura particulière pour les villages, et au moins l'un d'eux le traitaient avec une grande méfiance, le fusillant du regard, doutant de sa neutralité dans la querelle au motif oublié.

Mingi n'avait jamais caché son lien avec Hongjoong, et ce village soupçonneux, au début du voyage si ce n'était tout du long, c'était le nouvel équipage à chaque fois.

Alors, oui, Mingi ne comprenait pas pourquoi Jongho s'était attaché à lui plutôt qu'à Yunho, qui avait autant participé au sauvetage que lui. Mais avoir un allié dès le début de la traversée, être la personne qu'on regardait avec admiration, pour une fois... Tout cela plaisait beaucoup à Mingi.

Un membre de l'équipage fit claquer la porte contre la cloison entre le pont et les quartiers de l'équipage, et Mingi grogna, légèrement agacé. Il sentait que les nouveaux allaient lui rendre la journée difficile...

— Wooyoung, dit le nouveau venu avec force. Wooyoung, réveille-toi !

— Que ceux que le chien dérange lèvent la main, entendit crier Mingi.

Mingi fronça les sourcils et se redressa péniblement. Un vote qu'il n'organisait pas n'était jamais une bonne chose pour lui et Hongjoong. Cela avait des relents de mutinerie...

— Elle veut abandonner Shiber !

Wooyoung se laissa tomber de son hamac sans un mot et passa juste une chemise avant de sortir en courant avec le nouveau venu, que Mingi identifia comme étant le maître-navigateur. Ils laissèrent la porte ouverte, et Mingi, aidé par le coffre du trouble-fête, pût suivre la suite de l'esclandre en s'habillant. Si quelqu'un défiait déjà son autorité, il ne devait en aucun cas avoir l'air surpris.

— Que ceux que le chien ne dérange pas lèvent la main. Bien, égalité. Donne-le-moi.

De quoi pouvaient-ils bien parler ? Quelqu'un semblait s'interposer tout du moins, et Mingi se pressa, sentant que l'argument commençait à prendre une tournure plus compliquée encore.

— Le chien est encore sur le bateau.

Un chien ? Comment ça un chien ? Mingi s'immobilisa, pris de court, à deux boutons du haut de sa chemise.

— Et pour le mauvais présage ?

Il reconnût soudain la voix de Raven et sa colère décupla. Parmi tous, il fallait que ce soit elle ? Hongjoong et lui l'avaient prévenu, ils lui avaient demandé de se tenir tranquille, et la première chose qu'elle faisait sur ce navire, c'était organiser un vote à son insu ?

Elle avait vécu l'armée. Elle connaissait l'importance de se faire respecter par son équipage dans la Marine, et sur un bateau de manière générale. Elle connaissait la position précaire du Capitaine contre son équipage. Elle savait, nom de nom !

Mingi sortit des quartiers de l'équipage, parfaitement habillé et calme. Il se tenait droit, fier, et appela la fauteuse de troubles. Aussitôt, les murmures se turent et les pirates s'écartèrent instinctivement de son chemin alors qu'il avançait, menaçant, vers Raven.

Un chien apparût effectivement sous ses yeux, dans les bras d'un San moins souriant que d'habitude, mais il n'était pas le problème le plus urgent à gérer.

— Oh, le mousse ! Je suis...

— Tais-toi et suis-moi.

Il ne s'embarrassa pas de toquer à la porte du Capitaine. Les poules auraient des dents avant que Hongjoong ne réussisse à faire une nuit correcte. Et oui, il pouvait faire la leçon à son ami concernant son sommeil, parce que contrairement à lui, Hongjoong était réellement fatigué par ses courts temps de repos.

Hongjoong leva la tête de la modeste table qui lui servait pour l'instant de bureau et fourra précipitamment ses écrits sous un livre quand il vit Raven entrer à son tour.

— Que puis..., commença Hongjoong.

— Eh, mousse, qu'est-ce qu'il se passe exactement ?, râla Raven en croisant les bras.

— Tu es devant ton Capitaine, dit Mingi d'un ton sec, tu ne parles que s'il te le demande et tu ne lui coupes certainement pas la parole. Et arrête de m'appeler comme ça. Tu es sous mes ordres, maintenant.

— Alors c'est comme ça ? Et moi qui pensais qu'on était amis ?

Mingi resta impassible, mais il était surpris et agacé que Raven ne saisisse pas dans quelle situation elle se trouvait. La Raven de ses souvenirs avait du répondant, certes, et plusieurs promotions lui avaient été refusées pour cette raison. Mais au moins se battait-elle pour la survie de son équipage quand une meilleure manière de faire les choses pouvait être trouvée, et surtout, elle faisait face à ses supérieurs, elle assumait ses décisions, et elle ne créait pas de remous dans leur dos.

— On est amis, répondit calmement Hongjoong. Mais nous sommes ici dans un cadre professionnel, et le favoritisme n'est pas toléré, matelot.

Raven sembla incertaine une seconde, avant de croiser les bras d'un air défiant.

— Oui, Capitaine.

Hongjoong acquiesça et se tourna vers Mingi.

— Que se passe-t-il, Second ?

Mingi apprécia que Hongjoong lui réserve le même traitement qu'à Raven.

— Un vote à conséquence importante, mobilisant... enfin essayant de mobiliser tout l'équipage, a été organisé sans mon approbation.

— Conséquence importante ?, grogna Raven. C'est juste un...

— Ce n'est pas simplement de décider si on mangera des patates ou des légumes à midi, Raven, expliqua Mingi. Tu les as obligés à choisir publiquement un camp. Tu as volontairement créé des tensions, et on n'en a vraiment pas besoin sur un bateau pirate.

— Quelle conséquence ?, demanda Hongjoong d'une voix apaisante.

— San a ramené un chiot sur le bateau. Elle a fait voter l'équipage pour décider du sort de l'animal, a finalement pris une décision seule, allant à l'encontre des résultats du vote, et allait jeter l'animal à la mer.

— Je n'allais pas... Je ne voulais pas le...

— Tu ne voulais pas quoi ?

— Je ne voulais pas le noyer ! Mais les chiens portent malheur sur un navire ! Est-ce que tu veux vraiment tenter le destin ?

— Je vais me gêner, tiens, grogna Mingi en croisant les bras, les yeux dans les siens.

Maintenant que son esprit avait correctement saisi la situation, tout ce que ressentait Mingi, c'était de la déception et il soupira en se retournant vers Hongjoong.

Raven baissa la tête. Ses bras encore croisés étaient le seul témoignage de son attitude bravache quelques secondes plus tôt.

— Je ne peux pas fermer les yeux sur tes agissements, Raven, je me dois d'être impartial.

Hongjoong soupira et se leva pour venir près de Raven. Il leva les yeux de quelques centimètres pour croiser son regard et lui serra l'épaule, d'une attitude à la fois réconfortante et menaçante, un paradoxe dont il avait le secret.

— Tu seras de corvée d'épluchage pendant un mois, matelot. Et quart de surveillance du milieu de la nuit jusqu'à nouvel ordre. Va maintenant, et informe le coq de ma décision. Je ne ferais qu'alourdir la punition s'il ne me confirme pas ta présence.

— Oui, Capitaine.

Hongjoong retourna à son bureau, et dès que la porte fut fermée derrière Raven, il s'y affaissa.

— Elle m'a mis dans une position délicate, soupira-t-il avec force. Je ne peux pas expulser le chien sans qu'on pense qu'elle a de l'influence sur moi, surtout après qu'elle a été appelée dans ma cabine. Et je ne peux pas refaire de vote sans lui donner raison et qu'on la trouve plus vive que moi à agir...

Mingi se laissa tomber sur le tabouret de la cabine du Capitaine. Il chassa l'impression étrange que l'endroit était vide ; il avait du mal à se faire à l'idée qu'il recommençait sa vie de pirate presque à zéro pour la deuxième fois. Leur début dans le monde de la piraterie avait été forcé, et ils avaient tout abandonné derrière eux pour retrouver leur bateau dans la Marine. Leur premier recommencement aussi n'avait pas été volontaire, ils se devaient simplement de fuir le pays où ils étaient fichés comme des hors-la-loi. Mais maintenant, Mingi se rendait compte qu'il avait changé. Maintenant, c'était d'avoir perdu ses possessions et son train de vie qui le choquait, et il avait hâte de les retrouver. Cette réalisation ne le dérangea qu'une seconde, avant qu'il ne se souvienne avec amertume que cette vie, il se l'était bâtie avec Hongjoong parce qu'il avait voulu faire le bien, et que ça s'était retourné contre lui.

— Le chien avait gagné, répéta Mingi. Le coq s'était justement interposé. Je m'attendais à ce qu'il ne soit que paroles en l'air...

— Il n'avait pas conscience de ce qu'il faisait, comment a-t-il réussi à tenir tête à Raven ? Cette femme a une aura écrasante...

— C'est elle qui aurait probablement fini par s'écraser, continua Mingi. Il est plus impressionnant qu'il en a l'air quand il s'y met...

— En tout cas, Vatix soit loué ! Que ce chien ait remporté le vote m'enlève une sacrée épine du pied !

Mingi tressaillit à la mention de l'expression. Il n'était plus croyant, mais la mention du Dieu Protecteur des Militaires lui rappelait qu'il les avait abandonnés malgré ses prières.

— Ne dis pas ça. Il n'y a que des descendants de pirates sur ce navire, on ne sait pas comment il pourrait réagir à la mention de cet énergumène. Sans compter qu'il ne nous a pas aidé...

— Tic de langage, s'excusa Hongjoong en ressortant les papiers sur lesquels il travaillait. Je vais faire plus attention... Mais pour en revenir à son non-secours, peut-être étions-nous destinés à rejoindre les rangs des pirates ? Ou peut-être est-ce Eta qui nous a appréciés, et nous a conservés dans ses rangs ?

Mingi plissa les yeux, agacé. Il détestait quand Hongjoong parlait de destinée ou de Dieux et Déesses. C'était leur plus gros point de désaccord, et Hongjoong finissait toujours la discussion en concluant que Mingi devait être le favori d'Eta, Déesse de la Discorde et Protectrice des Pirates, simplement parce que son absence de croyance était un sujet qui les divisait, lui et la grande majorité du reste du monde.

— Je t'aime bien, Hongjoong. Vraiment, je n'envisagerais pas de m'associer à quelqu'un d'autre que toi, Hongjoong, lâcha Mingi d'un ton doucereux. Mais je vais avoir une mauvaise journée, Hongjoong. Est-ce que tu es sûr de vouloir t'ajouter à mes soucis, Hongjoong ?

— Merci de m'aimer, Mingi, ricana Hongjoong. Je ne m'inquiète pas trop pour toi, je suis sûr que la fête de cette nuit va totalement éclipser ta malheureuse journée. Mais va donc, toi aussi, et prends le taureau par les cornes !

Mingi ne se le fit pas dire deux fois et quitta les lieux, laissant la voix chantante de Hongjoong résonner dans la cabine vide.

Oh, qu'il semblait facile d'être capitaine par moments ! Dans ces instants calmes, où le bateau voguait paisiblement sans réelle direction, un gabier tenant le rôle de la vigie, à l'affût d'un danger ou d'une opportunité. Que de temps libre son capitaine avait pour composer ses musiques, qu'il ne faisait jamais écouter à personne... Alors que lui se devait d'être productif pour empêcher que le bateau coule et s'occuper de l'équipage...

San et Wooyoung venaient justement vers lui, le premier à petits pas, le second en balançant les épaules, et Mingi attendit sans bouger devant la porte.

— Vice-capitaine, commença San d'un air hésitant, que...

— Le vote était en faveur du chien de toute façon, le coupa Mingi. Tu peux le garder, tant qu'il ne met la vie de personne en danger.

Un grand sourire à fossettes fleurit sur le visage de San tandis qu'il hochait la tête, et Mingi se surprit à lui répondre. Oh la la, ça n'allait pas du tout... Est-ce qu'il s'était pris un coup sur la tête pendant le naufrage ? C'était la seule explication qu'il trouva. Comment aurait-il pu devenir aussi joyeux à chaque fois que quelqu'un lui souriait, sinon ? Il avait refusé de laisser le médecin l'examiner cinq jours plus tôt, mais finalement, il décida d'aller le voir dès qu'il en aurait l'occasion.

— Il faut que j'entraîne San à faire et défaire des nœuds, mon Vice-Capitaine, on ne peut pas vraiment jouer avec les voiles pour l'instant, ça serait trop risqué. J'aurais besoin au minimum d'un bout de bois et d'une corde, et au mieux qu'ils soient à la bonne taille. Où est-ce que je pourrai trouver de quoi faire ?

— Voyez ça avec le charpentier, s'il n'est pas quelque part sur le pont, il doit être dans la voilerie, répondit Mingi.

Les deux hommes hochèrent la tête et s'éloignèrent d'un même pas.

Mingi repensa à cette histoire de transporteur, cette comparaison dont il était assez fier, et décida que ça devait changer. Plutôt que de se montrer paranoïaque et de ne dormir que d'un œil pour protéger son capitaine, il allait prévenir la mutinerie en faisant sortir Hongjoong de son antre. Il est toujours plus facile de se retourner contre quelqu'un qu'on ne connait pas, ou qui ne fait que punir. Et si Mingi supportait Hongjoong, il n'était pas le seul à être capable de le faire.

L'agitation du pont finit par le tirer de ses réflexions. La tension semblait déjà monter entre quelques pirates au milieu du pont. Poppy regardait le ciel, en ayant l'air de s'ennuyer ferme, et allait se prendre un bout de bois dans la tête. Lyris jouait avec le chiot et venait de lancer de manière catastrophique ce fameux bout de bois. Phileas marchait à reculons avec une assiette au bout d'un pic et passerait bientôt par-dessus le bastingage. Un mousse était sur le point de défaire un cordage maintenant horizontale la vergue de la grand-voile.

Il en aurait, des choses à raconter dans son journal à sa mère, et décidemment, il avait autre chose à faire que de persuader Hongjoong de prendre la lumière aujourd'hui...

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Ce travail est aussi disponible, sous le même nom, sur mon compte AO3. J'en suis l'unique auteure.