Seonghwa se réveilla en grognant. Seule la lumière de Queya, le petit et premier soleil, éclairait son visage, mais c'était déjà bien suffisant pour aveugler son œil unique, l'autre étant caché par un bandage. Et pour le mettre de mauvaise humeur.

Aïe, ce mal de tête n'aidait certainement pas non plus. Qu'est-ce qu'il avait bien pu faire la veille ? Ah oui, prendre un verre d'un mélange inconnu. Urgh, il n'aurait clairement pas dû. Non, il n'avait pas une faible tolérance à l'alcool, c'était faux, jamais il ne le reconnaîtrait. C'était juste un mélange très fort, que la femme qui l'avait guidé dans le chantier lui avait proposé, une fois qu'ils étaient sortis du port. Et franchement, il se sentait de boire à ce moment-là. La plus grosse vague d'incertitude qu'il ait jamais connue était venue détruire le mur de confiance en lui. Un mur qu'il avait patiemment bâti pendant des années de solitude. Qu'il croyait solide.

L'altercation avec son père, la veille seulement – il avait l'impression que cela faisait une éternité, pourtant-, et cette blessure qu'il lui avait faite, avaient fragilisé son moral, malgré lui.

Enfin son œil s'habitua à la luminosité et il observa les lieux. Il était dans la cuisine du bateau, allongé sur une longue table à côté d'une assiette propre, et il y avait trois casseroles sur le fourneau. Et des cubes de pomme de terre crue et des haricots mal équeutés. Il fronça les sourcils. Qu'avait-il fait la veille, à cuisiner en étant en état d'ébriété ? Surtout qu'avec son œil unique, il avait un peu de mal à gérer les distances...

La tête lui tourna légèrement quand il se redressa et il chancela en bousculant une casserole. La moitié de son contenu, des haricots verts, se répandit sur le sol. Il jura et se baissa pour les ramasser, l'estomac miraculeusement en place.

De la viande séchée. Il avait ramassé de la viande séchée du sol pour la remettre dans un chariot, dans les quartiers de l'équipage. Mais s'il avait été dans les quartiers de l'équipage, pourquoi revenir dans la cuisine ?

Il remarqua que la porte vers l'étroit escalier en colimaçon et la réserve de nourriture était ouverte et il la referma, au moment où une exclamation retentissait en bas. Il leva les yeux au ciel, n'ayant ni la force ni l'envie de se prendre la tête avec des pirates pour l'instant. Il allait voir avec le capitaine et le maître-charpentier pour fermer la porte du bas, afin d'éviter les vols dans son stock.

— Regardez ce que je viens de trouver !, cria quelqu'un sur le pont.

Péniblement, un peu à tâtons, Seonghwa sortit à l'air libre, la main devant les yeux pour se protéger des soleils qui inondaient les flots de leurs lumières, les rendant presque difficiles à observer.

Les quelques pirates déjà levé se rassemblèrent en cercle autour de Raven, qui tenait un chien dans le bras gauche et une jeune femme aux cheveux courts du bras droit.

— On avait deux passagers clandestins dans la réserve à nourriture !

La fille se dégagea brusquement mais avec ses mains liées dans le dos, elle ne fit rien d'autre. Même de cette distance, Seonghwa pouvait voir le feu dans ses grands yeux. Le visage, à l'exception de la joue bleuie par un coup, lui était familier pour une raison qu'il ne s'expliquait pas.

— Poppy !, cria la charpentière du navire, du nom de Lolly.

Seonghwa la connaissait uniquement parce qu'elle était la deuxième personne non combattante, mais il était étonné du coffre qu'elle avait. Elle avait plutôt tendance à parler dans un murmure, et elle avait été à peine audible lorsque Raven lui avait posée une question pendant la traversée du chantier... Oh !

Les cheveux courts et l'expression agacée l'avaient induit en erreur. Mais maintenant, il comprenait pourquoi il connaissait ce visage. C'était vraiment frappant lorsqu'elles étaient côte à côte, comme à cet instant. La clandestine était la sœur jumelle de Lolly.

— Oh !, lâcha Raven, si surprise que le chien lui échappa.

Elle venait probablement d'arriver à la même conclusion que Seonghwa. Avec quelques secondes de retard, se fit-il un plaisir de remarquer.

Son triomphe personnel fut de courte durée, le chien se précipitant vers lui. D'instinct, il montra les mains pour tenter d'apaiser l'animal, mais il ne comprenait pas du tout ce qu'il était en train de se passer. Ce n'était pas son chiot, et manifestement, sa présence n'était pas appréciée... Il ne voulait vraiment pas d'ennui, il voulait juste quitter cette équipage dès qu'il aurait trouvé un endroit pour s'installer.

— Doucement, le chien, doucement..., dit-il en reculant doucement.

San surgit devant lui et attrapa le chien avant qu'il ne l'atteigne. Seonghwa allait le remercier, quand le chien se mit à lui lécher affectueusement le visage. Ah. C'était son chien. Bien sûr, un artiste de cirque n'était jamais loin d'un animal dressé. Que c'était cliché...

Raven secoua la tête pour se remettre les idées en place.

— Toi, dit-elle en pointant Lolly du doigt, tu peux te porter garante de ta... sœur, n'est-ce pas ?

Lolly hocha la tête, de retour à sa vie de peu de mots.

— Le capitaine a toujours besoin de nouvelles mains... Mais pour le chien...

San resserra un peu son étreinte sur son chien d'un air protecteur.

— C'est de mauvais augure, et ça fait une bouche inutile à nourrir..., continua Raven, pragmatique, aussi facilement que si elle parlait de la météo et pas d'une mise à mort.

Seonghwa se souvint qu'elle était pirate. Mouais, elle aussi, elle était un cliché, avec sa pipe...

— Je ne vous laisserai pas lui faire de mal, cracha San.

— Je propose un vote à main levée, ignora Raven. Une égalité amène à l'abandon du chien, et le propriétaire n'a pas le droit de voter. Que ceux que le chien dérange lèvent la main.

Seulement trois mains, dont celle de Raven, se levèrent. Seonghwa ricana, se moquant du manque de réaction de l'équipage. Manifestement, cette fameuse Raven se prenait pour plus que ce qu'elle était.

— Que ceux que le chien ne dérange pas lèvent la main.

Deux pirates, un homme aux cheveux d'un magnifique blond doré et un autre qui tentait de rentrer sa chemise délassée dans son pantalon, sans succès, se précipitèrent vers le devant du cercle, main levée de manière bien visible. Le médecin de Soleï, que Seonghwa était surpris de voir ici, sembla hésiter une terrible seconde avant de lever la main.

— Bien, conclut Raven. Egalité. Donne-le-moi.

Seonghwa croisa le regard du chien, qui semblait sourire malgré la tension. Une pièce du puzzle surgit subitement dans son esprit, et Seonghwa soupira. Il se souvenait de la veille. Il avait trouvé le chien en train de manger de la viande séchée alors qu'il la ramassait, et avait décidé de le nourrir correctement. Dans la cuisine. Il avait dû suivre l'odeur de la nourriture, et descendre l'escalier raide entre la cuisine et la réserve de nourriture.

— Non, je vote pour qu'il reste aussi, lâcha-t-il avec un soupir agacé en se glissant entre San et Raven.

— Le vote est clos.

— Le chien est encore sur le bateau.

— Mais pour la nourriture...

— Je suis le chef cuistot, laisse-moi m'occuper de ça, veux-tu ?, dit-il avec un sourire agacé.

Raven hocha la tête lentement, de mauvaise grâce. Dieu merci, malgré sa mauvaise humeur, elle ne semblait pas décidée à insister plus longtemps...

— Et pour le mauvais présage ?, détrompa-t-elle Seonghwa en plissant les yeux.

Il n'eut pas le temps de dire quoique ce soit avant que le Vice-Capitaine n'appelle froidement Raven.

— Le mousse ! Je suis...

— Tais-toi et suis-moi.

Seonghwa croisa les bras, un sourire satisfait et -il le savait- condescendant peint sur le visage. Il suivit la femme du regard jusqu'à ce qu'elle disparaisse derrière la tête de San, qui s'était redressé, le chien allongé sur ses pieds. Seonghwa détourna aussitôt le regard, et allait partir quand San l'arrêta d'une poignée de main autour de l'avant-bras gauche. Il n'y avait aucune pression, aucune menace dans cette poigne, mais Seonghwa fut stoppé net.

— Je..., commença San.

— Je t'apprécie, le coupa l'homme aux magnifiques cheveux dorés. Je veux dire, j'apprécie ce que tu as fait, mais je t'apprécie toi aussi, pour la personne que tu es. Je m'appelle Yeosang, et voici Wooyoung, au fait.

Seonghwa le regarda comme s'il avait perdu la tête. Ils ne se connaissaient pas le moins du monde, alors comment cet homme pouvait avoir une opinion si tranchée à son encontre ? Wooyoung, encore débraillé, semblait aussi surpris que lui par l'opinion de son ami, le visage entier à l'image de la confusion.

Néanmoins, cela lui fit plaisir. Jamais personne ne lui avait dit ça. Bien sûr, oui, il avait reçu des compliments sur ses talents de cuisiniers et sur ses plats, souvent un peu pauvres par rapport à la qualité de son travail, d'ailleurs. Mais jamais on ne lui avait dit qu'on l'appréciait, lui. Et il aimait bien cette nouvelle sensation. Son rictus amer se détendit et ses membres lui parurent plus léger.

— Moi aussi, ajouta San. On n'est pas parti sur des bonnes bases. Entièrement à cause de toi, ajouta-t-il dans une toux exagérément réprobatrice. Mais merci beaucoup pour Shiber. 

— Il te ressemble vraiment beaucoup, chuchota Yeosang à Wooyoung, si bas que San ne dût pas l'entendre.

Wooyoung lui répondit en lui tapant légèrement l'épaule.

— Ce n'est rien, dit Seonghwa d'un ton un peu bourru. Et à propos de la nourriture... Vraiment, c'est pas bon de le nourrir seulement avec de la viande séchée. Je peux m'occuper de ses repas...

Un immense sourire à fossettes apparût sur le visage de son interlocuteur, si rempli de bonheur et de joie que Seonghwa eut du mal à contenir un mouvement de recul. Non, il les aimait peut-être tous les trois un peu aussi... tous les quatre en comptant le chien, mais il n'était pas prêt à supporter quelqu'un dégoulinant de bonne humeur comme ça pour l'instant.

Mais il n'allait pas les rembarrer aussi durement qu'il avait pris l'habitude de le faire avec les gens qui l'insupportaient. Non, il allait trouver une excuse, être délicat...

— Bon, eh bien, je vais y aller, moi... Il me semble que je dois faire à manger pour tout un petit monde, les patates ne vont pas s'éplucher toutes seules...

— Laisse-moi t'aider, réagit San en sautillant, le chien préférant mordiller le bas du pantalon de Wooyoung, au grand plaisir de Yeosang. Assez, Shiber ! Ne fais pas ça, c'est mal !

— Est-ce que je peux jouer avec ?, demanda Wooyoung.

San hocha la tête et lui donna quelques conseils, tandis que Seonghwa essayait de partir discrètement.

— Attends-moi !, dit-il en courant vers lui.

Seonghwa laissa San le suivre sans un mot. Qu'est-ce qui lui avait pris, à essayer d'être gentil ?!

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Seonghwa saves the day!

Ce travail est aussi disponible, sous le même nom, sur mon compte AO3. J'en suis l'unique auteure.