Logbook#11 : San & Seonghwa
La nuit était tombée et San attendait Elijah à quelques mètres de la statue difforme, le ventre tordu par l'incertitude. Il se tenait un peu éloigné de l'équipage. Malgré son apparente confiance en sa décision, il se sentait un peu à l'écart de ce monde, comme s'il n'y appartenait pas. Il se rassura en se disant qu'au contraire, le Capitaine lui avait trouvé un rôle sur le bateau. Et il imaginait que s'il y avait une personne à laquelle il devait faire confiance sur ce navire, c'était au Capitaine.
— Visez un peu avec quelle bande d'énergumènes on embarque..., marmonna quelqu'un d'un air dégoûté à côté de lui.
San fronça les sourcils, incertain concernant la réaction à adopter.
— Bonsoir... Vous faîtes partie de l'équipage du Capitaine Hongjoong ?, demanda-t-il prudemment.
L'inconnu sembla se vexer, avant de prendre une grande respiration.
— Oui...
— San, enchanté.
— Park Seonghwa. Vous semblez différent d'eux...
Il se tourna vers lui, et le regard de San s'accrocha sur le bandage qui cachait l'œil droit de son interlocuteur. Le contraste entre le sang, qui paraissait encore un peu frais et la blancheur du pansement était tout aussi saisissante sous cet éclairage qu'à la lumière des quatre soleils.
— C'est mon premier équipage. Je viens du cirque Cyan.
— Du cirque Cyan... Je retire ce que j'ai dit, grogna-t-il avec dédain avant de s'éloigner.
Est-ce que quelqu'un venait juste de dénigrer sa profession ? Est-ce que cet inconnu dont il ne connaissait que le prénom venait de le regarder de haut ? San allait le suivre pour lui demander des explications quand il remarqua Elijah, à l'entrée de la petite place.
Un sourire s'épanouit sur ses lèvres et il se jeta sur lui, le serrant dans ses bras. Elijah lui aurait sûrement rendu son étreinte si elle ne l'avait pas complètement immobilisé.
— Doucement, rit-il faiblement.
— Tu l'as amené ?, demanda San en s'écartant, les mains toujours sur ses épaules.
— Oui. J'ai pensé à ce chariot, et je l'ai amadoué avec de la viande séchée. Comme il est silencieux, il ne devrait pas poser de problème.
San le serra à nouveau dans ses bras. Il se sentait extrêmement enclin aux manifestations physiques d'amour ce jour-là...
— Quelle est ta décision ?, demanda-t-il timidement.
— Je reste, répondit Elijah en le repoussant doucement pour le regarder dans les yeux. J'ai beaucoup réfléchi à ce que tu as dit... Au fait que tu me proposes une solution pour me sauver... Et c'est vrai. C'est une solution. Une parmi plusieurs. Et j'ai trouvé la mienne. Je vais reprendre ce cirque en main. Et si je n'y arrive pas... je le détruirai pour en construire un nouveau sur ses cendres.
Une pointe d'inquiétude naquit dans le cœur de San mais Elijah paraissait déterminé et apaisé. Il lui serra brièvement l'épaule en encouragement. S'il se sentait tout à fait de poursuivre seul sa voie la veille, San rechignait à laisser Elijah maintenant. Ils allaient tous les deux se sentir isolés, et la décision d'Elijah lui semblait beaucoup plus noble que la sienne... Peut-être fuyait-il réellement, malgré ce qu'il avait avancé lors de leur dispute la veille...
— Je devrais peut-être rester avec toi..., commença-t-il, en s'écartant un peu plus du groupe de pirates.
— Non, sourit Elijah. Pars. Tu as raison. Tu as trouvé ta solution pour te détacher du cirque, et c'est une aventure incroyable qui t'attend. Tu es au cirque depuis si longtemps, tu ne connais rien d'autre... Il faut que tu vives autre chose, que tu tentes une nouvelle expérience !
San déglutit faiblement, se rendant compte qu'il était terrifié. Certes, la plupart des membres de l'équipage semblait amicaux. A part Wooyoung, un peu agressif à son encontre, et ce Park Seonghwa, carrément dédaigneux... Sa confiance en lui vacilla.
— Je ne vais pas y arriver, Elijah... Je ne vais pas être à la hauteur...
— Bien sûr que si, tu vas y arriver, San ! Tu es un excellent escrimeur, et je ne sais pas si tes talents d'équilibriste et trapéziste vont t'être très utiles, mais...
— Si, ils devraient..., chuchota-t-il. Je vais être gabier... je crois que je vais m'occuper des voiles et me balader sur les mats...
— Raison de plus ! Tu as sûrement des choses à apprendre, mais c'est tout à fait normal. Tu veux un exemple ? Tu ne savais pas quelle conduite adopter avec lui, mais tu as appris.
San n'était pas convaincu, et son ami le sentit, car il ajouta :
— Tu as des facilités dans beaucoup de domaines, et j'en suis un peu jaloux. Mais tout ne peut pas être inné, ça serait beaucoup trop injuste pour nous, rit Elijah.
San hocha la tête avec un sourire timide, son moral remontant légèrement. Il ne s'attendait pas du tout à avoir besoin d'être encouragé pour se tenir à une décision qu'il avait prise lui-même. Mais il se sentait mieux d'en avoir parlé avec Elijah, sans être tout à fait rassuré.
— Rassemblement, rugit Hongjoong soudainement.
— Donnons-nous rendez-vous dans quelques temps, si ça peut t'aider à te sentir mieux, proposa Elijah en lui tendant la poignée du chariot. Je ne compte pas changer les plans du cirque, même si je réussis, donc on devrait être à Ilusy dans un an. D'accord ?
San récupéra le chariot et son visage se fendit d'un sourire malicieux, celui qui faisait apparaître ses fossettes.
— Je me débrouillerai pour y être.
Seonghwa se savait obligé d'obéir au Capitaine. Il était son inférieur sur le bateau. Et cette constatation le rendait malade.
Au signal du Capitaine, il refusa donc de s'exécuter complètement, et plutôt que de se mêler à la masse, il resta en retrait, juste assez proche pour correctement comprendre ce qu'il disait.
— Des pirates sans navire ne sont que des bandits, sans montures qui plus est, commença Mingi.
L'équipage s'était tu, toute leur attention attiré par les deux hommes au pied de la statue.
— Nous allons donc récupérer notre bateau, le ATEEZ, continua Hongjoong. Ce qui signifie que nous allons voler le chantier naval.
Voler ? Ils allaient voler un navire au chantier naval ? Quelle idée ? Comment pouvaient-ils voler quelque chose d'aussi volumineux ? Et puis, qu'ils réussissent ou non, cela allait leur créer des ennuis... Et puis le pauvre maître de chantier...
Seonghwa se rendit soudain compte qu'il détestait le maître du chantier naval, qui avait tenté de l'humilier devant ses invités, le maire et d'importants associés du chantier naval, lors d'un repas d'affaires. Il n'avait généralement pas beaucoup de considérations pour les autres, et encore moins pour ses ennemis. Il n'était choqué par le vol que parce qu'il voulait les contredire, et il se trouva ridicule. Au contraire, c'était une vengeance parfaite, et il allait la savourer !
Il fit un pas supplémentaire pour s'approcher de son équipage... et se figea. Non, de L'équipage. En aucun cas il ne ressentait un quelconque sentiment d'appartenance à ce groupe d'individus.
— D'après notre repérage, il y a quatre entrées. Nous allons donc nous répartir en quatre groupes afin d'attaquer les gardes en même temps. Restez vigilants, il ne semble pas y avoir de rondes régulières à l'intérieur du chantier, vous pouvez tomber sur des gardes n'importe quand, et peut-être même sur le bateau.
Seonghwa hocha la tête, et plusieurs pirates tapèrent énergiquement du pied pour manifester leur approbation.
— Notre objectif est de faire le moins de victimes possible, on veut éviter d'entrer dans le cercle vicieux de la vengeance personnelle avec d'autres pirates ; ne mettez pas votre vie en danger cependant.
Quatre groupes furent rapidement créés, et un cinquième, encadré par une femme nommée Raven et un homme se faisant appeler Lyris, regroupa les membres ne sachant pas se battre. Ils entreraient une fois la voie jugée libre.
Seonghwa hésita. Il savait se battre, mais il n'en avait pas envie, il n'aimait pas ça, il n'était pas né pour ça. Et puis, il était déjà blessé et il ne s'était pas encore fait à son œil invalide...
Une dizaine de scénarios variés et plus ou moins vraisemblables, avec pour seul point commun sa vue défaillante, s'imposèrent à son esprit. Il se voyait perdre un orteil, un pied, l'usage de sa jambe, ou même de ses mains et bras, tombant d'un échafaudage, s'empalant sur un énorme clou, le muscle à vif d'avoir marché sur une rappe, se vidant de son sang, ou encore assommé par la chute d'un marteau sauvage...
Non, tout ceci était ridicule. Après tout, la cuisine était tout aussi dangereuse, emplies de lourdes casseroles, de solides rouleaux à pâtisseries, de couteaux savamment aiguisés...
Mais la cuisine était son domaine, sa zone de confort. Et il ne se sentait pas d'en sortir. Surtout qu'il avait entendu que les pirates n'avaient que très peu de connaissance en médecine et étaient prompts à amputer.
Malgré ses efforts pour tourner la situation au ridicule ou se raisonner, la peur sombre et envahissante de voir son état empirer prit le dessus sur lui. Sa première et dernière confrontation avec son père, le jour même, l'avait rendu craintif, et il s'en désolait... Mais même si son incertitude avait été de très courte durée, il avait été terrifié et profondément choqué lorsqu'il avait cru avoir perdu son œil...
Seonghwa se passa la main sur le visage, rencontrant le récent bandage un peu humide de sang qui cachait son œil droit. Paradoxalement, malgré la douleur de la blessure, en sentir le contour l'apaisait. Sa présence était l'apothéose de l'influence que ses parents avaient eue sur lui, mais aussi l'espoir d'une vie différente. Il allait bientôt être loin de son père, loin de sa mère et si proche de la liberté...
La respiration encore saccadée, il prit une décision.
Il n'était pas prêt.
Très doucement, il se rapprocha du cinquième groupe, avec Raven qui bourrait distraitement sa pipe, l'expression impassible, et Lyris qui semblait dormir debout, la tête baissée et le visage à moitié caché dans un foulard noir noué. Seonghwa ne leur faisait absolument pas confiance, mais après tout, les autres étaient censés s'occuper de tout avant qu'il n'arrive.
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Ce travail est aussi disponible, sous le même nom, sur mon compte AO3. J'en suis l'unique auteure.
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