Logbook#1 : Mingi & Hongjoong
Hongjoong et Mingi regardèrent le navire approcher avec circonspection. Il s'agissait de survivre à leur attaque avant tout, l'accord n'avait pas d'importance. Le bâtiment de commerce de bonne taille possédait 3 mâts. On leur avait affirmé qu'il ne serait pas armé.
— Ce n'est pas une bonne idée, marmonna Mingi en plissant les yeux pour supporter la lumière des soleils. Tu n'aurais jamais dû accepter ce contrat.
— C'était une très bonne idée, répliqua avec lassitude Hongjoong. Nous bénéficions d'une protection, tout en parcourant les mers.
— On ne peut compter sur personne pour assurer sa propre survie. Personne d'autre que nous-mêmes n'a nos intérêts à cœur. On a appris ça quand on faisait partie des leurs.
— C'est exact. Mais on peut trouver des accords qui arrangent tout le monde. On fait leur sale travail et ils nous laissent tranquilles.
Ils avaient déjà eu un certain nombre de fois cette discussion, lors de leur attente. Connaissant le port d'arrivée de leur cible, ils pouvaient facilement lui tenir une embuscade.
— Les hommes se posent des questions. Ces costumes sont ridicules. Je ne voulais jamais les reporter un jour, que ce soit ceux de notre pays d'origine ou ceux-là, dit-il avec dégoût.
Ils avaient dû attaquer un navire militaire pour voler le drapeau et les costumes la semaine précédente, et même lavés et recousus, Mingi avait l'impression de porter la peau d'un mort.
— C'est bien peu cher payé contre la protection, encore une fois. Nous restons des pirates, même avec des uniformes militaires. Et ça ne change pas tant que ça de ta tenue habituelle !
Mingi, les lèvres serrées, lui lança un regard assassin.
— Ils n'ont rien en commun, dit-il d'une voix dure avant de soupirer. Et que dois-je dire à l'équipage de ta part, Capitaine ?
— Dis-leur de piller autant qu'ils le veulent. Il faudrait laisser quelques témoins. Que je compte sur eux pour faire du bon travail, et que la richesse nous tend les bras.
— La tambouille habituelle...
— Mingi, tout va bien se passer.
— Je ne le sens pas. Mais bon, je me rends à ton analyse de la situation, Capitaine. Je vais leur demander de préparer les canons...
— Essayez d'abimer leurs voiles.
— Oui, Capitaine.
Pendant que Hongjoong et le navigateur décidaient de la meilleure trajectoire à effectuer, Mingi descendit sur le pont pour rassembler les hommes. Montant sur un assemblement de tonneaux bien ficelés au pont, il motiva les pirates, transmettant les ordres du capitaine.
L'ambiance parmi les hommes était bonne, mais vraiment, un mauvais pressentiment persistait dans l'esprit de Mingi, et il n'arrivait pas à s'en défaire.
A tort, pensa-t-il finalement. Le navire de commerce, isolé, n'avait fait aucune résistance, rendant les armes dès la première déchirure dans leurs voiles.
Le coq, un vieil homme à la jambe de bois, le retrouva sur le pont.
— Bonne prise aujourd'hui. Il n'y avait probablement pas assez de bagarre pour les gars, mais je vais leur remonter le moral avec ces victuailles.
— Nous comptons sur toi, sourit Mingi.
— J'ai croisé le maître-charpentier par contre. Il a l'air plutôt préoccupé par l'état du navire. Il va nous falloir vite accoster pour le remettre en état, un sauvage a mal tenu le canon lors de la mise en position et a abimé la coque... Le canon a failli partir à la mer, d'ailleurs. Les charpentiers vont faire des réparations de fortune bien sûr, mais elles ne tiendront pas longtemps...
— Le maître-charpentier est un incompétent. Mais bon, c'est normalement notre dernier pillage avant d'accoster. Ça fait longtemps que les hommes ne sont pas retournés à terre.
Ils observèrent en silence les membres de l'équipage adverse s'entasser dans leurs canots. Il était stipulé dans leur contrat que ceux qui avaient rendus les armes devaient survivre, pour raconter que des soldats de l'Iloé les avaient attaqués et avaient coulé leur navire. Les pirates entassèrent les derniers sur une large planche qu'ils avaient sciée du pont de l'ennemi.
Hongjoong les rejoignit en enlevant son chapeau. Les perles de verre dans ses cheveux couleur cerise étincelèrent sous les rayons des soleils.
— Tout se passe bien jusqu'à maintenant, n'est-ce pas ?, dit-il avec un sourire, en enfonçant légèrement le coude dans les côtes de Mingi.
— Oui, Capitaine, marmonna Mingi avec un regard de reproche.
Alors que les naufragés s'éloignaient, les pirates quittèrent le navire de commerce dépouillé. Dès que les planches furent relevées, ils lancèrent quelques torches sur les voiles.
— Bâtiment militaire atridien à bâbord.
Hongjoong et Mingi sursautèrent en même temps.
Deux continents principaux se partageaient plus ou moins le monde : Iloé et Atride. Les relations entre les deux nations étaient cordiales habituellement, et le commerce nécessaire et florissant, les deux territoires n'ayant pas les mêmes ressources.
Seulement, l'équipage était déguisé en soldats iloéens... Et ils avaient peut-être été pris en flagrant délit de destruction d'un navire commerçant atridien. Un navire de retour d'Iloé, donc un navire avec des biens indispensables à l'Atride.
— Tout va bien, s'ils nous attaquent, on sort le drapeau blanc et j'ai la lettre.
Le navire pouvait les attaquer à vue, même le drapeau blanc levé, s'ils avaient vu l'abordage. Mais Mingi préféra se concentrer sur leur survie plutôt que sur leur mort potentiellement imminente.
— On sera prêt à filer si quelque chose ne se passe pas comme prévu.
Quelques nœuds plus loin, Hongjoong donna l'ordre de canonner la carcasse du bateau abordé, comme stipulé dans le contrat. Mingi adorait observer les navires couler, prévoir s'ils allaient se briser, imaginer par où l'eau pénétrait la coque. Mais cette fois, la proximité du navire militaire le préoccupait trop pour qu'il puisse apprécier le spectacle. Il déplia la longue vue au moment où les trappes sur la coque du navire militaire laissaient apparaître la tête de canons.
— Ils ouvrent les mantelets de sabord, capitaine, cria la vigie. Deux rangées de canons.
Hongjoong fit immédiatement lever le drapeau blanc et le pilote navigua à distance prudente du bâtiment.
— Il nous faut une porte de sortie. Le Conglomérat est à quelques miles au sud...
— Ils ont un gros navire, nous devrions pouvoir les semer. Le vent nous portera.
— Parfait, approuva Hongjoong. Et ne descendez pas l'ancre.
— Oui, capitaine.
Hongjoong fit préparer un canot.
— J'y vais, commença Mingi.
— Mingi...
— TU es indispensable à la survie de ce navire, dit-il en enfonçant un doigt dans la poitrine de Hongjoong.
— Je suis le seul à même de nous défendre, Mingi. J'ai rencontré Abernott, je sais ce que je dois dire. Tu es un bon vice-capitaine, et un excellent maître d'équipage, mais tu as une certaine propension au mélodrame. On va tous s'en sortir, pas besoin de sacrifice.
Vaincu, Mingi s'effaça pour laisser Hongjoong prendre l'échelle de corde. Il n'avait pas d'autre argument pour retenir son capitaine à bord, et se résigna à préparer le navire pour son retour. L'inquiétude leur nouait les entrailles à tous deux, mais ils ne le montraient pas, leur entraînement militaire les ayant largement endurcis. Tous les pirates s'amassèrent à bâbord pour observer leur capitaine quitter le navire.
— Quelle drôle de farce, ricana quelqu'un.
Mingi leur lança un regard noir.
— Tous à vos postes ! On doit être prêt à partir n'importe quand.
— Oui, Vice-Capitaine.
Le maître-charpentier approcha.
— Nous ne pouvons pas encaisser un coup supplémentaire, le bateau risquerait de couler. On ne l'a pas remis en état depuis trop longtemps, le bois est rongé. Et le petit con de tout à l'heure a bien endommagé la coque.
— Il aurait fallu le dire plus tôt, imbécile. Je ne peux décemment pas te soutenir auprès du capitaine dans cette situation. Il me semble que c'est ton travail de surveiller l'état du navire pour qu'il ne soit pas aussi fragile. On va faire avec et il faudra qu'il tienne.
Hongjoong remonta avec agilité sur le navire de combat, la lettre dans la poche intérieure de sa veste. Il ignora les regards assassins de l'équipage et pénétra fièrement dans la cabine du capitaine, un homme d'âge mûr et d'imposante carrure.
— Capitaine, commença Hongjoong.
— J'imagine que vous allez pouvoir m'expliquer la disparition de ce navire de commerce que nous attendions avec impatience. Et cette grotesque mascarade de costumes iloéens.
— Oui, camarade.
— Ne m'adressez pas ainsi la parole. Je n'ai rien à voir avec les pirates.
Hongjoong ne se laissa pas démonter. Ils n'étaient pas ennemis et Hongjoong en avait la preuve.
— Comme vous, je suis issu d'une école militaire d'Atride, et comme vous, j'ai sous ma responsabilité un certain nombre d'hommes, dont je me dois d'assurer la sécurité, rétorqua Hongjoong.
Le capitaine écarta l'argument d'un geste de la main mais ne l'interrompit pas.
— C'est pour cette raison que j'ai conclu un accord avec le capitaine Abernott, de Atria. Voici le document.
Le vieux capitaine plissa les yeux et un sourire dédaigneux creusa les rides profondes de son visage, marqué par de longues années de vie maritime. Il éclata d'un grand rire gras qui secoua ses épaules musclées et fit frissonner Hongjoong.
— Ah, ces pirates ! Ils ne savent plus quoi inventer ! Cela fait longtemps que je n'avais pas autant ri. Le capitaine Abernott ne ferait jamais paire avec des pirates. Allez, je vous laisse partir. Ce culot de me dire ça ! C'est votre échappatoire !
— Je vous assure que ce document est vrai, Capitaine, s'exclama Hongjoong, désemparé.
Le capitaine passa un bras autour des épaules de Hongjoong et le guida vers la sortie. Le geste avait l'air amical, mais la poigne retenant son épaule était trop puissante pour ne pas être clairement menaçante. Une fois devant l'échelle de corde, il lui tendit la main et Hongjoong la serra.
— Sachez que même si ce document était vrai, chuchota le capitaine en le tirant vers lui, Abernott n'est important qu'à Atria, il n'a aucune autorité à l'extérieur de la capitale. Vous devez savoir que les Provinces ont chacune leur gouvernement et leur système judiciaire, si vous venez de là-bas, dit-il d'un air suspicieux. Ne vous avisez pas de réapparaitre devant moi, je n'oublie jamais une insulte faite à mon pays, la Province de l'Est. Je ne serai pas si clément.
Hongjoong hocha la tête avec dignité, et rejoignit rapidement son navire. Mingi serait ravi de lui faire une leçon de morale, et pour une fois, le capitaine ne se défendrait pas. Il l'avait mérité.
— On met les voiles, vite, ordonna-t-il à Mingi en se dirigeant vers le gouvernail. Avant que le vieux fou ne change d'avis.
Le vent se leva soudainement.
Alors que le navire sortait de la zone de tir de l'ennemi, deux grosses déflagrations retentirent. Un boulet de canon atterrit dans l'eau, à quelques mètres de la coque, comme un avertissement. Un deuxième, sans la traverser, troua la coque juste au-dessus de la ligne de flottaison.
Ils auraient pu s'en sortir, avec un navire en bon état.
Le boulet n'avait presque que frôlé la coque.
Mais leur navire n'était pas en bon état, et divers organismes avaient commencés à le fragiliser.
Tout se passa très vite. Quelques marins sautèrent à l'eau tandis que la coque complète craquait et se brisait. Les cordages retenant les mâts se relâchèrent, les voiles emprisonnèrent les pirates dans leur chute, leur poids les entraînant vers le fond.
Hongjoong se tenait immobile, trop stupéfait pour bouger.
Son bateau. Coulé. Ce n'était pas ainsi qu'il avait imaginé sa mort. Il avait cru... Peu importait ce qu'il avait cru, après tout. Maintenant, il devait faire face à la réalité. Il était las. Les derniers mois avaient été une torture. Il avait réussi à sauver son équipage une fois déjà, avec ce contrat. Mais l'angoisse, la peur d'avoir été piégé... Il n'en pouvait plus. Et dans un élan étrangement affectueux envers ce navire moisi et mal entretenu par des gens en lesquels il devait une confiance aveugle, il décida de ne pas le quitter.
Comme si le temps avait ralenti, il sentit pencher le morceau de pont sur lequel il était, en miroir avec la deuxième moitié. Un tonneau le faucha derrière les jambes et, tombant sur le côté, sa tête heurta violemment le bois. Il perdit connaissance.
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Ce travail est aussi disponible, sous le même nom, sur mon compte AO3. J'en suis l'unique auteure.
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