Chapitre 23, ou comment empêcher un attentat [Corrigé]
Il avait sorti son arme et son visage s'était durci. Là, maintenant, je le sentais prêt à tirer une balle dans la tête de ma meilleure amie pour l'empêcher d'exploser.
— Non ! criai-je en me retournant vers les gardes. Non ! Ce n'est pas une terroriste ! Faites-moi entrer.
— Hors de question, trancha Evan. Il faut s'en aller, elle va tout faire exploser !
— Personne ne peut entrer, ajouta un homme. Ils ne sont pas passés en décontamination.
Je glissai une main tremblante dans mes cheveux. Non, ça ne pouvait pas être possible. Millie n'était pas une terroriste, et pour cause : c'était la directrice qui voulait faire une tuerie de masse, pas les rebelles ! Je levai des yeux implorants vers Evan.
— Fais-moi entrer, le suppliai-je. Je... je sais ce que je fais. Je dois l'aider, Evan.
Sa mâchoire se contracta tandis qu'il réfléchissait. Ça comportait des risques, la bombe pouvant exploser à tout moment et tout décimer sur son passage. Mais jamais je n'allais partir et laisser Millie mourir. Et j'étais presque sûre que Evan, dans sa qualité de garde, voudrait tout faire pour empêcher cette bombe d'exploser. Il hocha la tête.
—Ok, mais à deux conditions. Je viens avec toi. Et si je te l'ordonne, tu sors immédiatement. Compris ?
J'acquiesçai rapidement, consciente du peu de temps que nous avions. Il alla échanger quelques mots avec les derniers gardes sur place et dut se montrer convaincant puisque, bientôt, une porte s'ouvrit. Je m'y précipitai et Evan me suivit au pas de course.
— Personne ne peut sortir avant d'avoir été décontaminé et personne ne sera décontaminé avant que la menace ne soit éradiquée. Tu comprends ce que ça veut dire ?
Je hochai la tête, plus inquiète pour la sécurité de Millie que la mienne, et traversai les différents sas jusqu'à la dernière porte. Les paroles d'Evan étaient claires : soit nous arrivions à arranger la situation, soit nous mourrions là-dedans avec les autres. La porte devant nous s'ouvrit, juste assez pour nous faire passer et se referma aussitôt. Nous y étions. L'ambiance était toute autre ici. Les gens se jetèrent sur nous et hurlèrent de les laisser sortir, se serrant les uns contre les autres le plus loin possible de Millie. Tandis qu'Evan tentait de les calmer, je me dirigeai vers ma meilleure amie.
Elle ne m'avait jamais semblé aussi fragile qu'à cet instant. Toute sa peur, son incompréhension et sa détresse se lisaient sur son visage. Quand elle me vit, elle éclata en sanglots.
— Cyanna ! À... aide-moi...
Elle fit un pas vers moi, et je sursautai.
— Ne bouge pas !
J'ignorai comment fonctionnait cette bombe. En fait, j'ignorais tout des bombes. Mais si elle réagissait au mouvement, autant éviter l'explosion. Millie s'immobilisa, tremblante, et je m'approchai lentement d'elle. J'essayais de cacher ma terreur derrière un masque rassurant. Si elle pensait que je maitrisais la situation, au moins se calmerait-elle. J'observais le dispositif sur son ventre. Les bâtons étaient collés contre son corps par du ruban adhésif grossier et étaient reliés par de nombreux fis de couleurs à un boitier qui affichait en chiffres rouges [4 h 57]. Cinq minutes pour sauver une trentaine de vies... voire des centaines si la bombe était assez puissante pour décimer les serres et une partie de l'étage. Et parmi ces vies se trouvaient celle de Millie, d'Evan et la mienne. Je soufflai un bon coup, m'efforçant de garder mon calme.
Je relevai les yeux vers le visage de mon amie, figée par la terreur. Je me devais d'être sûre.
— C'est toi qui as fait ça, Millie ?
— Non... non, bien sûr que non ! S'exclama-t-elle d'un ton hystérique sans cesser de pleurer. Des types... ils m'ont attrapée à la sortie des serres... ils m'ont collé ça dessus... Cyanna, je ne veux pas mourir !
Je lui adressai un sourire tremblant que j'espérais rassurant, mais qui devais juste montrer mon angoisse. En regardant autour de moi, je compris soudainement le plan de la directrice. Plutôt ingénieux, bien qu'inhumain. Elle tentait de masquer l'attentat par un autre, mais cette fois en mettant au premier plan une fille des bas étages plutôt qu'une Platine. A la place de la terreur que ressentiraient les nobles, ils verraient simplement un attentat comme les autres et la directrice serait sauvée. Mais voilà, j'étais bien décidée à contrecarrer son plan.
— Ne bouge surtout pas, intimai-je à Millie qui, de toute façon, étais figée comme une statue. Reste calme. On va t'aider, OK ?
Je relevai la tête et appelai Evan. Il approcha aussitôt, s'arrachant de la foule de gens qui l'imploraient de sortir. Son regard alla du visage terrifié de Millie jusqu'à la bombe sur son torse et un éclat de panique perça dans ses yeux.
— Tu t'y connais dans ces trucs-là ? Le pressai-je. Tu saurais la désamorcer ?
— Cyanna... dit-il prudemment. C'est une terroriste, tu...
— Evan ! le coupai-je. Contente-toi de répondre à la question.
— On a eu des cours là-dessus. Laisse-moi regarder.
Je me décalai pour lui laisser accès à la bombe. Mon cœur battait à toute vitesse dans ma poitrine mais ce n'était visiblement rien par rapport à l'état de Millie. Elle semblait au bord du malaise. Je tapai anxieusement du pied par terre. Evan me fit signe de regarder et me désigna deux fils reliant le boitier aux charges explosives.
— Il faut couper ces fils.
— T'es sûr ? demandai-je en fronçant les sourcils.
— Oui, affirma-t-il l'air si sûr de lui que je n'eus aucun doute. Le courant électrique passera par-là vers les charges. Si tu les coupes, il n'y aura pas de courant et donc pas d'explosion.
J'acquiesçai. Je lui faisais suffisamment confiance pour le croire sur parole. Je sortis le couteau de ma poche — me bénissant de l'avoir emmené – et jetai un regard vers Millie.
— Surtout pas de gestes brusques. On va t'enlever ça.
Sans attendre sa réponse, je glissai le couteau sous les deux fils noirs indiqués par Evan. Il confirma d'un mouvement de tête. M'arrêtant une seconde de respirer, je tranchai les fils d'un coup sec. Je m'immobilisai, guettant tout signe avant-coureur d'une explosion. Mais rien ne se passa. Le boitier se stoppa sur 1:32, grésilla et, enfin, s'éteignit. Il y eut un long silence, où personne ne bougea. Evan fut le premier à se relever et s'éclaircit la gorge pour se faire entendre de tous :
— C'est bon, on est hors de danger.
Millie éclata à nouveau en sanglots, de soulagement cette fois. Les mains encore tremblantes, je la pris dans mes bras, sentant un poids s'enlever de ma poitrine. Elle était saine et sauf. La jeune fille s'effondra sur moi, encore en état de choc et je la serrai contre moi.
Derrière nous, les travailleurs commençaient seulement à se calmer et, alors qu'Evan fit signe aux soldats de l'autre côté, les portes s'ouvrirent. La foule se précipita à l'extérieur, désireux de prendre leur douche et quitter cet endroit pour de bon. Je m'éloignai doucement de Millie, profitant du calme retrouvé et du soulagement qui s'emparait de moi. Millie sécha ses larmes et se débarrassa de la bombe en tremblant, avant de nous dévisager tout à tour.
— Merci... à tous les deux. Je ne sais pas ce qu'il se serait passé si... si...
— Tout va bien, la rassurai-je en lui serrant la main. On était là et c'est tout ce qui compte.
Evan avait toujours les sourcils froncés et dévisageait Millie avec septicité. Celle-ci, qui savait du peu d'Evan ce que je lui en avais dit, à savoir qu'il était un garde et que je vivais avec lui, comprit ce qui le perturbait et se défendit d'une petite voix :
— Je ne suis pas une terroriste ! Je... je ne veux pas mourir... J'ai été piégée !
— Par qui ? interrogea le jeune homme d'une voix un peu trop brusque.
— J'en sais rien... toujours au bord des larmes, elle enchaina : Ils étaient deux ou trois... des hommes habillés en noir. Ils avaient des armes et m'ont forcée à ne pas bouger pendant qu'ils... m'attachaient une bombe dessus.
Je serrai les poings, consciente de l'horreur de la situation qu'elle avait du vivre. Maintenant que la peur avait disparu, une colère sourde prit la place. Comment la directrice avait-elle osé faire ça à une innocente ?! Tous ces gens qu'elle allait tuer, simplement pour conserver sa position ? C'était inhumain.
— On peut sortir ... ? murmura Millie.
Evan et moi acquiesçâmes en cœur et nous allâmes prendre des douches dans des cabines séparées. Je fus la première à sortir, vêtue d'une combinaison grise informe, et me retrouvai au milieu d'une foule en ébullition. Les travailleurs qui étaient dans les serres étaient tous interrogés séparément pas les gardes, questionnés sur ce qu'il s'était passé et leurs potentiels lien avec des terroristes, puis libérés sans la moindre douceur. Alors que des gardes s'approchaient de moi, Evan leur barra la route et ils firent demi-tour. Apparemment, le mot avait été passé de ne pas se mettre en travers de sa route. Je me tournai vers lui, inquiète de la suite et prête à l'implorer pour qu'il aide Millie à sortir d'ici sans avoir d'ennuis. Mais il me devança :
— Je vais m'occuper de la garde. Récupère Millie et va la mettre en sureté. Les terroristes qui ont voulu lui coller un attentat sur le dos n'en ont peut-être pas fini avec elle.
J'avais envie de lui crier qu'il se trompait et que les terroristes n'avaient rien à voir avec ça. La ministre de l'Education me l'avait expliqué clairement : ce n'était qu'un coup de plus pour cacher l'étendue de la cause rebelle jusqu'aux étages supérieurs. Mais Evan ne savait rien de tout ça et pour cause : il n'était malgré tout qu'un soldat. Je posai une main sur son bras.
— Merci. Je te retrouve là-haut dès que je peux.
— Fais attention à toi, d'accord ?
—Toi aussi.
Il posa sa main sur la mienne, me lança un long regard qui exprimait beaucoup plus d'inquiétude et d'affection qu'il ne le montrait, puis se détourna et alla à l'encontre des gardes. En regardant derrière, je vis que Millie était là et qu'elle n'avait rien loupé de notre discussion. Le visage rougis et les yeux encore mouillés, elle était dans un sale état mais, au moins, vivante. Elle m'adressa un sourire tremblant.
— Il a l'air de beaucoup tenir à toi... pour un simple colocataire.
Je roulai des yeux. Comme à mon père, je lui avais servis le discours de la simple cohabitation avec Evan. Mais depuis la semaine dernière, les choses avaient sacrément changé. Je l'attrapai par le bras en la tirant à travers la pièce.
— Moque-toi mais en attendant, tu n'auras pas d'ennuis grâce à lui. Viens, on se tire.
Elle ne répondit rien, apparemment pas certaine de réussir à éviter tous les problèmes. Mais Evan devait avoir bien fait son boulot puisque, alors que nous slalomions entre les gens, aucun garde n'essaya de nous intercepter. Une fois de retour dans le couloir principal, je pris la direction inverse des ascenseurs et, devant son regard interrogateur, j'expliquai à mi-voix :
— Je ne sais pas comment le gouvernement va réagir, lui expliquai-je, mais je crois que tu n'es plus en sécurité. Tu vas te cacher chez mes parents quelque temps, histoire que les choses se tassent. Ce serait trop dangereux que je t'emmène chez moi mais je passerai régulièrement pour m'assurer que tout va bien. Il est bien sûr hors de question que tu retournes aux serres, j'espère qu'on est d'accord ?
Elle hocha vivement la tête : elle n'avait visiblement aucune envie d'y remettre les pieds. Elle semblait rassurée de savoir que je ne la laissais pas à nouveau tomber et qu'elle allait retrouver, à défaut du confort, au moins la sécurité et la chaleur de ma famille. Je traversai ces couloirs si familiers et pourtant devenus si étrangers, puis m'arrêtai devant la porte de mon ancien appartement. J'hésitai une seconde, puis frappai. Je n'attendis pas d'accord et entrai immédiatement, peu désireuse que les gens voient Millie ici. Je fermai la porte derrière nous.
— Maman ? appelai-je.
— Cyanna... ?
Je tournai sur moi-même. Ce n'était pas ma mère, mais mon petit frère qui m'avait répondu. Sur le pas de la porte de sa chambre, il me regardait avec de grands yeux innocents et candides. Je m'accroupis, mon cœur explosant de bonheur en le voyant. Bon dieu ce qu'ils me manquaient, tous ces gosses.
— Salut, bonhomme. Viens.
J'ouvris les bras et il s'y précipita pour me faire un câlin. Je vérifiai d'un rapide coup d'œil qu'il avait l'air en bon santé puis déposai un baiser sur son front.
— Tu sais où est maman ?
— Elle travaille, répondit-il sans me lâcher des yeux. Je suis tout seul.
— Regarde, Millie va rester pour te tenir compagnie.
Ses yeux perdirent leur tristesse et il eut un large sourire devant l'idée d'avoir un peu de compagnies. Il indiqua qu'il allait chercher ses jouets préférées -soit le peu qu'il avait- et je pris Millie par la main. A mi-voix, je lui expliquai ce que je savais de ce qui s'était passé dans les serres : que la directrice avait voulu masquer le premier attentat qui avait eu lieu par un deuxième, et que Millie avait été au mauvais endroit au mauvais moment. Elle m'écouta attentivement, le visage horrifié et sans doute toujours obnubilée par ce qui aurait pu arriver.
Tiago revint, trainant derrière lui son ours en peluche mutilé et quelques vieux jouets en plastique. Je me tus, ne voulant pas qu'il entende cette discussion, et me rendis dans le salon avec lui et Millie. Là, je restai quelques minutes à jouer avec eux, profitant de ces instants de calme et de bonheur, avant de me lever à contre-cœur.
— Je dois y aller, sinon je vais avoir des ennuis. Millie, fais comme chez toi, d'accord ? Mais ne sors pas d'ici. Quand ma mère sera de retour, explique-lui ce qu'il s'est passé. Je suis sure qu'elle te dira de rester ici, elle t'adore. J'essayerais... de revenir bientôt, ça va aller ?
Millie inspira une goulée d'air, puis acquiesça. Elle me remercia et me serra dans ses bras, avant de retourner s'occuper de mon frère. Je déposai un dernier baiser sur le front de celui-ci et quittai l'appartement avant de changer d'avis, gagnée par la nostalgie du temps où je vivais ici. Je pris l'ascenseur jusqu'à l'étage le plus haut et allai en direction de mon appartement. J'allais devoir rendre des comptes à la directrice, mais, d'abord, il fallait que je voie Evan pour me mettre d'accord avec lui sur notre version des faits.
J'arrivai devant chez moi et entrai. Aussitôt, je me figeai.
Evan était là, assis sur le lit, discutant avec une jeune femme. Il ne me fallut pas plus d'une seconde pour reconnaitre ses cheveux noirs si identiques aux miens -mais plus longs- son visage soigné, ses yeux en amande et ses vêtements élégants. La première chose que je ressentis fut un éclat de joie, vite dissipée par une colère sourde et amère.
Alors que je pénétrai dans la pièce, ils levèrent tous deux la tête vers moi et la femme sauta sur ses pieds. Elle avança avec un grand sourire.
— Cyanna ! Je suis si heureuse de...
— Sors de chez moi.
Je ne lui adressai pas un seul regard et passai devant elle jusqu'au centre de la pièce. Evan balaya la scène des yeux, l'air surpris de ma réaction. Ma sœur se tourna vers moi, les lèvres pincées et visiblement attristée. Ma sœur, ma grande sœur... Cela faisait des années que j'aurais tant voulu lui parler. Je l'adorais étant petite, autant que deux sœurs pouvaient s'adorer.
— Cyanna, je sais que tu dois être un peu surprise... essaya-t-elle d'une voix douce.
— Surprise ? m'exclamai-je en me mettant face à elle, ma voix vibrante de colère. Je serais surprise en voyant une inconnue dans ma chambre, oui. Mais le sentiment que je ressens en voyant ma sœur qui m'a abandonné depuis des années, qui ne s'est pas souciée du sort de notre famille plus que de son dernier repas, qui nous a depuis des années complètement rayée de sa vie et qui, maintenant que je suis en Or, s'est subitement rappelé de mon existence ? Non, ça ce n'est pas de la surprise, Leyla, c'est de la colère. Sors de chez moi.
Je me tournai vers Evan, les poings sur les hanches, et le fusillai du regard. Bien qu'il soit innocente dans cette affaire, je lui en voulais d'avoir causé ça.
— C'est toi qui l'as fait entrer ?
— Oui. Mais c'est ta sœur, je pensais que...
— C'était ma sœur, le corrigeai-je d'une voix dure.
Leyla se trémoussa sur ses pieds, ne sachant de toute évidence pas quoi faire. J'avais pourtant été assez claire, non ? Les larmes aux yeux, elle sembla accepter ma décision et fit un pas vers la porte sans me quitter des yeux.
— Toi et ton caractère... soupira-t-elle. Ecoute, je vais y aller, je voulais juste te dire... Je sais que j'ai été une sœur merdique, d'accord ? C'est juste que... tu sais ce que ça fait, maintenant. Ne plus vivre dans la misère, ne plus devoir voler pour se nourrir... Et puis ici, la vie va tellement vite ! J'ai voulu revenir vous voir, mais... je ne voulais plus me plonger là-dedans. Pour la première fois, je pouvais vivre ma vie. Je le regrette, mais... je suis heureuse maintenant. Si j'étais revenue, j'aurais laissé passer toutes vos vies en priorité de la mienne... en priorité de mon bonheur. Je n'ai pas pu...
— Mais c'est à ça que sert une famille, observai-je avec tristesse. À faire passer les autres en priorité. À s'aider, se soutenir et s'aimer.
Je croisai les bras sur mon torse pour en cacher le tremblement qui les parcourait. J'étais plus émue par cette visite que je ne voulais bien l'admettre, partagée en deux par la joie de revoir enfin ma sœur, et la colère de toutes ces années passées sous le silence. Evan s'éclipsa discrètement dans la cuisine, voulant sans doute nous laisser un peu d'intimité. Leyla approcha un peu de moi et je remarquai pour la première fois qu'elle avait vieilli, qu'elle n'était plus la jeune fille que j'avais connu mais une vraie femme. Elle tendit la main vers moi mais, devant mon regard noir, renonça.
— Une famille ne doit pas t'empêcher de vivre, souffla-t-elle. Je sais que tu ferais tout pour eux. Mais demande-toi... ce que tu pourrais faire pour toi-même, pour changer. Tu sais qu'il est dangereux ici de trop ressasser notre passé... tu ne peux pas te mettre constamment en danger pour eux, Cyanna. Enfin, je ne vais pas plus te déranger. Je voulais juste que tu saches que je suis fière de la personne que tu es devenue. Et aussi que... j'attends un bébé.
Je me figeai, abasourdie, et une partie de ma colère sembla aussitôt s'évaporer. Je fis des yeux ronds et observai son ventre. Légèrement arrondi, il tirait sur le tissu de sa robe noire. Elle posa les mains dessus avec un léger sourire et je ne restai immobile, ne sachant comment réagir à cette nouvelle.
— Tu es enceinte ? Finis-je par murmurer.
— Oui, sourit-elle en passant une main sur son ventre. C'est... c'est un garçon. Je vais l'appeler Jamie. Pour notre frère.
Je fus incapable de prononcer le moindre mot, les larmes me montant aux yeux. Ma grande sœur allait avoir un enfant ? J'avais du mal à assimiler la nouvelle. Leyla me fit un sourire ému, puis tourna les talons et s'en alla. Je restai là un moment à regarder la porte fermée, encore plus partagée sur ce que je ressentais qu'au début de notre entrevue. La colère et la tristesse se partageaient à la joie et l'émotion. Serais-je capable de pardonner un jour à Leyla ? Peut-être, oui. Elle restait malgré tout ma sœur.
Je sentis Evan approcher dans mon dos.
— Tu vas être tata, sourit-il.
J'acquiesçai en silence, émue par cette visite. Je soupirai. Ça avait encore été une journée forte en émotions. Evan enroula un bras autour de mes épaules. Il resta là un moment en silence, avant de murmurer contre mon oreille.
— Il faut que je te dise quelque chose. Cette bombe, utilisée dans les serres sur ton amie... Je connais les explosifs qu'utilisent les terroristes et ça... ça n'en était pas. Ce n'était pas eux, Cyanna.
Je retins mon souffle. De là à dire qu'il s'agissait d'un coup du gouvernement, il n'y avait qu'un pas. Mais il ne le franchit pas et resta silencieux, perdu dans ses pensées. J'hésitai une seconde à tout lui avouer mais, encore une fois, je renonçai. Il en restait un garde, il était du mauvais côté dans cette histoire.
— Bon... reprit-il en secouant la tête comme pour chasser ses idées. Prête à aller affronter la directrice ?
Je me retournai vers lui. Si j'étais prête ? Et comment ! J'avais réussi à faire échouer son plan sans presque rien faire d'illégal. Au contraire, si elle voulait rester cohérente, elle devrait même me féliciter pour avoir réussi à déjouer un attentat des rebelles. Je souris
— Prête.
Ce fut moins compliqué que je ne le pensais. Bien sûr, elle nous passa un savon pour être descendue sans protection et pour avoir été impliquée dans un attentat en risquant nos vies. Nous nous défendîmes en disant avoir sauvé des tas de gens et déjoué un attentat rebelle. Elle semblait contrariée, ce qui me réjouissait. Ça lui apprendrait, à vouloir faire taire les rumeurs ! Ce fut une discussion avec de nombreux non-dits. La directrice avait organisé l'attentat, je savais qu'elle l'avait fait et je commençais à me demander si elle ne savait pas que je le savais. Evan, lui, avait l'air de ne rien savoir à rien. Nous nous affrontâmes du regard tandis que l'homme, entre nous, ne semblait pas le remarquer.
Plus tard, je regretterai amèrement d'avoir sous-estimé Evan en croyant qu'il ne savait rien. Si je me doutais qu'il en connaissait en réalité bien plus que la directrice et moi réunies, les choses auraient pu être très différentes. La fin aurait pu être différente... Mais il fallait bien avouer une chose à propos d'Evan : il jouait très bien les innocents.
Je passais la fin de ma journée à taper dans des sacs sans jamais m'épuiser et, le lendemain, je descendis en cachette donner de la nourriture et un peu d'argent à ma famille et Mille. Quand le lundi arriva, ma première pensée fut d'aller voir la ministre de l'Éducation pour l'obliger à mener immédiatement l'opération de sauvetage de mes sœurs.
Je déboulai dans sa salle de classe en avant de Flore et Rob et... m'arrêtai. Une femme était là, mais ce n'était assurément pas la ministre de l'Éducation. Elle avait un aspect strict, un visage ridé, des cheveux grisonnants et un menton pointu. Je crus être tombée tête à tête avec une méchante sorcière des contes de fées. Je la dévisageai.
— Où est la ministre ?
— La politesse ! aboya la femme en me pointant avec une règle. En entrant dans une pièce, on dit bonjour !
J'écarquillai les yeux de stupeur. C'était quoi, ça ? Rob et Millie arrivèrent derrière moi et s'immobilisèrent.
— Bonjour, répétai-je en roulant des yeux. Où est la ministre ?
— Meredith n'est plus ministre. Elle a pris, disons... des congés arrangés avec la directrice. Désormais, je m'occupe de vos cours. Assis ! Trois tables différentes. Je ne serai pas aussi laxiste qu'elle sur des pratiques intolérables.
Je grimaçai. Je savais ce que signifiaient des « congés arrangés Meredith m'avait dit que le gouvernement avait des doutes sur sa loyauté... apparemment, ils avaient été balayés. Mon cœur loupa un battement. Bien que je n'éprouvais que peu d'affection pour l'ancienne ministre, elle avait été ma seule alliée ici. Et maintenant, je me retrouvais à nouveau seule au milieu d'ennemis. Il allait falloir que je sois prudente si je ne voulais pas finir comme elle. J'adressai un sourire poli à ma nouvelle prof.
— Bien sûr.
Tout me poussait à me dire qu'il fallait que je me tienne à carreau. Entre les rebelles, les mises en garde de la directrice et mon agression... pourquoi encore faire la forte tête ? Mes lèvres frémirent. Parce que j'étais Cyanna. Tous ceux qui essayaient de m'affaiblir ne faisaient que me rendre plus forte. Je n'allais pas faire ce qu'attendaient de moi les rebelles ou la directrice, parce que j'étais Cyanna. Et que je voulais détruire.
...
Qu'avez-vous pensé de ce chapitre ?
Les aventures de Millie ? Le retour de la sœur de Cyanna ? La disparition de la ministre de l'éducation ? 🙄
Biz !
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