Chapitre 21, ou comment y survivre [Corrigé]
Je n'ai jamais connu la douleur.
Voilà la première pensée à me venir en tête en émergeant de mon état second. Avant, je n'avais jamais connu la douleur, comme l'humiliation, la souffrance, la détresse... la haine.
Non, je n'avais jamais connu la haine.
Je prenais cette légère colère qui naissait parfois en moi pour de la haine. Je me trompais. La haine... la haine est un sentiment bien plus puissant que ça. C'est quelque chose qui vient du plus profond de tes entrailles, qui envahit ton corps et ton esprit sans condition, qui brûle dans ton cœur et dans tes yeux, un sentiment si fort qu'il peut te détruire ou bien... tout détruire autour de toi.
Un sentiment capable de transformer n'importe quel être en machine destructrice. Alors que j'immergeai des limbes de l'inconscience, que je n'avais ni pleinement conscience de ce qui c'était passé la veille, ni de mon environnement actuel et encore moins de mon état physique, je ne sentais que ça. La haine. Plus fort que tout. Je voulais détruire.
Peu à peu, mes sens revinrent à moi par sursauts. Mon odorat fut le premier, laissant passer une douce odeur citronnée mélangée à celle, lointaine et métallique, du sang. Mon ouï suivit et j'entendis, perçant le silence de plomb, une respiration tranquille. Puis je perçus les draps délicats qui m'entouraient, les bandages qui compressaient mon corps, la douleur sourde qui vrillait chaque parcelle de mon être et, plus que tout, le bras qui reposait nonchalamment sur mes hanches. J'ouvris les yeux en grand et ma respiration se bloqua. Pas. Encore.
Je me redressai en sursaut, préparant ma plus douloureuse prise de catch. Seulement, tout ce que réussis à faire mon corps meurtri fut de sauter hors de lit. Je criai et m'effondrai à terre, le souffle coupé. L'homme sur le lit se réveilla d'un bond, jeta un regard inquiet autour de lui et se précipita vers moi en m'apercevant. J'hurlais de plus belle en reculant sur mes fesses, la vision entrecoupée par les souvenirs de la veille.
— Cyanna, murmura l'homme en s'accroupissant devant moi. Tout va bien. C'est moi, Evan.
— Ne m'approche pas ! hurlai-je en voyant sa main avancer vers moi, d'une voix bien trop aigue pour être menaçante.
Je me reculai à nouveau, les yeux figés sur sa main tendue. Faisait-elle partie de celles qui m'avaient touchées hier ? Est-ce que ces poings m'avaient cogné ? Est-ce que ce corps avait été étendu contre le mien ? Je tendis un doigt menaçant devant lui, les yeux brouillés par les larmes.
— Ne... m'approche... pas... répétai-je.
— C'est fini, Cyanna. Tout est fini. Tu es en sécurité ici, je te le promets.
Ses mots finirent par se frayer un chemin à travers le brouillard de mon esprit. « C'est fini »... ça l'était ? Je baissai les yeux et m'aperçus du tremblement qui agitait mes mains, de plus en plus violemment. Alors, sans prévenir, j'éclatai en sanglots. Tout lâcha, toutes mes barrières et mes retenues. Je me repliai sur moi-même, la tête entre les mains, tout le corps tremblant. Je me sentais sale, si sale ! Je revécus la scène de la veille par des souvenirs vifs que me firent mal comme autant de coups et j'eus l'impression de sentir à nouveau toutes ces mains sur moi, ces corps en moi et ces rires gras qui résonnaient sans fin. Je geignis de douleur. Evan posa une main hésitante sur mon bras.
— Ne me touche pas ! aboyai-je.
Il la retira aussitôt. J'essayai de reprendre ma respiration entre mes sanglots, mais les larmes et la douleur m'aveuglèrent et m'étouffèrent. Je relevai brusquement la tête en m'apercevant qu'aucun air ne pénétrait plus dans mes poumons. La panique, la douleur, la haine, tous ces sentiments m'envahirent et je serrai les mains sur mon ventre en tenant de retrouver ma respiration. En vain. Je pris de longues inspirations inutiles, qui ne servirent qu'à m'effrayer un peu plus. Evan réapparut en face de moi, le visage déformé par l'inquiétude. Il m'agrippa les épaules.
— Respire, Cyanna. Respire. C'est fini, d'accord ? Je suis là. Je te protège, Cyanna, je le jure alors, s'il te plaît, calme-toi et respire.
Je plantai mes yeux dans les siens et, face à son ton réconfortant et son regard inquiet, réussit à calmer mes larmes. Seulement, je n'arrivais à inspirer aucun air, comme si mes poumons étaient bloqués. En proie à une violente crise de panique, mon propre corps avait décidé de me lâcher. Evan aurait dû faire quelque chose de sensé. Me faire souffler dans un sac, me donner des exercices de respiration, appeler un médecin... Pourtant, il ne fit rien de tout ça. A la place il m'attira contre lui et me serra contre son torse. Et, plus que tout le reste, ce geste réussit à me calmer.
— C'est fini, murmura-t-il dans mon cou. C'est fini.
Je me laissai aller contre lui, contre son ventre nu et chaud, ses épaules larges, ses bras protecteurs. Un bol d'air frais remplit mes poumons brulants et j'en pleurai presque de soulagement. Je pris de longues inspirations tandis que les tremblements de mon corps diminuaient peu à peu, bercée dans les bras d'Evan. Au bout de quelques minutes ma respiration se ralentit, mes tremblements furent moins violents et mes larmes se tarirent. Je n'avais pourtant pas la force de bouger, trouvant étrangement qu'être assise par terre dans les bras d'Evan était la position la plus confortable possible. Balayés tous mes doutes à son sujet, mes problèmes de confiance et les non-dits. Il était là et, pour le moment, c'est tout ce dont j'avais besoin.
Je m'agrippai à son bras et relevai les yeux vers son visage.
— Je vais les détruire, murmurai-je d'une voix enraillée. Je te jure que je vais les détruire...
Je ne reconnaissais pas ma propre voix. En réalité, je ne me reconnaissais plus moi-même, si faible, si fragile. Qu'étais-je devenue ? Evan baissa la tête et passa une main délicate dans mes cheveux.
— Je sais, répondit-il d'un ton réconfortant.
J'acquiesçai faiblement puis reposai mon visage contre son torse et fermai à nouveau les yeux. Nous restâmes un moment ainsi jusqu'à que ma crise de panique soit calmée. Bientôt, mes tremblements furent remplacés par des frissons d'horreur, tandis que l'évidence me venait complètement à l'esprit. Mon propre corps, couvert par des habits larges d'Evan, me paraissait inconnu. Sale. Dégradé. Je n'en voulais plus, non, je voulais m'en libérer... mais c'était impossible.
Comme s'il comprenait ce que je ressentais, Evan m'emmena dans la salle de bain et me fit couler un bain. Dans un état second, je le laissai faire. J'avais l'impression d'être complètement détachée de mon corps, de cette situation et de cette réalité. Avec une extrême douceur, Evan me déshabilla et je ne fis même pas l'effort d'essayer de cacher mon corps. Un de plus ou un de moins, pensai-je avec une ironie morbide. Je croisai mon regard dans le miroir et me figeai. J'avais souvent été abimée par des combats, mais je n'avais jamais été aussi détruite.
Mon corps était recouvert de d'ecchymoses, de griffure et de sang séché. Un de mes yeux avait du mal à s'ouvrir, parcourut d'un bleu tournant sur le noir, mes cheveux étaient emmêlés et poisseux de sang tandis que ma lèvre supérieure avait doublée d'épaisseur. Si j'avais perdu toute notion du temps, j'imaginais vu mon état qu'il s'était passé de longues heures depuis mon agression. Je tournai sur moi-même, examinant mon corps meurtri avec une obsession malsaine, désireuse de voir l'étendue des dégâts.
Evan se plaça entre la glace et moi, posant une main chaude sur mon épaule. Il eut la décence de ne pas parcourir mon corps du regard et de ne pas s'arrêter sur mes blessures. Délicatement, il m'attira jusqu'à la baignoire, m'aida à y monter et à m'allonger. Je me laissai aller dans l'eau chaude en poussant un soupir de soulagement, ravie de pouvoir cacher mon corps ravagé à mes propres yeux et de laisser l'eau chaude le nettoyer.
Je fermai les yeux et posai ma tête en arrière contre le rebord de la baignoire. Je sentais la présence d'Evan à mes côtés et son regard inquiet sur moi. Il resta un moment silencieux, perdu dans ses pensée ou désireux de me laisser aux miennes, avant de toussoter.
— Ecoute, Cyanna... j'imagine à quel point c'est dur mais... j'ai besoin que tu me racontes. Je dois savoir ce qu'il s'est passé. Ensuite... ensuite tu pourras oublier tout ça.
Il n'avait jamais pris un tel ton avec moi. Si délicat, comme si le moindre mot de travers pouvait me briser. Et c'était d'ailleurs peut-être le cas. Etais-je devenue si fragile qu'on pouvait me détruire avec une parole ? Je rouvris les yeux, observant le bleu de mon bras sur lequel je faisais mécaniquement glisser mes doigts. Ce n'était pas ma première ecchymose. Jusqu'à aujourd'hui, chaque coup, chaque blessure m'avait appris à me relever et me battre encore et encore, toujours plus fort.
— Non, murmurai-je enfin en posant les yeux sur l'homme. Je ne veux pas oublier. Je veux me rappeler de tout... j'ai besoin de ça, tu comprends ? Je veux les détruire, j'ai besoin de cette colère.
Il eut une drôle d'expression en me regardant. Quelque chose entre la compassion et la pitié. Je détestais ça. Je détournai les yeux et entreprit de me laver les cheveux, repensant à quel moment tout avait dérapé hier.
— Le ministre des Atomes... murmurai-je.
— Quoi ?
Il fronça les sourcils, l'air de ne pas comprendre... ou de ne pas vouloir comprendre. Il se pencha vers moi :
— Le ministre des Atomes, répétai-je un peu plus fort. C'est lui qui... c'est à cause de lui que...
Ma voix se brisa et je baissai les yeux sur mes mains, évitant le regard d'Evan dans lequel passait un flot de colère et de stupéfaction. Il n'avait pas l'air d'être au courant. J'imagine qu'il était arrivé au cours de mon agression, sans doute avec quelques renforts. Et s'ils avaient mit une raclée à une partie de mes attaquants, d'autres avaient dû fuir. Je ne me doutais pas une seconde que le ministre avait été le premier à le faire.
Evan posa la main sur mon bras et je sursautai :
— Est-ce qu'il t'a... ?
Il ne finit pas sa phrase, craignant sans doute que prononcer le mot risquerait de me briser. Si j'en avais eu la force, j'aurais rigolé. Quand on était déjà cassée en mille morceaux, qu'est-ce qui pouvait arriver de pire ? J'étais déjà à terre, je ne pouvais pas tomber plus bas.
Je réfléchis à sa seconde. Est-ce que le ministre m'avait approché ? Est-ce qu'il m'était passé sur le corps ? Je secouai doucement la tête.
— Je... je ne crois pas. Mais c'est lui qui a tout organisé. Il m'a piégée.
— C'est une accusation très grave, Cyanna.
— Tu ne me crois pas ? lançai-je un peu trop fort.
Il m'adressa un regard doux et imprima des légers mouvements rassurants sur mon bras. Il resta un instant silencieux, perdu dans ses pensées, avant de se rendre compte que j'attendais une réponse.
— Si, bien sûr, me rassura-t-il. Seulement... je ne pensais pas que quelqu'un de haut gradé comme lui pouvait être dans un tel coup. Il va être difficile de trouver des preuves pour l'inculper.
— L'inculper... ? répétai-je avant de continuer d'un ton ferme. Ça n'arrivera pas. Si je parle, personne ne me croira. Je n'ai pas besoin de ta parodie de justice, Evan. Ils paieront, oui, parce que je les ferais payer... et lui le premier.
Il se tut, surpris par mon ton qui avait soudain retrouvé sa vivacité. J'ignorais pourquoi j'étais si ferme sur ce point : était-ce mon manque de foi en ce système ou mes envies de vengeance ? Probablement des deux. Evan hésita avant d'acquiescer, comprenant qu'il ne me ferait pas changer d'avis.
Nous restâmes un moment ainsi, immobiles et en silence, moi barbotant dans l'eau et lui perdu dans ses pensées. Finalement, il se leva et posa un regard grave sur moi.
— Il faut que tu ailles voir un médecin.
— Non, rétorquai-je aussitôt.
Depuis aussi loin que je m'en souvenais, j'avais toujours détesté les médecins. Quand j'étais enfant, ils étaient les seuls représentants que je voyais d'un certain pouvoir. Venant du 6ème ou 7ème étage, ils étaient presque tous vieux, aigris et avaient tendance à considérer les gosses des bas étages comme des moins que rien. Bien que je réalisais aujourd'hui que cette haine n'était basée sur rien d'autre que des préjugés d'enfants, je n'avais jamais réussi à m'en défaire. De plus, je n'avais aucune envie qu'on me voit dans cet état, médecin ou pas.
Evan soupira, comme s'il s'attendait à une telle réaction de ma part. Il passa une main dans ses cheveux et, un instant, je crus voir étinceler dans ses yeux la même lueur de haine que celle qui vivait en moi.
— Cyanna, insista-t-il. Si tu n'y vas pas pour tes blessures, fais-le au moins pour... pour ne pas tomber enceinte de ces enfoirés.
Sa voix vibrante et son ton sec me confirmèrent ce que je pensais : il était en colère. Je crus même deviner qu'il était dans une colère folle et qu'il essayer de se contenir auprès de moi. Il me fallut de longues secondes pour que ses paroles prennent leur sens et résonnent dans mon crâne comme une sentence. Tomber. Enceinte. Je me remis à trembler et ni l'eau chaude ni la main rassurante d'Evan ne réussirent à me calmer.
« Non, non, non... » gémis-je tandis que les mots grossissaient encore et prenaient de l'ampleur. Je passai mes mains dans mes cheveux trempés, le corps grelottant. Nous ne trouvions aucune contraception dans l'AND. Pourquoi, alors que nous voulions repeupler le genre humain ? Nous ne pouvions ni nous protéger ni avorter. Aucune exception possible... même un viol. Je connaissais trop de femme qui avaient eu des enfants suite à une agression pour ignorer ce risque. Je crois que je préférais mourir que d'être la prochaine.
— Hé, du calme, souffla Evan en me forçant à le regarder. Je connais quelqu'un qui pourra t'aider. Un médecin qui est habitué à ce genre de... demandes.
Je lu dans ses yeux qu'il était sûr de lui et, étrangement, je savais que je pouvais lui faire confiance là-dessus. Je me redressai en position assise, toujours atteinte de tremblements, et hochai la tête.
— Allons-y.
Il se leva et, alors que j'essayais de faire de même sans grande réussite, il vint m'aider. Avec une douceur et une patience auxquelles je n'étais pas habituée, il serra une serviette autour de moi et entreprit de me sécher. Dans un état second, je le laissai me ramener dans la chambre et m'habiller, me coiffer et masquer mon visage tuméfié. Alors qu'il m'enfilait mes chaussures, je l'interrompis en attrapant une de ses mains. Il s'arrêta, levant les yeux vers moi. Je tournai sa main entre mes doigts et remarquai ses phalanges rougies et abimées. Devant mon regard interrogateur, son visage se durcit.
— Je peux t'assurer que ceux qu'on a attrapé ont regretté de t'avoir touché. Mes gars sont partis à la recherche de ceux qui se sont enfuis.
Devant son expression, je compris qu'il ne s'était pas contenté de les assommer d'un coup de taser, mais qu'il s'était déchainé sur eux. Quelque part, j'en fus rassurée. Si je ne pouvais pas me venger sur eux, j'avais au moins la satisfaction de savoir qu'ils avaient souffert. Je remerciai Evan d'un sourire tremblant et, récupérant sa main, il finit de lacer mes chaussures. Il s'habilla à son tour avant de me guider dehors. Mes deux gardes étaient là, comme à leur habitude. Dire que j'avais été si contente de les avoir semés hier ! J'avais été si stupide... Avec eux, rien de cela ne serait arrivé.
Je m'appuyai à moitié sur Evan pour marcher, grimaçant à chaque pas. Un bras passé sur mes épaules et l'autre à ma taille, il me soutenait du mieux possible. Nous traversâmes plusieurs couloirs que je ne vis même pas, me laissant porter par Evan et agrippée à lui comme à une bouée de sauvetage. La douleur me faisait voir flou, ce qui n'était pas plus mal puisqu'elle m'empêchait de regarder les gens que nous croisions et me demander si chacun des hommes faisait partie de ceux qui m'avaient agressée.
Au bout d'un long supplice, Evan me fit entrer dans une pièce. Une femme était derrière un bureau, des lunettes sur le nez tandis que quelques personnes dans des fauteuils semblaient patienter. Evan me fit asseoir et je me laissai choir avec soulagement. Il se rendit jusqu'au bureau. La femme redressa ses lunettes et lui adressa un sourire professionnel.
— Bonjour, quel est votre problème ? Je vous mets sur la liste d'attente d'un de nos médecins.
Il me jeta un petit regard, vérifiant que je tenais le coup. Derrière lui, la femme fit de même et arqua un sourcil quant à mon état. Evan tapota du bout des doigts sur le bureau.
— Je veux voir le docteur Hutkins. Dîtes-lui que ma compagne à des fièvres nauséeuses, lança-t-il, puis, voyant que la femme ne bougeait pas, il rajouta : c'est urgent.
— Le docteur Hutkins est actuellement en consultation.
— Eh bien, dites-lui que c'est Evan Glover qui le demande.
Le ton autoritaire de mon compagnon fit réagir la femme, qui se leva et disparut derrière une porte. Evan revint près de moi et saisit ma main entre les siennes.
— « Fièvres nauséeuses », c'est un nom de code, murmura-t-il. Il va nous recevoir tout de suite. Tu peux te lever ?
J'acquiesçai et pris appui sur lui. Heureusement, il avait assez de force pour nous deux. Nous nous dirigeâmes vers le bureau. La femme réapparut et, semblant confuse, elle nous fit signe de la suivre derrière la porte. Elle nous guida à travers un autre couloir, puis jusqu'une porte, devant laquelle se trouvaient deux personnes. Un homme aux cheveux grisonnants et à l'allure impeccable congédiait une jeune fille chétive. Celle-ci s'en alla, nous lançant un regard noir en nous croisant, et le docteur nous fit signe d'entrer.
Il referma derrière nous. Nous étions dans un cabinet blanc classique et mon compagnon m'aida à m'asseoir devant un bureau. Le docteur s'approcha.
— Evan, j'espère ne pas t'avoir fait attendre.
Ils échangèrent une poignée de main et l'intéressé sourit en secouant la tête.
— Non, pas du tout. Désolé de venir en pleine journée, mais c'est une urgence.
Le docteur leva la main, l'air de dire que ça ne faisait rien, et porta son regard sur moi. Il fronça les sourcils et se rassit derrière son bureau. Evan s'installa à côté de moi et j'agrippai son bras. Sa présence m'aidait à me calmer. Le docteur remonta ses lunettes.
— Qu'est-ce que tu veux, Evan ? Pilules, consultation, opération ?
— Pilule, répondit celui-ci d'un ton assuré. On lui a transmis un violent rhume il y a quelques heures.
Le docteur hocha la tête. Je clignai plusieurs fois des yeux, perdue. Même les salles de consultation étaient sur écoute, pour que les deux hommes parlent en langage codé ? J'imaginai que oui. Le docteur se leva, alla fouiller dans une armoire, puis revint poser sur le bureau une petite pilule blanche. Il ramena un verre d'eau et se rassit :
— Avec ceci, votre rhume ne sera plus qu'un mauvais souvenir.
Evan, à côté de moi, hocha la tête avec un air rassurant. Avec un soulagement perceptible, je glissai la pilule sous ma langue et l'avalai avec une gorgée d'eau. Je reposai le verre, adressant un regard plein de gratitude au médecin. Alors même que la pilule contraceptive n'avait pas eu le temps de faire effet, je sentais mon corps libéré d'un poids. L'homme en blouse ne me quittait pas des yeux et jeta un rapide coup d'œil à Evan.
— Tu connais ma discrétion. Je ne pose pas de questions et rien ne sort de ce cabinet. Aussi... je crois que ton amie a besoin d'une consultation. Elle ne semble pas avoir que de la fièvre. J'ai une pommade encore expérimentale, mais très efficace pour ce genre de... problèmes.
Le jeune homme m'interrogea du regard et j'acquiesçai lentement. Vu mon état, j'étais prête à faire tout ce qu'il fallait. Le médecin lui remit un pot de pommade, lui indiqua d'en déposer sur mes blessures matin et soir jusqu'à ce que je ne ressente plus de douleur. Evan écoutait avec attention puis, les consignes données, m'aida à me lever pour rentrer. Je le vis donner quelques billets à l'homme, qui les glissa dans une poche de sa blouse avant de lui serrer la main. Nous sortîmes. Je me tenais toujours à moitié avachie sur mon compagnon, qui m'aidait à marcher sans se plaindre.
— Pourquoi tu fais tout ça ? murmurai-je en entrant dans notre appartement.
Il baissa la tête vers moi, le regard interrogateur.
— Tout ça quoi ?
— Tu m'aides, tu t'occupes de moi, tu me trouves une contraception illégale... pourquoi tous ces risques ?
Il ne répondit pas tout de suite. Il me fit m'allonger dans le lit, rabattit les couvertures sur mon corps et tout autour, puis s'assit au bord du matelas. Il me sourit doucement.
— Parce que tu ne mérites pas ce qu'il t'est arrivé, Cyanna, répondit-il d'un ton doux. Personne ne le mérite.
— Mais... protestai-je à voix basse. Tu le savais, tu as essayé de me prévenir... Peut-être que... que tu avais raison, que je l'ai cherché...
Le visage de l'homme se durcit. Il posa les deux mains sur mes joues, me regardant droit dans les yeux.
— Je t'interdis de penser ça, tu m'entends ? Peut-être... peut-être que tu as été un peu naïve et insouciante, mais ce n'est en aucun cas une raison pour te faire ce qu'ils ont fait. Ces types n'ont aucune excuse, Cyanna, pas la moindre. Tu es une victime, ne les laisse pas te faire passer pour coupable. Un viol n'a aucune excuse. Alors, oublie tout de suite cette idée et endors-toi. Tu as besoin de repos.
Ses paroles me rassurèrent comme seule celles d'Evan savaient le faire. Je me blottis contre lui, enfonçant mon visage dans la couette et, alors qu'il me caressait les cheveux, je m'endormis à nouveau.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro