Chapitre 20, ou comment vivre l'impensable [Corrigé]
Ses mains se promenèrent sur mon corps avec une passion encore plus vive, brûlant chaque parcelle de ma peau qu'elles touchaient. Je me noyai dans ses baisers, oubliant tout le reste, perdue dans cet instant de pur désir. Sa langue perça un chemin entre mes lèvres et je me laissai aller contre lui, glissant mes mains dans ses cheveux doux, m'imprégnant de son odeur citronnée, laissant les émotions me submerger. Je ne savais pas comment ni pourquoi, mais je ne voulais pas que ça s'arrête. Je voulais rester dans cet instant, avec lui, pour l'éternité.
Bordel.
Qu'est-ce qui était en train de se passer ?
Mon esprit n'arrivait plus à suivre mais mon corps savait très bien ce qu'il désirait.
Plus de proximité.
Plus de chaleur.
Plus de lui.
Sans interrompre le baiser, je grimpai à califourchon sur ses jambes et pressai mon torse contre le sien, le battement de nos cœurs rapides se synchronisant l'un à l'autre. Nos langues s'entrelaçaient avec une passion dévorante, m'envoyant des décharges électriques dans tout le corps. Je m'interrompis une seconde, le souffle court pour plonger mon regard dans le sien. Ses yeux bleus étaient extraordinaires vus d'aussi près, brillant d'une lueur verdâtre intense qui me donnait l'impression de me noyer dans un océan inconnu. Comme si, à travers son regard, je découvrais un Evan que je n'avais jamais connu auparavant.
Nos souffles entremêlés étaient aussi entrecoupés l'un que l'autre et je lu dans ses yeux qu'il ne comprenait pas plus ce qu'il se passait que moi. Pourtant, le désir qui émanait de son corps était palpable, faisant naître une chaleur intense au fond de mon cœur – et entre mes cuisses. La pause fut de courte durée, mais suffisante pour que je réalise à quel point j'avais besoin de lui, de ses lèvres, de ses mains et de son corps contre le mien. Cette fois, c'est lui qui vint à moi, sa bouche affamée fondant sur la mienne avec une délicatesse nouvelle. Il prit le temps d'effleurer ma peau et de gouter mes lèvres, envoyant une trainée de flammes brulantes à travers mon corps.
Et elles m'embrasèrent. Emportée par la passion, j'explorai chaque centimètre de son corps musclé sous le mien tandis que nos langues dansaient une valse sensuelle. Mais alors que ma main descendait plus bas, Evan l'intercepta en éloignant son visage du mien. Il cligna plusieurs fois des yeux, pas certain de ce qu'il était en train de faire et finit par secouer la tête comme s'il cherchait à se reprendre.
— Non... J'ai envie... j'ai envie qu'on y aille doucement. Qu'on prenne notre temps. Je ne veux rien gâcher.
Coupée dans mon élan, le souffle court, je m'immobilisai. Je réalisai que, pour lui comme pour moi, cela faisait beaucoup d'un coup. Aujourd'hui, aucun de nous n'était prêt à avouer quelques sortes de sentiments pour l'autre. Le baiser avait été intense et passionné, me laissant un gout sucré dans la bouche. Mais Evan avait raison, il fallait prendre notre temps et ne pas brusquer les choses. J'acquiesçai doucement, sentant un vide s'emparer de moi alors que nous nous éloignions l'un de l'autre. Nous étions dans une situation trop compliquée pour nous précipiter dans quelque chose de plus profond. C'était effrayant mais je savais que c'était la bonne décision.
— T'as raison, admis-je. On ferait bien de dormir.
Il hocha la tête, se glissa sous la couette et m'attira contre lui avec un geste naturel, comme si nous étions destinés à être ainsi, l'un contre l'autre. Je me blottis contre lui et là, enveloppée dans sa chaleur réconfortante et son odeur enivrante, je me sentis en sécurité pour la première fois depuis longtemps. Même si une voix intérieure me mettait en garde contre les conséquences de mes actions, je choisis de l'ignorer et me laissai sombrer dans le sommeil, vaincue par la fatigue de la journée et le flot d'émotions qui l'avait parcourue.
En me réveillant, la première chose que je perçus fut la douleur sourde qui tapait dans mon crâne et m'embrumait l'esprit. Il me fallut de longues minutes pour réussir à émerger du sommeil et d'autres encore avant de réaliser que le canapé était bien plus confortable que d'habitude. Pour cause : je n'étais pas dessus. Je me redressai en sursaut. J'étais au beau milieu du lit, emmêlée dans les draps doux et enveloppée de l'odeur citronnée d'Evan. Le drap glissa, découvrant ma poitrine nue et je poussai une exclamation. Où étaient passés mes habits ?
Il ne me restait que ma culotte. Plus perplexe que gênée, j'essayai de me concentrer et de retracer les évènements de la soirée. Le repas avec Evan, notre longue discussion au lit... et puis ses baisers, ses mains sur mon corps, sa chaleur contre moi... Je m'empourprai en y repensant, un léger sourire naissant sur mes lèvres. J'avais perdu le contrôle mais étrangement, je ne regrettai rien. Soudain, il y eut un raclement de gorge vers ma droite et je sursautai en me retournant.
— Evan !
Une chaleur naissant dans tout mon corps, je remontai vivement le drap sur ma poitrine en adressant un regard réprobateur au voyeur. Il était adossé contre la porte de la cuisine, une tasse de café dans les mains, ses yeux pétillants m'observant avec un mélange de malice et de désir. Il avait l'air de se régaler du spectacle.
— Bonjour, Cyanna. Bien dormi ?
— Je... S'il te plaît, rassure-moi et dis-moi que tu... enfin que nous...
Je m'emmêlai les pinceaux et me tus, lui adressant un regard confus. Mes souvenirs de la veille étaient flous. Y'avait-il eu plus qu'un baiser ? Evan eut un sourire en coin en avançant vers le lit. Il était déjà habillé, lavé, coiffé alors que je pataugeais encore dans la mélasse de mon cerveau. Il vint s'asseoir au bord du lit, une expression attendrie sur le visage.
— Il ne s'est rien passé. Je t'ai arrêté avant que tu ne fasses une bêtise, tu te rappelles ?
Maintenant qu'il le disait, je me souvenais de ses mains interceptant les miennes et de nos corps s'endormant l'un contre l'autre. Quant à ce qui était arrivé à mon t-shirt, cela restait un mystère. Je plongeai mon visage entre mes paumes, ne pouvant penser à autre chose que le baiser brulant que nous avons échangé la veille. Mon cœur loupa un battement et je relevai vivement la tête pour croiser le regard amusé d'Evan.
— J'étais ivre, ok ? Et tu l'étais aussi. Rien de tout ça ne serait arrivé... en temps normal.
L'homme posa une main légère sur mon épaule, me regardant avec une expression que je n'avais jamais vue sur son visage avant. Un mélange de tendresse, de douceur et d'affection qui me fit peur. Je n'aimais pas ce qui naissait entre nous, c'était bien trop dangereux... pour l'un comme pour l'autre.
— C'est moi que tu essaies de convaincre, rétorqua-t-il, ou toi-même ?
Comme pour marque son point, il fit glisser ses doigts de mon épaule jusque mon cou, taquinant mes cheveux et mon lobe d'oreille. Un frisson me parcourut le buste et embrasa le reste de mon corps. Je fermai un instant les yeux, essayant de me concentrer.
— Tu le sais aussi bien que moi, murmurai-je.
Une réponse vague, qui ressemblait plus à un aveux qu'autre chose : oui, j'essayais de me convaincre moi-même. Et c'était plutôt compliqué. Evan sourit, sa drôle d'expression laissant place à de la malice, et se releva :
— C'est bien ce que je me disais.
Me tournant le dos, il alla déposer sa tasse dans la cuisine et attrapa son sac dans un coin de la chambre. Je le suivis des yeux, incapable de m'en détacher, fascinée par le moindre de ses gestes. Il ne parut pas s'en rendre compte et enchaina :
— Je vais travailler. Ne m'attends pas ce soir, je risque de rentrer tard.
— Tu ne manqueras à personne, répondis-je machinalement.
— C'est ce qu'on verra.
Il m'adressa un sourire, puis sortis de la chambre sans se retourner. Je restais quelques instants immobile, les yeux fixés sur la porte, avant de reprendre mes esprits et me lever. J'allais chercher à manger dans la cuisine, mes pensées quittant Evan pour revenir, comme souvent, sur mes petites sœurs. Les rebelles étaient en silence radios depuis qu'ils m'avaient promis de les libérer et la situation commençait à bien trop s'éterniser. « Lutte en ne t'appuyant que sur toi-même », avait dit mon père. Il était peut-être temps de le prendre au mot.
Il me fallut bientôt partir en classe, mais le cours de géopolitique que nous avions ce matin là ne réussit pas à me faire penser à autre chose. J'avais désamorcé toutes tentatives de discussion avec Flore et Rob et, dans un coin, écoutait un prof après l'autre déblatérer sur des sujets qui me passaient bien au-dessus de la tête. Quand ce fut enfin finis, et que Frederik nous appris qu'on avait notre après-midi de libre, je fonçai pour rentrer chez moi. Là, j'entrai comme une furie et fonçai vers le bureau. Cette matinée de réflexion m'avait motivée une fois pour toute à passer à l'action.
J'ouvris grand un tiroir et en sortis tous les papiers qui y trainaient, avant d'enlever le faux fond que j'avais mis là des jours plus tôt. Je brandis, victorieuse, le téléphone qu'Horace m'avait passé. Je tournai et retournai l'engin entre mes doigts. Comment cela pouvait-il bien fonctionner ? J'appuyai dessus, le secouai, le balançai sur le lit, mais rien n'y fit. Excédée, je grommelai :
— Horace, bon sang, comment ça fonctionne ton machin ?
Soudain, l'écran s'alluma. Je bondis jusqu'au lit. La surface du téléphone était illuminée d'un fond blanc, où ressortaient de grosses lettres noires [HORACE. APPEL EN COURS]. Hésitante, je pris l'engin entre mes doigts et le portai à mon oreille. Il n'y avait rien. Que le silence. Puis...
— Cyanna ! aboya une voix. Tout va bien ?
Je ne pus m'empêcher de sourire. Horace, dans toute sa douceur et sa délicatesse. Tenant le téléphone du bout des doigts, je m'assis sur le lit.
— Tu... tu m'entends ?
— À quoi ça servirait si je ne t'entendais pas ? râla-t-il. Qu'est-ce que tu veux ?
Il me fallut une seconde pour dépasser l'émerveillement que provoquait l'engin chez moi et me rappeler le but de mon appel. Je resserrai les doigts.
— Je veux qu'on aille libérer mes sœurs. Aujourd'hui. Je ne peux pas les laisser plus longtemps pourrir là-bas.
Il y eut un long silence, si long que je jetai un coup d'œil à l'appareil pour vérifier qu'il marchait toujours. Puis je perçus le souffle de mon mentor.
— Impossible. Je suis désolé. On a promis de t'aider à les libérer et on le fera. Les rebelles tiennent toujours leur promesse. Mais pour cela, il va falloir que tu nous aides aussi.
— Mais vous ne m'avez rien demandé ! m'exaspérai-je. Je suis prête à vous aider.
— Pas encore, Cyanna. Prends ton mal en patience. Pas encore...
Une fois encore, il y eut un long silence. Quand je jetai un coup d'œil sur le téléphone, je vis que l'écran était à nouveau noir. Je restai un moment à le contempler, bouillonnante de rage. Si Horace me connaissait autant qu'il le prétendait, il aurait dû savoir que je ne me contenterais pas de ça. Comme un oiseau, j'aimais la liberté. Si tout le monde voulait me contrôler en menaçant des intermédiaires, et bien, j'allais leur montrer ce qu'il en coutait de s'attaquer à ma famille.
J'enfilai un pantalon et un débardeur, au-dessus desquels je vêtis ma cape noire. Sans trop savoir pourquoi, je glissai le téléphone dans une des poches puis sortis de la chambre. Je tombai nez à nez avec mes deux gardes et grimaçai. J'avais oublié ces deux boulets-là. Je leur adressai un sourire.
— Je vais me promener un peu.
Ils ne manifestèrent aucune émotion et je m'engageai dans le couloir, mes méninges tournant à plein régime. J'avais conscience d'aller droit vers l'inconnu sans aucun plan d'attaque. Je voulais libérer mes sœurs, mais comment diable allais-je m'y prendre ? Chaque chose en son temps : il fallait déjà me débarrasser des deux gardes. La suite, j'y réfléchirais plus tard.
Je me décidai à les semer devant la buanderie, de la même manière qu'Evan l'avait fait la veille. Je retrouvai facilement le chemin, indiquai aux gardes que je reviendrais dans un moment et entrai, traversai les salles puis ressortis par-derrière. Il ne me fallut que quelques minutes pour regagner le couloir de la garde, désert. Je restais épatée par la fréquence à laquelle on voyait des galeries vides ici alors que, onze étages plus bas, elles grouillaient de monde vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Maintenant, il me fallait trouver les escaliers sans croiser personne – je n'avais pas le droit d'être là. Je savais que je serais repérée en descendant par les marches, mais j'espérais être assez rapide pour trouver mes sœurs et les libérer avant que la garde n'intervienne. Je marchai un moment dans les couloirs, un peu perdue, puis déboulai dans des quartiers illuminés d'une lumière grisâtre. Je fronçai les sourcils. Qu'est-ce que m'avait Fred, déjà, sur les codes couleurs ? Le gris, c'était... non, ça m'échappait. J'aurais dû l'écouter plus attentivement.
— Tiens, tiens ! s'exclama une voix derrière moi. Cyanna, Cyanna, Cyanna. Quel bon vent t'amène ici ?
Je sursautai et me retournai. Subitement, je sus exactement là où je me trouvais. Le quartier des sciences. C'était sans doute pour ça que le ministre des Atomes se tenait face à moi, un sourire gras sur les lèvres. Pendant une seconde, je me dis qu'il venait de tomber sur moi par hasard. Après tout, ces quartiers étaient siens. Mais il avait cette lueur, au fond du regard. Cette lueur de satisfaction macabre, et j'eus soudain la certitude que le hasard n'avait rien à voir là-dedans. Je croisai les bras sur mon ventre.
— Il n'y a pas le moindre vent ici, monsieur.
Il éclata de rire comme si je venais de faire la blague du siècle et j'esquissai une petite moue. Je devais me débarrasser de lui au plus vite pour aller libérer mes sœurs. Mais le ministre ne semblait pas être de cet avis. Il ouvrit grands les bras.
— Je voulais justement te parler et c'est l'occasion rêvée. Viens, viens.
Il posa une main sur mon épaule et m'entraîna dans une pièce. Je retins une grimace et le suivis. J'aurais tout à fait pu lui tordre le poignet, lui casser quelques doigts, le mettre à terre et m'en aller. Mais il s'agissait du ministre des Atomes, les répercussions seraient énormes. Nous entrâmes dans une grande pièce légèrement sombre qui devait être une énième salle de réunion. Il s'installa à une chaise et en tira une autre pour moi. Hésitante, je m'assis toute au bord. Il croisa les mains.
— Ma chère Cyanna, tu dois savoir que j'ai particulièrement à l'œil ton éducation. Je suis avidement tous tes progrès et tes... tes déviances, disons. Oh, je ne t'ai pas fait venir pour te discipliner, rassure-toi ! On a tous été jeunes. Je te comprends.
Il rigola et j'esquissai un sourire qui manquait de conviction. Ma jambe tressauta. J'avais envie de quitter cette pièce. Tout dans ce type m'horripilait. J'étais mal à l'aise en sa présence, sous son regard avide et ses manières bien trop avenantes. Mon instinct me hurlait de m'en aller. Le ministre ne cessa de me regarder, comme s'il attendait une réponse, et je grimaçai.
— Merci, lançai-je à tout hasard.
— Mais voyons c'est normal ! C'est un plaisir, un grand plaisir.
Ouf, bonne réponse. Il prit ma main entre les siennes et se pencha vers moi.
— Cyanna, tu es... tu es une force de la nature. Rien que pour un scientifique comme moi, tu es une belle énigme ! Rares sont ceux nés de parents Sodium ayant des atomes prédominants Or. Tu es si spéciale... Et pour un homme comme moi, tu es d'autant plus une énigme ! C'est pour ça que j'aimerais... que tu me montres.
Je fronçai les sourcils. Je ne comprenais pas bien là où il venait en venir, mais je n'aimais pas le tour que prenait cette conversation. Tout mon corps hurlait au danger. Je sus soudain, comme une évidence, que cette conversation ne devrait pas avoir lieu. Que jamais je n'aurais dû être en tête à tête avec le ministre des Atomes et que la directrice ne le savait pas... et ne l'approuverait pas.
— Montrer quoi ? Demandai-je avec circonspection.
— Mais tes talents, bien sûr ! Une petite voix m'a dit que tu faisais de la boxe... et quelques combats. Alors montre-moi quelques prises, comment tu sais bouger ce joli petit corps. Enlève cette veste si elle te tient trop chaud.
Je me redressai d'un bond, comme brulée par son contact. Là, tout de suite, rien ne m'aurait fait plus plaisir que de fracasser son visage de pervers. Il me fallut toute ma force de volonté pour me retenir et garder un ton calme.
— Avec tout le respect que je vous dois, monsieur, je suis attendue autre part. Je dois y aller.
Oui, je devais y aller ou alors je ne répondrais plus de rien. Sans attendre, j'allais à grands pas jusqu'à la porte et l'ouvris en grand.
Je me figeai.
— Je me dois d'insister, Cyanna, lança le ministre derrière moi d'une voix mielleuse.
De l'autre côté de la porte se trouvait une dizaine d'hommes, groupés dans le couloir. Ils s'étaient rapprochés à l'instant où j'avais poussé le battant, m'empêchant toute fuite. Ils étaient tous baraqués, certains au regard froid et d'autres carrément sadiques qui ne me disaient rien qui vaille. Ils avaient beau ne porter aucun uniforme, j'étais persuadée qu'ils faisaient partie de la garde. Je fis un pas en arrière et les types en profitèrent pour pénétrer dans la pièce. Je me retournai vers le ministre, la voix tremblante :
— À quoi vous jouez ?
— La question est plutôt à quoi tu joues, Cyanna. Tu vois, mes amis ici présents... ils en ont assez de te voir jouer. De te voir en tenue vulgaire, avec tes regards provocants et ton petit sourire supérieur. Puisque tu sembles tant aimer te faire désirer par les hommes, te voilà servie. Tu connais ce vieil adage : « on récolte ce que l'on sème » ?
Je me tournai à nouveau, tout le corps tendu, essayant d'ignorer la peur qui s'emparait de moi. Les hommes échangèrent des regards moqueurs en m'entourant et je roulai des épaules, les analysant silencieusement. Je pouvais mettre facilement un de ces gars à terre. Deux, sans trop me fatiguer. Trois, c'était possible. Quatre, en me débrouillant bien. Mais dix ? J'étais douée en combat... Pourtant, je savais que je ne sortirais pas vainqueur de celui-là. Quand cette évidence me frappa, une vague de froid m'assaillit tandis que mon ventre se serrait. J'étais en danger imminent et je ne trouvais aucun moyen de me sortir de là.
Une part de moi se rassura en me disant que ces hommes n'étaient pas là pour me tuer. Et pourtant, ça n'aida en rien à me calmer. En dernier recours, je me tournai à nouveau vers le ministre.
— Il y aura des répercussions. Si vous faîtes ça, je vous jure que...
— Que quoi ? Je nierai toute participation et ce sera ta parole contre la mienne. Il n'y aura pas la moindre répercussion. Sauf pour toi, bien sûr.
Il adressa un signe de tête aux hommes. Je ne savais pas à quel moment exact la joute commença, mais je me retrouvai bientôt à hurler, me déchainant comme une furie contre les hommes qui essayaient de m'attraper. Je donnai des coups de pied et de poing sans le moindre contrôle, réagissant par pur instinct. Quand on me frappait, je répondais deux fois plus fort, portée par une peur sourde que je n'avais jamais ressentie en combat. Je mis quelques adversaires K.O., mais ils arrivaient toujours plus nombreux alors que je commençai à fatiguer. Je reçus un coup dans le ventre et tombai à terre, le souffle coupé. Je voulus aussitôt me relever : rester à terre était la pire des erreurs. Seulement, un pied cogna contre mes côtes, un autre dans mon dos et je me tordis en deux au sol, geignant de douleur.
Bientôt, des coups de pied se mirent à pleuvoir partout autour de moi, s'abattant sur mon corps frêle recroquevillé par terre. L'un d'entre eux tapa dans mon manteau et fit jaillir le téléphone de ma poche. Dans un éclat de lucidité, je tendis la main pour l'attraper.
— Horace... gémis-je.
Une chaussure m'écrasa le poignet, me faisant hurler de douleur, et une autre envoya valser l'appareil à l'autre bout de la pièce. Le dernier espoir de m'en sortir disparut avec lui. Dans un geste vain de protection, je levai les mains devant mon visage tandis que je recevais coup après coup, criant ma souffrance. Je n'avais plus la force. Plus la force de me relever ou de me battre. J'avais si mal ! Je n'avais jamais eu aussi mal de ma vie. Dans un état second, je crus entendre un « assez ! » lointain, comme venu d'un autre monde.
Les coups cessèrent aussi net et je me recroquevillai sur moi-même, haletante, des larmes de douleurs inondant mes joues. Je ne bougeai pas, sachant pertinemment que ce « assez » ne signifiait pas la fin de mes souffrances... au contraire. Il annonçait le deuxième rond, qui serait bien pire que le premier. Tremblante, tout le corps souffrant, je voulus essayer de me lever. Avant de voir si j'en avais la force ou non, un coup dans le dos me remit à terre et j'y restais. Je ne pouvais plus résister. Les hommes commencèrent à approcher de nouveau, mais les poings fermés avaient laissé place aux mains ouvertes et les coups aux caresses.
Je fermai les yeux et tentai de me raccrocher à quelque chose. Quelque chose de plus fort, qui me ferait oublier la réalité. Ce fut d'abord la voix d'Evan qui s'empara de mon esprit.
« Tu vas te faire dévorer. Tu entres dans un lac rempli de requins et tu t'écorches volontairement la peau. Ils vont te dévorer. ».
Le murmure s'évapora aussitôt, remplacé par le timbre de Fred. « Prends garde, Cyanna. Tu ne connais pas ce monde ni ces gens. Tu crois être la plus forte mais plus tu résistes, plus ils... Ils vont t'avoir, comme ils ont tous les autres. » Chacun à leur manière, les deux hommes avaient essayé de me prévenir. Et moi, bien sûr, j'avais refusé de les écouter. Fred avait raison, j'étais persuadée d'être la plus forte. Et ce n'est qu'en sentant toutes ces mains inconnues, brusques, dangereuses, parcourir l'entièreté de mon corps que me rendis compte d'à quel point j'avais eu tort.
Dans un état second, j'entendis le bruit que firent mes habits en se déchirant, suivis de rires gras, de commentaires vulgaires, de fermeture éclair qui s'ouvraient. Je fermai les yeux de toutes mes forces, cherchant une échappatoire à cette réalité. Car ça ne pouvait pas être réel, n'est-ce pas ? Cette loque, par terre, prête à subir des assauts violents sans se défendre, ça ne pouvait pas être moi. Je n'arrivais pas à y croire. Je ne voulais pas y croire. Et pourtant j'étais bien là, le visage en sang, nue sur le sol et entourée d'ennemis qui ne se contenteraient pas de me frapper.
Mon esprit divagua, loin, se disloquant de ce corps pour en oublier la douleur, se disloquant de ce présent infâme pour se concentrer sur le futur.
« Je vais leur faire payer ». Cette pensée s'empara de moi, grossit et explosa dans mon esprit, ne laissant la place à plus aucune autre. Oui, j'allais leur faire payer. Pas maintenant, pas aujourd'hui. J'étais trop blessée, trop abimée, trop détruite. Mais un jour, je les retrouvai. Et tous, un par un, je les ferais souffrir, bien plus qu'ils ne le faisaient. Alors je me concentrai sur cette idée simple de toutes mes forces. Et, tandis qu'ils me passaient tous sur le corps, un par un, deux par deux, me pénétrant avec une violence sadique, me frappant en même temps, me faisant hurler de douleur, j'essayai de ne penser qu'à ça.
Je ne sus combien de temps cela dura. J'avais l'impression d'avoir affaire à une légion entière et que cela ne s'arrêterait jamais. Je tombai à moitié inconsciente, juste assez éveillée pour me rendre compte de la douleur, toujours et toujours, des corps qui s'enchainaient sur le pantin inanimé que j'étais. Et puis, d'un coup, plus rien.
Cette absence de corps contre le mien fut si soudain que je crus d'abord le rêver, et je me demandai une seconde si je n'allais tout simplement pas mourir ici. Mais des bruits finirent par percer le brouillard qui entourait mon esprit. Des pas précipités. Des hurlements de douleurs. Des coups et des tirs. Je voulus ouvrir les yeux mais mon corps ne semblait plus vouloir répondre à mon esprit. Je restai ainsi immobile jusqu'à qu'un silence de plomb ne tombe sur la salle.
Je sentis un tissu tomber sur mon corps ravagé et des mains se poser sur mon visage. Je voulus me débattre. Non, pas encore... je n'en supporterais pas plus. J'entendis lointainement des sons qui devaient être des voix, des mots sensés, un ton réconfortant. Mais rien ne me parvint. Puis, soudain, je me sentis soulevée du sol.
C'était désormais clair : j'étais en train d'halluciner. Je voulais tant échapper à cette réalité que mon esprit s'évadait. Et je le laissais faire. Je sombrai bientôt dans le noir le plus total, l'accueillant avec soulagement. Je ne voulais plus rien sentir.
Plus jamais...
...
#Plombaged'AmbianceBonjour.
Hey hey ! (tentative d'amour et de bonne humeur) Comment ça va par cette douce journée ?😅
Bon, venons en directement au fait. Qu'avez vous pensé de ce chapitre ?
J'espère n'avoir choqué ou agressé personne par mes mots. Je ne voulais pas être trop violente, mais surtout pas minimiser ou amoindrir un tel évènement.
Sinon, que pensez-vous de la soirée d'Evan et de Cyanna ? 😏De l'évolution de leur relation suite à cet évènement ?
Bon, on se retrouve vite. Biz à vous 😘.
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