Chapitre 19, ou comment un diner peut tout changer [Corrigé]
Une dizaine de minutes plus tard, j'étais de retour dans notre appartement. Evan était reparti aussitôt livrer ses rapports à la directrice. J'étais sûre qu'elle avait eu vent de notre escapade et j'avais un peu de peine pour Evan. Il allait passer un mauvais moment à cause de moi.
Flore et Rob avaient débarqués il y a peu chez moi pour y passer l'après-midi et avaient pris possession du lit en m'écoutant leur raconter mes aventures de la journée. Quand j'eus fini, Rob souffla un long coup, s'étala de tout son long sur le lit et releva les yeux vers Flore.
— T'avais raison, son lit est grave confortable.
— Hé ! râlai-je. Tu ne veux pas plutôt m'aider ?
Je leur avais raconté tout ça dans l'idée qu'ils m'éclaireraient sur les intentions d'Evan et comment me comporter avec lui. En tant que noble – et homme-, Rob devrait mieux le décrypter pour moi. Seulement, il était trop occupé à rebondir sur le matelas en testant son confort pour pouvoir m'aider. Flore lui donna un coup de pied avant de reporter son attention sur moi.
— Laisse tomber, souffla-t-elle. Ecoute, c'est clair que ce mec en pince pour toi ! Il a toujours été sympa avec toi au risque de s'attirer des ennuis, il a fait les premiers pas et il veut faire la paix. Regarde, il t'a même emmené dans la salle d'entrainement de la garde ! Tu devrais envisager... je ne sais pas, peut-être de le remercier ? Juste histoire de montrer que t'es pas qu'une garce antipathique et que t'as aussi un bon côté.
Je la fusillai du regard. Me faire insulter, voilà qui m'aidait beaucoup ! Rob se redressa, l'air perplexe.
— Tu crois qu'elle lui plaît simplement parce qu'il l'a invitée à se faire détruire par ses potes de la garde et parce qu'il l'a emmenée -sous la contrainte- aux serres ? Tu te fais des films, chérie.
Je poussai un long soupir en me laissant tomber dans un fauteuil. Je n'étais pas beaucoup plus avancée. Je ne pouvais pas nier ressentir une certaine attirance pour Evan mais... était-ce vraiment réciproque ? Comment pouvais-je le savoir, lui qui ne montrait jamais rien ! Rob se mit en position assise en me dévisageant sérieusement.
— Si tu veux mon avis, rappelle-toi que ce n'est qu'un mec. Il a faim et il ne peut plus coucher avec ses habituées maintenant que tu es là. Alors comme il n'y a que toi, il essaie de se faire passer pour un gentil type le temps de te nique...
— Rob ! s'exclama Flore, indignée.
En d'autres temps, j'aurais bien ri de l'expression outrée de son visage, mais à la place, je fronçai les sourcils en me redressant.
— Ses habituées ?
— Les gens raffolent des histoires de cul ! C'est bien connu que les gardes aiment beaucoup batifoler avec toutes les nanas en couple de cet étage. Te fais pas d'illusion, la fidélité n'a aucun sens ici.
Pendant qu'il parlait, Flore essayait de lui faire des signes discrets pour qu'il se taise mais il n'y vit rien. Je me laissai retomber dans mon fauteuil, perplexe. Etant donné que les couples étaient forcés ici, il n'était pas étonnant que tout le monde aille voir ailleurs. Et pourtant, je ne l'avais pas réellement imaginé jusqu'ici. Se pouvait-il qu'Evan soit seulement intéressé par mon corps comme le proclamait Rob ? Et bordel, pourquoi la réponse m'importait-elle tant ?!
Flore se leva en lissant sa robe et m'attrapa par les épaules.
— J'te jure, t'as de la chance d'avoir être mise en couple avec quelqu'un comme lui. Alors profites-en ! Amuse-toi un peu, ça ne va pas te tuer. Vous êtes deux adultes consentants j'te rappelle. Alors commence par faire un pas vers lui pour lui montrer ce que tu veux, je sais pas, parle-lui de ta vie, fais lui à manger, un truc comme ça.
Je la dévisageai en haussant un sourcil. Lui faire à manger ? En quoi cela allait-il régler tous mes problèmes ? Flore m'adressa un sourire pétillant puis força Rob à se lever.
— Bon, c'est bien sympa de passer l'après-midi avec toi mais faut qu'on s'en aille avant que ton beau mâle ne rentre. Biz, Cycy !
Elle me salua et sortit, trainant le garçon derrière elle qui m'adressa un dernier regard dépité avant de disparaître dans le couloir. Je souris en les regardant partir, songeant qu'ils étaient bien les seules choses de bonnes qui m'étaient arrivées en montant à cet étage. Je restais de longues minutes immobiles dans mon fauteuil, ressassant les conseils de Flore, avant de décider de les prendre à la lettre.
Je me levai d'un bond et me rendis dans la cuisine avec une énergie retrouvée. Je fouillais dans les nombreux placards, en sortant de la nourriture, des ustensiles et -Hallelujah – une tablette de recettes. J'en choisis une au hasard et essayait d'appliquer les instructions au mieux, même si je ne savais pas distinguer une poêle d'une casserole, le poivre du paprika et une tomate d'un poivron. Mais au moins, personne ne pourrait dire que je n'y ai pas mis de la bonne volonté !
C'est ainsi que je fis cuire de la viande -était-ce du bœuf ou de l'agneau ?-, chauffer des patates et laissait assaisonner une sauce au paprika. Il me fallut bien une heure pour arriver à un résultat potable et, alors que je touchai à la fin, la porte d'entrée s'ouvrit. Je m'immobilisai et tendis l'oreille, écoutant Evan avancer dans la pièce principale et renifler.
— Cyanna... tu as cuisiné ?
Il semblait partagé entre l'étonnement et le contentement. Je sortis de la cuisine, ma cuillère en bois à la main et posai les mains sur mes hanches. Mon tablier, qui devait en fait être le sien, et mon chignon à la va-vite n'étaient pas des plus sexy, mais l'homme eut l'air d'apprécier ce qu'il voyait.
— Ça t'étonne ?
— Tu n'as jamais touché une poêle de ta vie, rétorqua-t-il en souriant. Évidemment que ça m'étonne que, quand tu as le monde à tes pieds, tu prennes encore la peine d'apprendre à cuisiner.
Je gloussai alors qu'il m'adressait un clin d'œil. C'était presque, mot pour mot, le dialogue que nous avions échangé la première fois qu'il avait proposé de me faire à manger, mais les rôles étaient aujourd'hui inversés. Il roula des épaules, l'air exténué et s'approcha de moi.
— Donc tu as cuisiné... pour moi ?
— J'avais juste faim, en fait.
Il sourit, pas dupe. Bien sûr que j'avais cuisiné pour lui, mais j'avais trop de fierté pour le lui dire. Il pencha la tête sur le côté et continua d'avancer près de moi. Vraiment près puisque son visage se colla presque au mien, nos souffles se mêlant. Là, il renifla une nouvelle moi et m'adressa un sourire innocent.
— Tu sais, murmura-t-il, il y a une drôle d'odeur.
Je fronçai les sourcils prit une grande respiration et manquai de faire un bond.
— Merde !
Le brulé. Ça sentait le brulé. Evan éclata de rire et je me précipitai vers la cuisine. J'allais éteindre la plaque de cuisson en-dessous de laquelle ma viande reposait. Elle était complètement noire et dégageait une odeur assez peu appétissante.
De l'autre côté, Evan se dirigea vers la salle de bain.
— Je vais me doucher, me signala-t-il. Le temps que ça refroidisse.
Il rigola et s'enferma dans la pièce. Je restai immobile, dépitée, sans savoir quoi faire de mon plat bien trop cuit.
— C'est un désastre, gémis-je pour moi-même.
Ça l'était, oui, mais c'était aussi tout ce que nous avions à manger pour ce soir. Sans grande conviction, j'entrepris de mettre la table et de servir le repas, aussi mauvais soit-il. Puis je m'effondrai à nouveau dans mon fauteuil, lessivée et les nerfs à vif. Rien n'allait comme il le fallait, ici.
Dans la pièce d'à côté, l'eau coulait toujours et je me demandais comment Evan pouvait avoir envie de reprendre une douche après s'être fait autant récurer à la sortie des serres. Pour ma part, je ne m'étais jamais sentie aussi propre de ma vie. Peu après, l'eau s'arrêta et, quelques minutes plus tard, Evan apparut. Il était vêtu d'un simple pantalon noir, exposant son torse dénudé à mes yeux avides. Je feignis l'indifférence.
— Tu fais la grève des tee-shirts ?
— Tu fais la grève de la bonne nourriture ? rétorqua-t-il en jetant un coup d'œil au contenu de son assiette.
« Il appréciera un geste de reconnaissance de ta part », avait dit Flore. Mon cul, oui ! Il n'en avait rien à faire. Et il semblait n'avoir aucune idée d'à quel point je m'étais embêtée pour lui cuisiner tout ça. Je me relevai d'un bond et lui lançai un regard noir en partant au quart de tour :
— Tu sais quoi ? Va te faire voir ! m'exclamai-je en me dirigeant à grands pas vers la porte. Ça fait une putain d'heure que je me fais chier à cuisiner et tu te plains pour une viande un poil trop grillée. J'en ai marre, je me casse. Tu sais quoi, j'essayais de faire des efforts pour une fois dans ma vie et tu t'en balance ! J'en ai par-dessus la tête de tout ça !
— Cyanna, essaya-t-il de m'interrompre. Calme-toi...
Près de la porte, je me retournai vivement. Il s'était avancé vers moi, un petit sourire amusé sur le visage. Et ce petit sourire, plus que tout le reste, me mit hors de moi. J'avais bien envie de le lui faire ravaler.
— Non, je ne me calme pas ! Je m'embête à essayer de te comprendre, à faire des trucs que je n'ai jamais faits, à être sympa avec le monde entier, avec ces putains de gardes qui me suivent partout, tous ces gens hypocrites et dès que je fais le moindre truc de travers, c'est le drame ! Alors si tu n'es pas content, fais-toi livrer un MacDo !
— Cyanna.
Il m'intercepta au moment où je comptais sortir, attrapant mes poignets dans chaque main. Je relevai la tête vers lui, agacée. Il avait toujours son petit sourire, qui semblait plus attendris que sarcastique.
— Calme-toi. Je suis désolé, ok ? Je plaisantais. Ce repas a l'air très bon.
Je le regardai d'un air suspicieux, ma colère retombant doucement. Ma respiration se calma et je m'immobilisai. Je me rendis alors compte à quel point il était proche de moi et, plus que ça, qu'il avait retrouvé son odeur habituelle. Je compris alors pourquoi il avait tant voulu reprendre une douche et ça finit de me convaincre de ne pas bouger.
— Dis, reprit-il en voyant que je ne répondais rien. C'est quoi un MacDo ?
Je pinçai les lèvres, réprimant de toutes mes forces un sourire devant son air désarçonné. Il pouvait être craquant quand il le voulait.
— C'est un vieux truc, rétorquai-je avec une mauvaise humeur quelque peu feinte. Un truc de restauration d'avant... d'avant la chute des étoiles. J'ai lu ça dans un bouquin.
Il acquiesça lentement, sans sembler trouver bizarre que je lise des livres sur le monde d'avant. Et pourtant, peu de gens à cet étage l'auraient accepté ainsi. Evan desserra sa poigne en arquant un sourcil.
— Je peux te lâcher sans que tu t'en ailles en hurlant ?
— Ouais.
Il sourit doucement et me libéra. Je me massai les poignets puis le contournai sans le regarder.
— Ça va être froid, grognai-je.
Je m'assis à table, ma colère pas tout à fait dissipée. Je me sentais comme une bombe prête à exploser à la moindre remarque, depuis que j'étais ici. Et comme souvent, Evan en payait les pots cassés. Evan passa par la cuisine avant de venir s'assoir en face de moi, une bouteille à la main. Je me redressai, la colère balayée par une vive curiosité.
— Est-ce que c'est...
— Du vin ? sourit-il. Oui.
— Mais comment c'est possible ?
Il sourit en me passant la bouteille en verre opaque, pleine d'un liquide rougeâtre. Je l'admirai, partagée entre stupéfaction et excitation.
— Nous cultivons du raisin dans les serres, et nous recyclons le verre que nous avons. Ce n'est pas bien compliqué.
— Je croyais que plus personne ne buvait de vin... murmurai-je.
— Les plus avantagés le peuvent.
Et soudain, ça me frappa. Je faisais partie des plus avantagés à présent. J'étais en haut de la chaîne alimentaire. Je pouvais cuisiner et boire du vin. Je n'arrivais toujours pas à m'y faire. Evan déboucha la bouteille, attrapa deux verres et les remplit. Je ne le quittai pas des yeux, le cœur battant. Il semblait détendu, comme il avait pu l'être un peu plus tôt dans la salle d'entrainement. Plus le temps avançait et plus je me demandais si ce n'était pas ça le vrai lui : un homme rieur, détendu et bienveillant. Et pourtant, il passait la majorité de son temps sous ce masque d'homme imperturbable et que rien n'atteignait. Pourquoi ? Était-ce son travail de garde qui l'obligeait à cacher ainsi sa vraie nature ?
— On pourrait presque dire qu'on a un rencard, observa Evan en me tendant mon verre. Dans le temps je t'aurais emmené au restaurant... peut-être au cinéma. Et on serait rentrés à pied sous un magnifique ciel étoilé.
— Et surtout, tu aurais mis une chemise.
Il pouffa de rire et je le regardai sans rien dire. J'avais toujours été fascinée par ce qui datait d'avant la chute des étoiles. Enfant, j'adorais lire les livres que me trouvait mon père sur cette époque. Je faisais de nombreuses références sur les temps d'avant que personne ne comprenait. J'avais appris plus tard que se fasciner pour le passé était typique des rebelles et donc, extrêmement mal vu. C'est quand mon frère avait été exécuté que j'avais compris que de simples pensées pouvaient être dangereuses et qu'on pouvait me punir pour ce que je ressentais.
Je n'aurais jamais imaginé qu'ici, chez les Ors, Evan me parle de ce qui se serait passé entre nous si nous étions nés quelques siècles plus tôt. J'adorais ça... et je détestais l'adorer.
— Santé, lança Evan en avançant son verre
J'entrechoquai le mien contre le sien, maladroite. L'homme m'observait d'un regard perçant, les yeux brillants tout en avalant une première gorgée. Je l'imitai, perplexe, avant de grimacer en reposant mon verre avec brutalité.
— Beurk !
Evan s'esclaffa, semblant apprécier ce qu'il buvait bien plus que moi. J'avoue que j'étais déçue, m'étant toujours fait une image incroyable de ce que devait être le vin. Et la réalité n'était guère à la hauteur, comme souvent.
— Tu vas voir, on se fait peu à peu au goût.
Sous son regard encourageant, je pris une deuxième gorgée sans pouvoir empêcher une nouvelle grimace. Puis nous nous attaquâmes tous deux à mon repas catastrophique en silence. Mais ça ne dura pas longtemps : j'avais bien trop de questions.
— Evan... tu sais que je n'aime pas tourner autour du pot.
Il sourit à ma remarque, s'acharnant sur sa viande avec son couteau.
— Sans blague ? Je n'avais jamais remarqué.
— Comment ça s'est passé avec la directrice ? lançai-je de but en blanc en délaissant ma nourriture.
J'étais certaine qu'elle n'avait pas vu notre petite visite aux serres d'un bon œil. Que j'en fasse qu'à ma tête, elle était habituée mais que je le fasse avec son bras droit ? Inadmissible. Evan haussa les épaules, un petit pli se formant entre ses sourcils froncés.
— Elle n'a pas apprécié que je t'emmène aux serres. Et encore moins que j'utilise son nom pour aller là où je n'ai pas le droit d'aller.
— Rien de surprenant jusque-là, soufflai-je.
— Elle m'a mise en... en période d'essai. Elle m'a donné quinze jours pour que tout revienne dans l'ordre auquel cas... elle me vire.
— Elle te vire ? Répétai-je. Tu ne veux pas dire que...
— Bien sûr que si. Elle me vire à l'extérieur.
Je fermai un instant les yeux, horrifiée. Même Evan, si haut dans la hiérarchie de l'AND, si précieux pour la directrice, n'était pas à l'abri de ses menaces sadiques. Et nous savions tous deux qu'elle n'était pas du genre à faire des menaces en l'air.
C'était ma faute, tout ça était ma faute. La directrice était intelligente mais je voyais clair dans son jeu : plus que de vouloir tenir Evan à l'ordre tout ça était destiné à me tenir tranquille, moi. Par le biais d'Evan, elle me transmettait un message simple : reste dans le droit chemin. Un seul faux pas, et s'en est fini de toi. Un seul faux pas et elle éliminerait Evan pour m'atteindre. Evidemment qu'elle n'avait rien loupé de notre rapprochement !
Je compris que l'homme en face de moi, aussi intelligent soit-il, n'avait pas poussé la réflexion jusque-là. Il n'avait pas encore réalisé que, comme tout a chacun dans cette prison géante, il n'était que le pantin de la directrice. Qu'il n'était qu'un pion destiné à sacrifier pour d'autres. D'un geste spontané, je posai ma main sur la sienne au centre de la table.
— Je suis désolée, Evan. Vraiment désolée. Je ne voulais pas t'attirer autant de problèmes. Je vais me tenir à carreaux, je te le jure. Tout ira bien.
Ma voix était pleine de sincérité. Et je croyais vraiment à ce que je venais de dire. Mais, quelque part au fond de moi, je me demandais où j'avais appris à mentir aussi bien. Car non, tout n'irait pas bien. Dans quel monde tout pourrait bien aller ? J'étais tiraillée d'un côté par les rebelles et de l'autre par le gouvernement, chacun des deux camps essayant de me tirer à lui. Si je n'étais pas avec les rebelles, ils ne m'aidaient pas à sauver mes sœurs. Si je n'étais pas avec la directrice, elle tuait Evan. Peut importait la suite des évènements, quelqu'un à qui je tenais aller forcément souffrir.
Alors non, tout n'allait vraiment pas bien.
Pourtant, Evan sourit comme si c'était exactement la chose qu'il avait besoin d'entendre. Il me remercia d'un sourire en baissant les yeux sur nos mains liées. D'un coup sec, je retirai la mienne comme si sa peau venait de me brûler. Bon sang Evan, si tu savais tout ce que je te cachais, tout le mal que je t'apportais, tu fuirais à toute jambe.
— Il n'est pas si mauvais, ce repas, constata l'homme avec gentillesse.
Je grimaçai pour toute réponse, essayant de retrouver une expression plus légère, cachant tous mes tourments dans un coin de mon esprit. Je laissai bientôt mon assiette de côté, abandonnant le combat. Evan persista jusqu'à en manger la moitié puis il finit à son tour par s'avouer vaincu :
— Ecoute, ce n'était pas si mal pour une première. Il reste... quelques progrès à faire, c'est tout.
— Quelques ? répétai-je en riant. Il en faudra plus que ça !
Son éclat de rire me fit monter un sourire aux lèvres et une douce chaleur dans la poitrine. Je ne me rappelais pas m'être déjà sentie aussi bien en compagnie d'Evan. J'avais presque envie de laisser tomber mes barrières, d'abaisser mes défenses le temps d'une soirée et laisser tous mes problèmes à l'extérieur de cette chambre. Après tout, le monde pouvait bien attendre demain pour bruler !
Je me détendis de plus en plus au fil de la conversation, alors que nous finissions la bouteille de vin directement au goulot, tour à tour. Quand nous l'eûmes fini, Evan débarrassa la table et partis faire la vaisselle alors que j'enfilais une tenue plus confortable : un long tee-shirt et un short en toile. Je revins dans la chambre à l'instant même où Evan quittait la cuisine et, sous son regard brulant, j'eus l'impression que la distance entre nous fut réduite à néant.
— Tu viens ? finit-il par lancer en brisant le silence et désignant le lit d'un signe de tête. Pour discuter un peu.
Je souris, le souffle court. Discuter, hein ? J'haussai les épaules, feignant l'indifférence.
— C'est une vraie demande, ou tu mets à profit ton droit de me demander tout ce que tu veux ?
— A toi de choisir.
Son ton énigmatique me fit lever les yeux au ciel et, pourtant, je le suivis jusqu'au lit et m'y assis en tailleur. Il s'installa en face de moi, le visage détendu, paraissant presque vulnérable sans ses sourcils froncés et sa mâchoire serrée. Je l'admirai en silence, consciente que mes yeux ne devaient pas cacher grand-chose de ce que je ressentais... mais les siens non plus, pour ma défense.
— Mais je compte bien mettre à profit mon droit de te demander tout ce que je veux, reprit-il dans un souffle, en te posant quelques questions. Pas le droit de te défiler cette fois.
— Et moi qui espérais que t'allais vouloir abuser de mon corps, blaguai-je en soupirant.
En réalité, j'aurais préféré. Paradoxalement, coucher avec Evan m'aurait probablement mise moins à nu que répondre aux questions qu'il se posait à mon sujet. Le jeune homme sourit et secoua la tête, l'air de dire qu'il y avait pensé. Il réfléchit une seconde avant de demander :
— Tu sembles beaucoup tenir à cette fille... Millie. Parle-moi d'elle.
J'ouvris de grands yeux, agréablement surprise par la demande. Je m'attendais à des sujets bien plus importants que celui-là et pourtant... il n'y en avait aucun autre dont j'avais plus envie de parler.
— Oui, souris-je en croisant son regard. On s'est rencontrées à sept ou huit ans. J'étais partie dans les étages supérieurs pour... pour voler de la nourriture au marché. Ils sont moins protégés, en haut qu'à notre étage. J'ai failli réussir sauf que... cette petite rousse avec les cheveux en pagaille m'a vue. J'ai cru qu'elle allait directement me dénoncer à ses parents qui étaient juste à côté. Mais à la place... elle est venue me voir et m'a donné la nourriture qu'on venait de lui acheter. Elle a toujours été comme ça, Millie, le cœur sur la main. On s'est beaucoup vues depuis ce jour, elle venait en cachette chez nous et, parfois, je montais discrètement jusqu'à chez elle. Elle... c'est la meilleure personne de ce bâtiment. Elle ne mérite pas d'en être arrivée à travailler aux serres.
J'avais fermé les yeux en parlant, me remémorant tous ces moments avec ma meilleure amie et toute la joie, la motivation et le courage qu'elle m'avait apporté au fil des années. Quand j'ouvris les yeux, j'interceptai le sourire tendre d'Evan et mon cœur loupa un battement. J'eus l'impression qu'il s'était rapproché de moi.
— Elle semble super, dit-il à mi-voix. Et elle va bientôt sortir de là, nan ? Tout se passera bien pour elle, j'en suis sûr.
J'acquiesçai, ne pouvant tout de fois penser à autre chose qu'à son air si malheureux quand je l'avais croisée plus tôt dans la journée. J'étais impatiente qu'elle sorte. Evan reprit la discussion sur un sujet banal et je me rendis compte qu'il essayait, un peu maladroitement, de me remonter le moral et me faire penser à autre chose. Il y réussit plutôt bien et me posa des questions par dizaine sur tous les aspects de ma vie. La plupart me semblaient très peu importantes mais chacune des réponses captivaient son attention.
Durant la discussion, nous avons ainsi abordée des sujets divers et variés tel que ma couleur préférée, ma relation avec mon père et les autres membres de ma famille qu'il me demanda de décrire en détail, ma vie avant la Classification, ma passion pour la boxe ou encore mes relations passées.
Le temps fila sans que je ne m'en aperçoive, tellement absorbée par la conversation. Bien qu'Evan m'assaillît de questions, je profitai de chaque instant de libre pour essayer d'en apprendre plus sur lui. Je découvris donc qu'il n'avait pas de familles proches, ses parents étant décédés il y a de nombreuses années, qu'il était ami avec Noah depuis à peu près aussi longtemps que Millie et moi, qu'il avait toujours voulu être garde et qu'il était un maniaque du contrôle, en particulier en ce qui concernait ses propres sentiments. La garde lui avait permis de trouver un équilibre dans sa vie. C'était une discussion passionnante, que jamais je n'aurais imaginé avoir avec le Evan renfermé et silencieux dont j'avais l'habitude.
Alors que vous venions de conclure notre discussion sur la garde, je remarquai que nos corps s'étaient instinctivement rapprochés. Plongés dans le regard de l'autre, un long silence s'installa, empli d'une tension électrique. Puis, avec précaution, Evan attrapa ma main dans la sienne, la contemplant avec une expression intense, comme si elle détenait tous les secrets du monde. Troublée par son regard, je retirai vivement ma main et la cachai dans ma poche. Non, il n'avait pas encore réussi à briser toutes mes barrières... même s'il en approchait dangereusement.
— Dernière question, murmura-t-il en levant des yeux blessés vers moi. Pourquoi n'arrives-tu pas à me faire confiance, Cyanna ?
— Et pourquoi devrais-je te faire confiance, Evan ? rétorquai-je sur le même ton, sans animosité mais avec une infinie détresse.
A cet instant plus que jamais, j'en avais une envie irrépressible. Je voulais abaisser toutes mes défenses pour lui, lui avouer tout ce que je lui cachais et envisager un monde où nous pourrions affronter ensemble chaque épreuve. Mais cet avenir idéal n'existait pas. Il faisait partie de la garde et j'étais une rebelle. Il était le bras droit de la directrice et j'étais une grenade à retardement destinée à la détruire. Evan secoua la tête, ne comprenant pas mes réticences.
— Je ne t'ai jamais donné de raisons de douter de moi ! s'exclama-t-il, à bout de souffle comme si toutes ses protections s'étaient effondrées. J'ai... j'ai toujours été là pour toi, j'ai tout fait pour te protéger, j'ai caché des choses à mes supérieurs pour te venir en aide... Je n'ai jamais été ton ennemi, bon sang ! J'aimerais tellement que tu puisses le voir.
Ses yeux brillaient d'une lueur intense et, plongés dans les miens, semblaient déterminée à me faire comprendre la vérité. Malgré moi, je sentis mes barrages se fissurer, ébranlée par la sincérité de sa voix. J'avais envie de le croire, infiniment.
« Le seul bon camp est le tien ». Les paroles de mon père résonnèrent dans mon esprit et je baissai les yeux, partagée entre la tristesse et la colère.
— Je ne peux accorder ma confiance à personne, soufflai-je à voix basse avant de me redresser et de poursuivre plus fermement. Tu es un fichu garde, Evan ! Tu travailles pour la directrice et je la déteste, je déteste ce système de merde, je déteste ce foutu gouvernement et je... je suis obligée de te détester aussi, tu comprends ? Tu fais partie de ce système, tu as choisi ton camp et moi... moi je n'ai aucun choix, bordel ! Je suis coincée ici, là où je rêvais d'aller... et tout ce que je veux maintenant c'est rentrer chez moi !
J'étais à moitié debout, le souffle court et les mains tremblantes. Des larmes humidifiaient mes yeux et mon cœur était prêt à exploser. Je me rendais compte que j'avais une fois de plus perdu le contrôle, submergée par une colère trop longtemps gardée en moi. Et à nouveau, Evan en payait les frais. L'homme restait silencieux, les yeux baissés et l'air peiné. Mais je ne pouvais pas m'arrêter là. Je me penchai vers lui, désireuse de pouvoir cracher ce venin qui m'empoisonnait :
— Parce que cette société est merdique, elle est pourrie jusqu'à la moelle ! Tout est corrompu ici, et le pire dans tout ça, c'est que je ne devrais même pas te parler de ça parce que tu vas tout écrire. Dans. Ton. Foutu. Rapport. Alors, Evan, explique-moi comment je pourrais te faire confiance dans ces conditions ?
Il s'ensuivit un silence pesant. Je fixai le vide, m'interdisant de lire dans les pupilles d'Evan ce qu'il pensait, de voir son expression se figer et son corps s'éloigner du mien. Cependant, au lieu de cela, je sentis ses doigts se poser sur mon menton, me forçant à plonger mes yeux dans les siens. Dans son regard, je pouvais percevoir une multitude de sentiments indéfinissables qui me bouleversèrent sans que je ne puisse expliquer pourquoi.
Et puis ses yeux quittèrent les miens pour fixer intensément mes lèvres, assombris par un désir soudain. Il laissa échapper un murmure rauque :
— Cyanna, arrête de parler et embrasse-moi.
....
Héhéhé... Alors ? Vos avis ? Vous m'en voulez de la coupure, hein ?
Alors dîtes moi à ce niveau que pensez vous d'Evan ? De rob et Flore ?
Merci encore pour votre lecture !
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