Chapitre 17, ou comment essayer de contrôler une future directrice [Corrigé]
Quelques heures plus tard, ce petit moment de pure distraction et d'action avait été remplacé par de longues minutes d'attente devant le bureau de la directrice. Cela me laissa tout mon temps pour me questionner. Avais-je fait quelque chose de mal ? On ne pouvait rien me reprocher, j'avais été exemplaire cette semaine. Enfin, la porte s'ouvrit et je sautai sur mes pieds. Lançant un regard suffisant aux gardes qui m'entouraient, j'entrai dans le célèbre et mystérieux bureau de la directrice.
Si la pièce était des plus banales au premier aperçu, elle était néanmoins au top de la technologie. Une table transparente flottait entre deux fauteuils noirs, en partie recouverte par un tas de dossier et un ordinateur. Une bibliothèque remplie tapissait un mur entier, me rappelant du peu de livres que je n'avais jamais possédé- et que je devais cacher au risque de passer pour une terroriste. On n'était pas tous égaux dans cette prison géante.
Derrière le bureau était assise, bien droite, la directrice. Elle me salua d'un signe de tête et m'indiqua de m'asseoir dans le deuxième fauteuil. Je pinçai les lèvres et allai m'installer. La femme se pencha dans ma direction.
— Bonjour, mademoiselle MacGhille. Je vous remercie pour votre ponctualité. J'espère ne pas troubler votre jour de repos ?
Je haussai négligemment les épaules en m'enfonçant dans le fauteuil et croisai les jambes.
— Je n'avais rien de mieux à faire.
Je lui adressai un sourire innocent et celui qu'elle me renvoya me fit comprendre qu'elle savait très bien ce que j'avais fait de ma journée. Elle avait déjà dû recevoir le rapport d'Evan, qui lui avait sans doute raconté en détail ce qu'il s'était passé dans la salle d'entrainement. Mais je savais que je n'étais pas là pour ça. Evan avait raison. Bien que ce ne soit pas tout à fait légal, ce n'était pas non plus interdit. La directrice sourit.
— Tu dois te demander pourquoi tu es ici. Je vais aller droit au but : Cyanna, tu n'es pas sans savoir que je vieillis, comme tout à chacun. Bientôt, je ne serai plus en capacité de continuer mon travail.
Nous y voilà, songeai-je, un peu lasse. Les rebelles avaient raison, ils avaient raison sur toute la ligne. Je gardai un visage impassible sans lâcher la femme des yeux. Ses lèvres se retroussèrent tandis qu'elle enchaînait :
— Je veux que tu prennes ma place quand je ne pourrais plus occuper ce poste. Evidemment, tu seras correctement formée pendant des années. Je veux que tu deviennes la prochaine directrice, tu comprends ?
Je restai silencieuse et aussi immobile qu'une statue. Bien sûr que je comprenais, je n'étais pas idiote. Elle arqua un sourcil.
— Tu n'as pas l'air surprise.
— Vous le savez, les rumeurs vont vite ici. Mais je ne comprends pas... pourquoi moi ? Pourquoi une pauvre Sodium ? Il y a des tonnes de gens plus expérimentés !
— Parce que tu as du cran, Cyanna. Tu ne te rends pas compte du poids à porter pour faire tenir cette société debout. Nous avons besoin de quelqu'un qui est capable de porter ce fardeau et de ne pas s'effondrer sous le poids des responsabilités. Nous avons besoin de quelqu'un avec des idées neuves, qui apprends vite et qui n'a pas peur de prendre les bonnes décisions... parfois en dépit des dégâts collatéraux. Tu viens de sodium, tu as connu plus de difficulté que tous ceux de cet étage réunis. Comme mon arrière-grand-mère, c'est ce qui fera de toi une bonne directrice.
J'étais assez surprise. Bien que ses raisons correspondissent à ce que m'avait dit les rebelles, je ne m'attendais pas à ce que la directrice me tienne en aussi haute estime. Appliquant la méthode d'Evan, je m'efforçais de rester impassible et de ne rien montrer. Je croisai les bras.
— Je vois. Je suppose que je n'ai pas le choix ?
— Bien sûr que si. Nous avons tous le choix. Et ce travail, le travail le plus important de toute l'AND, se doit d'être pleinement voulu et choisi. Mais réfléchis bien, car un refus à un tel proposition... et bien, il serait plutôt mal vu. Ce serait très peu loyal envers notre société, tu ne crois pas ?
Je me figeai. Traduction : si tu refuses, tu seras considérée comme une terroriste et exécutée. J'ignorais si elle mettrait vraiment sa menace à exécution mais j'étais bien décidée à ne pas le découvrir. Si j'étais loin d'être effrayée- j'avais tout de même flirté avec ce risque toute ma vie- je n'avais aucune envie de précipiter le jour de ma mort.
Quant à devenir directrice... j'ignorais quoi en penser. Je détestais profondément notre système. Je ne voulais pas le diriger mais d'un autre côté, n'était-ce pas le meilleur moyen pour l'améliorer ? En en prenant les rênes ?
— Évidemment, répondis-je à contre-cœur. Personne douée de bon sens ne refuserait votre proposition.
— Dois-je en déduire que tu acceptes ?
Avais-je le choix ? Je ne pouvais pas répondre non, nous le savions toutes deux. Alors j'inclinai la tête :
— J'en serais honorée, mentis-je d'une voix la plus crédible possible. Mais ne pensez-vous pas que je devrais prendre quelques jours pour y réfléchir ?
Elle hocha la tête avec entendement, sachant pertinemment que je ne pourrais plus faire marche arrière. Elle m'avait attirée dans ses filets de la même manière qu'Evan et Noah l'avaient fait un peu plus tôt. Je soufflai, sachant que ce n'était que le début de mes problèmes. Je savais qu'à présent, je marchais telle une funambule sur un fil. Au moindre faux pas, je basculerais. Au moindre faux pas, la directrice signerait ma fin. Maintenant que j'avais accepté, j'allais être plus surveillée et on allait attendre de moi que je commence à me comporter comme une future directrice. Dans le sourire de la femme, dans ses yeux glacés, je lisais parfaitement la menace muette.
— C'est tout ? lançai-je en espérant pouvoir me sortir d'ici.
— C'est tout, confirma-t-elle. Pour aujourd'hui. Bientôt, je prendrais la supervision de ta formation afin de t'apprendre mon métier. En attendant, comportes-toi bien et sois sage. J'ai besoin de savoir que je peux te faire confiance et ça commence maintenant. Tu te sens prête ?
Non. Non, elle ne pouvait pas me faire confiance. Et bordel, non je n'étais pas prête. Mais encore une fois, je lus dans ses yeux que la réponse négative ne serait pas acceptée. Alors je confirmais d'un hochement de tête et, satisfaite, elle me fit signe de sortir de son bureau. La tête ailleurs, j'obéis et partis dans le couloir en direction de mon appartement. Deux gardes m'emboitèrent le pas sans que je n'y fasse attention, obnubilée comme je l'étais par mes pensées. Tout ça me retournait le cerveau. Pourquoi moi, bordel, pourquoi toujours moi ?
Je ne savais plus quoi faire ni où aller. Et comme d'habitude dans ces moments-là, j'avais envie de me tourner vers la seule personne qui pourrait me comprendre. Et peut-être que je le pouvais... Revigorée par cette idée, je courus presque jusque chez moi et glissai le doigt dans la serrure.
Le battant s'ouvrit et je débarquai comme une furie dans la chambre.
— Tout va bien ? T'as l'air d'avoir le diable aux trousses. La directri...
— Evan, le coupai-je d'un ton brusque et qui n'attendait pas de refus. Emmène-moi aux serres.
Il resta immobile sans manifester la moindre émotion. Dans ses yeux, je ne pus rien lire à part un certain ennui. Il secoua la tête.
— Tu sais que c'est impossible.
— Ça ne l'est pas. Je me suis renseignée auprès de Flore. Tous les Or ont droit d'accès à chaque étage de l'AND. De toute manière, si tu refuses, je trouverais encore le moyen de te faucher compagnie, j'irai seule et je pourrai avoir des problèmes, qui te causeront de gros, gros ennuis.
Je vis la lueur d'hésitation dans ses yeux. Il savait que j'avais raison. Que quoi qu'il fasse, j'irais. Ce que je lui offrais là, c'était une occasion de faire croire qu'il avait le contrôle sur moi et de me protéger. Que demander de plus ? Il sembla peser un moment le pour et le contre tout en me regardant et secoua à nouveau la tête :
— Je ne peux pas te laisser faire ça.
— Ecoute, Evan, lançai-je à mi-voix en me penchant sur le bureau. J'ai... j'ai besoin de ça, d'accord ? J'ai besoin de parler à mon père comme j'en ai jamais eu besoin de toute ma vie. J'ai... tout se bouscule ici. Je sais plus qui je suis, qui je veux être et encore moins ce que je suis destinée à être. Je sais pas à qui je peux faire confiance, qui ne viendras pas me planter un couteau dans le dos à la première occasion et qui n'a pas envie de me voir échouer. J'ai besoin... j'ai besoin de retrouver des repères. J'ai besoin de lui, Evan. S'il te plaît.
Je vis son visage s'attendrir au fur et à mesure que je parlais et, avant même d'avoir finis, je compris qu'il allait céder. Bon sang, si j'avais su qu'il me suffirait de parler avec mon cœur pour parvenir à mes fins avec Evan, j'aurais fait ça bien plus tôt. Il posa ses mains sur les mienne et acquiesça lentement.
— C'est d'accord. Je t'emmène voir ton père. Mais pas longtemps, compris ?
J'acquiesçai vivement, le remerciant du bout des lèvres. L'homme claque son ordinateur, laissant sans doute en plan un énième rapport qu'il écrivait sur moi et alla enfiler ses chaussures. Attrapant sa veste au passage, il se rendit à la porte. Je le suivis aussitôt, craignant qu'il ne change d'avis. Il sortit et fit signe aux deux gardes.
— On va aux serres. Suivez-nous.
Sans manifester la moindre émotion, les deux hommes acquiescèrent et nous emboitèrent le pas. Evan nous fit prendre l'ascenseur et appuya sur le bouton le plus bas. Nous patientâmes tous les quatre sans un mot, sans un regard. Je tapotai du pied par terre, impatiente. Je pensais chaque mot que j'avais dit à Evan : j'avais besoin de voir mon père, besoin de son avis et de ses conseils.
Nous arrivâmes en bas et l'homme me fit prendre de nombreux couloirs que je connaissais déjà, avant d'emprunter une porte dérobée que je n'avais jamais vue. Si les Or avaient le droit d'aller et de venir ici, il était évident qu'aucun Sodium – à l'exception de ceux qui se tuaient à travailler là-bas – n'avait le droit d'entrer. D'ailleurs, dès notre entrée dans un couloir éclairé de lumières éclatantes contrastant avec l'obscurité régnant à cet étage, des gardes nous interceptèrent.
— Halte ! s'exclama l'un d'eux en sortant son arme, avant de remarquer les deux soldats nous suivant. Oh, excusez-moi. Je n'ai pas eu l'information de votre visite. Est-ce que...
Il rangea son arme, mais garda la main dessus. Je sentis son regard se poser sur moi sous son casque, avec une certaine méfiance. Evan s'avança.
— Vous n'êtes pas là pour poser des questions, soldat. Faites-nous entrer, ordonna-t-il avant de se tourner vers les gardes derrière nous. Vous, restez ici.
J'étais impressionnée de la facilité avec laquelle il se faisait obéir. Nos gardes se postèrent en repos près du mur, tandis que ceux devant nous s'écartaient. Seul restait celui qui nous avait interpellés, nous bloquant le chemin. Je crus voir ses lèvres frémir.
— Désolé, mais nous avons eu des ordres très précis. Les mesures ont changé récemment : les civils n'ont plus le droit d'entrer dans les serres et l'identité de tous, y compris des gardes doit être vérifiée. Vous devez avoir une autorisation pour entrer.
Je restai perplexe. Pourquoi diable les mesures avaient-elles changé ? Chaque année, nous voyions débarquer les enfants nobles, venant visiter les serres comme on visiterait un abattoir, avec une sorte de détachement morbide. En jetant un coup d'œil vers Evan, je me rendis compte qu'il semblait aussi surpris que moi. Il n'était au courant de rien.
Evan contracta sa mâchoire et je ne pu m'empêcher d'esquisser un sourire. Ce pauvre garde ne savait pas à qui il avait à faire.
— Soldat, lança-t-il de sa voix la plus dure. À défaut de connaître mon visage, vous devez connaître mon nom. Capitaine Evan Glover, Or et occasionnellement le bras droit de la directrice. Je suis ici sous ses ordres. Si je dois remonter chercher une autorisation, je vous assure que je m'arrangerai pour que vous n'oubliez plus jamais mon visage. La directrice à horreur des contre-temps.
Je vis le garde blêmir et perdre toute sa belle assurance. Ça y est, il savait qui il avait en face de lui. Et il devait le regretter. Il échangea un regard avec ses collègues, qui confirmèrent silencieusement. Il hocha alors rapidement la tête.
— Non ! Je veux dire, oui... bien sûr que vous pouvez entrer, capitaine. Je vous prie de m'excuser pour cette mégarde. Néanmoins, je... je vais devoir insister pour le contrôle d'identité. Même les plus hauts gradés ne peuvent y échapper.
Evan haussa les épaules, l'air de n'en avoir rien à faire. Le garde s'empressa de sortir un petit boitier noir et Evan posa son doigt dessus. Une goutte de sang lui fut prélevée, une petite lueur verte s'alluma et il s'éloigna. Le garde s'approcha ensuite de moi. J'hésitai une seconde, croisai le regard de Evan qui me rassura d'un mouvement de tête, puis posai à mon tour mon doigt. Je ne grimaçai même pas au contact de l'aiguille.
— Tout est en ordre, affirma le garde que la lumière verte s'alluma à nouveau. J'espère que la directrice saura... que nous avons fait au plus vite.
Evan acquiesça sans un mot, m'attrapa par le bras et me fit avancer dans le couloir à grands pas. Je dus presque courir pour garder le rythme et je lui jetai un coup d'œil.
— Il s'est passé quelque chose, n'est-ce pas ? supposai-je à voix basse. Et tu n'étais pas au courant. À ton avis, qu'est-ce que...
Evan s'arrêta d'un coup net, se pencha vers moi et m'attrapa par les épaules en me regardant droit dans les yeux.
— Cyanna. Quoi que ce soit, ça ne te regarde pas. Tout est très surveillé ici. Chacun de tes gestes sera épié. Contente-toi de t'occuper de ce qui te concerne.
Je crus voir, derrière ses yeux froids et son ton brutal, une mise en garde. J'acquiesçai, comprenant que la situation pouvait vite devenir plus grave, et nous reprîmes notre route. Nous arrivâmes bientôt dans une pièce où des employés nous fournirent des masques à gaz et nous indiquèrent les mesures de sécurité. Nous n'avions pas droit à plus de vingt minutes à l'extérieur ou notre santé serait en jeu. J'écoutai tout cela très vaguement. Evan me guida ensuite jusqu'aux sas d'entrée. Nous traversâmes trois portes blindées qui nettoyèrent l'air derrière nous, avant d'entrer pour de bons dans les serres.
...
Bonsoir tout le monde, comment -allez vous ?
Qu'avez vous pensé du chapitre ? De la rencontre avec la directrice ?
Merci pour votre lecture, et n'hésitez pas à voter ❤
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