RILEY

J'ai encore les yeux bandés, ça devient habituel. Je me sens plus que vulnérable avec les mains attachées et les yeux bandés. J'ai essayé de détendre l'atmosphère comme j'ai pu – ce qui n'a pas l'air de fonctionner – mais ces hommes sont mutiques, on dirait qu'ils ont été conditionnés pour faire la gueule. Lily devrait peut-être demander s'il reste de la place pour elle parce qu'à peine quelques minutes après notre pseudo pacte, la voilà déjà en train de m'assassiner du regard, je suis sûr qu'elle imagine différentes manières de me tuer.

Je me demande pourquoi ils vivent en sous-sol. En fait, je comprends, ils sont protégés de la vue de tous – pour peu qu'il y ait du monde dans cette satanée forêt – et personnellement, jamais je n'aurais eu l'idée de retirer ces feuilles pour chercher s'il y avait autre chose que de la terre en dessous. Nous marchons, des frissons me parcourent le corps, il fait encore plus froid ici et je suis toujours torse nu. Ils doivent me prendre pour un mec bizarre et se demander ce que je faisais à moitié à poil au beau milieu de la forêt. Cette question serait tout à fait légitime et j'espère que personne ne me la posera. J'entends toujours des bruits de gouttes qui tombent, je ne comprends pas si nous sommes toujours dans le même type de couloir ou si nous avons pénétré dans une pièce en particulier. Nous nous arrêtons au bout de quelques minutes de marche. J'entends une autre porte se déverrouiller, combien de portes allons-nous passer avant qu'on arrive ? Quand nous avançons dans cette nouvelle pièce, l'air est déjà moins humide, même l'odeur âcre a disparu. Je marche, toujours poussé par l'homme armé, et ils finissent par ouvrir une nouvelle porte.

— On va vous retirer vos bandeaux mais vous resterez attachés, nous dit le chef.

Des mains se pressent derrière ma tête et bientôt, je recouvre la vue. Je plisse les yeux parce que la lumière – bien que faible – m'agresse tout d'abord les rétines. Je jette un œil à Lily qui comme moi, n'a plus son bandeau et qui plisse les yeux. Puis, je fais le tour de la pièce du regard pour me rendre compte qu'elle ne doit pas faire plus de cinq mètres carrés. Les hommes s'en vont, me laissant seul avec Lily. Super, on va pouvoir régler nos comptes.

— T'as brisé le pacte. Je crois qu'on est en guerre, je lui dis.

— Tu ne peux pas arrêter de faire le malin des fois ? Tu n'as pas vu leurs armes ?

— Détends-toi, s'ils avaient voulu nous tuer ils l'auraient déjà fait.

— Désolée. C'est vraiment angoissant et là, on plonge dans l'inconnu, on ne sait pas du tout ce qu'il va nous arriver et ce qu'ils vont nous faire.

— Tu penses que Kyle nous a menés là pour qu'on se fasse tuer ? je lui demande pour qu'elle se rende compte que la réponse est évidemment non.

Lily s'inquiète vraiment pour rien. Elle le connait bien mieux que moi, elle devrait comprendre que Kyle a voulu nous sauver, de toute évidence il nous a envoyés dans un lieu qui répond à nos besoins. Je pense que tous ces protocoles sont un peu exagérés mais ça me semble normal. Des inconnus se pointent et ont pour but de rejoindre votre groupe, vous mettez tout en œuvre pour vous assurer qu'ils ne tenteront rien de stupide.

— Je ne voulais pas briser le pacte, dit-elle. 

— C'est pas grave, je te pardonne, je lui réponds avec un clin d'œil.

— Vraiment ?

Son sourire s'est élargi comme si je venais de lui annoncer quelque chose d'exceptionnel.

— Quitte à être enfermé avec toi, autant qu'on s'entende bien.

Ma remarque la fait sourire et je préfère ça. J'en ai marre qu'elle tente de me fusiller de ses yeux à chaque fois qu'elle en a l'occasion. D'ailleurs, je commence à me demander si nous sommes enfermés ou si quelqu'un va venir nous chercher. Et ensuite, allons-nous être enfermés ou bien libres comme l'air ? Si je retrouve mes souvenirs, est-ce que je voudrais rester ? Rejoindrais-je l'Asile ? Un homme entre dans la salle, m'interrompant dans mon introspection. C'est le chef, il n'a toujours pas enlevé sa cagoule, comme s'il tenait absolument à ce que son visage soit un mystère pour nous.

— Le Sergent va vous recevoir. Vous pouvez vous asseoir.

Après nous avoir dit ça, il s'en va. Je m'assieds donc sur l'une des deux chaises qui se tiennent devant un bureau et Lily fait pareil. Je suppose que le Sergent prendra la place de l'autre côté du bureau. Alors que nous attendons dans un silence de plomb, la petite porte de la pièce s'ouvre et se referme instantanément. Je ne me retourne pas, j'attends de voir qui va s'asseoir en face de nous. Au moins, ils nous laissent voir leur chef, pas comme chez cet abruti de Jordan. Riley, Jordan est mort alors arrête de le maudire. Jordan fait bien d'être mort, sinon j'y aurais remédié. Un homme s'assied en face de nous et je l'observe. Il n'est de toute évidence pas aussi jeune que nous, je lui donne une quarantaine d'années. Il a une mâchoire carrée et une tête de dur à cuir. Par exemple, pour contrecarrer ce que m'a dit Lily tout à l'heure, je ne tenterais pas d'arracher un sourire à ce type. Il ne ferait qu'une bouchée de moi avec ses gros bras et ses muscles qui menacent de déchirer son tee-shirt. Merde alors. Son crâne est rasé mais je distingue quand même qu'il est brun.

— Bonjour, nous dit-il en joignant ses mains sur le bureau.

Ni Lily ni moi ne lui répondons. Pourtant, il nous suffit juste de lui répondre bonjour par simple politesse, mais nous sommes probablement tous les deux trop impressionnés par son imposante carrure. L'homme rit et secoue la tête.

— On ne vous fera pas de mal, si c'est ce que vous vous demandez. Je pense que nous avons plein de choses à nous dire. Mes hommes m'ont fait un rapport sur vous.

— Pourquoi Kyle nous a-t-il menés ici ? je demande.

— Vous aurez toutes les réponses à vos questions. Mais avant, nous devons nous assurer d'une chose. Soit vous répondez par l'affirmative et vous pourrez rester ici et faire partie de notre communauté, soit vous refusez et je vous souhaite bonne chance dehors.

Un ultimatum ? Je suis quelque peu troublé. J'espère qu'il ne compte pas nous demander quelque chose de tordu, j'aimerais autant rester ici.

— Je prends votre silence pour un signe d'attention..., continue-t-il. Si vous voulez rester ici, vous vous engagez à être dévoués à notre cause. Vous vous engagez à obéir à toutes nos règles même les plus déplaisantes, vous vous engagez également à vous battre.

— Se battre ? demande Lily.

— Oui, tu as bien entendu. Des règles sont établies ici et toute personne voulant rester doit s'y plier. Vous engagez-vous à cela et à combattre pour notre cause ?

— De quoi vous parlez ? je demande.

— On est en guerre, les enfants.

Il me demande de m'engager pour une cause que je ne connais pas, sans aucune information sur eux ni sur nous-même. Je ne sais rien de moi, je ne sais rien d'eux et encore moins de ce qu'il se passe dehors. Il est normal de ne rien savoir de son futur mais à cela s'ajoute le fait que je ne sais rien de mon passé ni de ce qu'il y a dans ma propre tête. Je ne sais rien de rien et je dois maintenant donner ma parole à un homme dont je ne connais pas le nom et qui menace de nous expulser si on avait le malheur de refuser. En d'autres termes, nous n'avons pas le choix.