LILY

Ces hommes sont arrivés de nulle part, ils ont l'air de savoir ce qu'ils font. De toute évidence, ils avaient l'air de connaitre Kyle alors c'est certain que nous sommes au bon endroit, mais l'accueil n'est pas tel que je me l'imaginais. Je pensais, naïve, que l'on allait nous accueillir les bras ouverts et nous dédommager de tout ce que l'on a vécu jusqu'ici, comme si c'était un jeu stupide et qu'on avait gagné notre récompense pour être arrivés à destination. Cette idée est tellement irréelle que je ne suis pas sûre d'y avoir cru quelques secondes. N'importe quoi. Sans compter Riley qui fait un peu trop le malin à mon goût. Il se permet de parler à ces hommes lourdement armés comme s'ils se connaissaient depuis toujours, c'est complètement inconscient de sa part.

Les soldats nous ont passé les menottes, je retrouve cette sensation qui me parait familière, l'acier froid qui me lacère la peau des poignets. Pourquoi est-ce autant serré ? L'homme qui m'a attaché les mains a posé une main sur mon épaule, il me pousse doucement pour que j'avance, nous nous mettons à marcher. Celui qui nous hurlait dessus plus tôt ouvre la marche et se baisse au niveau des feuilles, il les balaye de la main, je suis subjuguée par ce qui se matérialise sous mes yeux : le sol n'est pas en terre sous les feuilles qu'il a retirées, il y a du métal gris et rouillé avec une poignée assez discrète dessus. Qu'est-ce que c'est ? Il soulève la poignée, ça s'ouvre comme une trappe. Je ne vois pas l'intérieur d'où je suis mais l'homme y pénètre, son corps disparait petit à petit dans l'obscurité, on dirait qu'il descend un escalier. Celui qui me tient l'épaule me pousse légèrement – pas comme Jordan et sa bande – et je vois enfin ce qu'il y a dans cette cavité. Ce n'est pas éclairé mais je discerne un escalier qui descend, comme je l'avais deviné.

Je n'ai pas compté les marches – j'aurais peut-être dû – mais il y en avait un bon nombre. Plus nous descendons cet escalier et plus l'air se fait frais et humide. Il fait noir, des sons de gouttes qui tombent dans des flaques d'eau rythment notre périple. En tournant la tête vers l'arrière, je vois Riley qui m'adresse un sourire que je lui rends même si je n'ai pas vraiment le cœur à sourire, je suis inquiète. Je pense qu'ils ne nous veulent pas de mal, ils n'ont pas été violents avec nous et je les trouve même particulièrement précautionneux, c'est probablement bon signe.

Depuis que nous avons fini de descendre l'escalier, nous évoluons dans un long couloir sombre, éclairé seulement des faibles lueurs des petites lampes que tiennent les soldats armés. Apparemment, ceux qui nous visaient sont restés dehors, il n'y a que les trois hommes, Riley et moi dans ce couloir. Au bout d'un moment, nous arrivons dans un cul de sac. Celui qui a l'air de superviser se tourne vers nous, toujours encagoulé, tout comme les autres, je distingue juste ses yeux, sans pouvoir discerner leur couleur à cause de l'obscurité du lieu dans lequel nous nous trouvons. À vrai dire, je ne saurais même pas dire l'âge qu'il pourrait bien avoir.

— On est arrivés. Je suis désolé, mais on va devoir vous bander les yeux, c'est...

— Le protocole, finit Riley pour lui.

Pitié Riley, ferme-la, tu vas nous attirer des problèmes. Je le fusille du regard et peu importe si j'ai brisé le pacte, je pense qu'en situation de crise j'ai le droit de lui montrer d'un regard mon mécontentement. Pour toute réponse, il plisse les yeux et fait une grimace. Je me dis qu'à tout moment, l'homme va mettre un coup avec la crosse de sa longue arme sur le crâne de Riley mais il n'en fait rien, un silence s'abat juste dans le couloir, seulement interrompu par les gouttes qui tombent.

L'homme qui est en charge de Riley lui enfile un bandeau noir. Exactement le même que dans l'endroit où nous avons été tenus captifs. J'espère du plus profond de moi que ce sont des gens bien et qu'ils ne nous feront pas de mal, j'en ai marre de vivre dans la peur. Une fois Riley aveugle, c'est à mon tour, privé de mon sens, mon cœur commence à s'affoler. J'entends une lourde porte métallique s'ouvrir, ne me rappelant que trop bien le son de celle de ma cellule. J'ai l'impression qu'à tout moment Jordan va me sauter dessus pour m'agresser, que Kyle va venir calmer le jeu et s'occuper de moi. Mais aucun de Jordan ou Kyle ne reviendra parce qu'ils sont morts. Kyle est aussi mort que mes espoirs de le revoir un jour.