Chapitre 10
RILEY
Lily est partie et m'a laissé comme un con avec Colton. Je pense que mon cerveau s'est arrêté de fonctionner, je ne sais même pas quoi penser de ce qu'elle m'a dit. Je comprends totalement sa réaction, ce qu'elle ressent, la position délicate dans laquelle elle se trouve, son envie d'agir, de changer les choses, se venger, récupérer la vie que l'Asile lui a volée. Je comprends tout ça. Mais j'ai un désir profond de la protéger, de la savoir à l'abri de tout danger. Si je ne veux pas qu'elle combatte, ce n'est pas parce que je ne l'en pense pas capable, au contraire, c'est parce que je ne veux pas qu'il lui arrive quoi que ce soit, je ne pourrais pas m'empêcher de me sentir responsable.
— Et toi, commence Colton, tu as réfléchi à ce que tu voulais ?
— Je vais prendre le combat.
— Tu es déjà formé, si j'ai bien compris ?
— Exact. J'étais très efficace lors des entrainements.
— On va te faire passer des tests.
— Dites, vous allez vraiment laisser Lily faire ça ?
— Tu sais Riley, je comprends ton inquiétude mais des soldats motivés seront toujours plus efficaces que ceux qui font ça par obligation. Lily m'a l'air déterminée, je ne m'interposerai pas.
— Mais elle est motivée pour les mauvaises raisons...
— Je sais bien. Mais je ne peux pas l'empêcher de faire ce qu'elle veut tu vois, on n'est pas à l'Asile, ici. Et elle a l'air plus forte que tu ne le crois.
Je pense que Colton lui accorde une trop grosse confiance et je connais mieux Lily que lui. Elle est très forte, oui, mais son moteur est la haine, ça ne peut pas bien finir.
— Quel est le programme du jour ? je demande pour changer de sujet.
— Je vous laisse la journée de libre pour vous remettre de vos émotions.
Sur ces mots, je m'en vais du bureau de Colton. Je ne sais pas où Lily est partie, mais peut-être qu'elle a besoin que je la laisse seule, après tout ce qu'elle m'a balancé. Je tombe sur Jared qui me cherchait, pour que l'on aille manger.
En plein repas, une question me parcourt l'esprit :
— Comment vous vivez ? Où trouvez-vous votre électricité ?
— Cet endroit a été construit à des fins militaires, c'était au cas où il se passait quelque chose. Et ils ont eu raison, il s'est passé quelque chose et maintenant, nous pouvons tous vivre ici. L'endroit est équipé d'une capacité énergétique sur le long terme, de nombreux générateurs avaient été mis en place. On rationne quand même l'électricité autant que possible, par exemple tout est cuit au feu. Il y a un compteur qui nous indique combien de temps d'électricité il reste, il y en a encore pour quelques années. Mais bon, on verra bien comment ça évolue d'ici là.
— Vous n'avez pas peur du jour où ça coupera ?
— Non, on vivra à la dure et puis voilà. Comment penses-tu que nos ancêtres faisaient avant nous ?
La vérité, c'est que je n'en sais rien étant donné que j'ai été éduqué en pensant que l'Asile a toujours été tel quel et que la technologie a toujours été présente. M'imaginer un monde dénué de tout ça est inimaginable pour moi, mais il faut bien que je m'y fasse puisque c'est la réalité.
— Quant à notre manière de vivre, elle est plutôt simple. Il y a des plantations et des élevages.
— Vous élevez quoi ?
— Des animaux.
— Pourquoi ?
— Pour faire du lait et des œufs. Mais c'est vrai, vous êtes végétaliens à l'Asile.
Jared a passé le repas à m'instruire. Il m'a raconté comment les anciennes civilisations faisaient pour vivre et j'ai été impressionné lorsqu'il a mentionné des trains, avions et autres moyens de transport, je n'ai jamais vu cela de toute ma vie. Il m'a aussi confié qu'il avait des livres à ce sujet, il me les prêtera. Il m'a également parlé des animaux, et ça me parait irréel, les seules autres espèces existant au sein de l'Asile sont les insectes et les oiseaux. Ces informations n'ont fait qu'amplifier ma haine envers l'Asile, pour ce qu'il nous a fait et pour nous avoir volé autant de savoir. Vous savez, quand vous découvrez que quelqu'un s'est fichu de vous et qu'en prime, ça l'a bien amusé ? Imaginez cela en vous rendant compte que ce schéma s'est dessiné tout au long de votre vie et qu'on vous a pris pour un abruti fini sans aucun scrupule, pour se servir abondamment de vous. Je me sens plus que jamais trahi, je compte bien me venger pour ça.
L'après-midi est passé vite, j'ai insisté pour que l'on me laisse assister à mon premier entrainement. Ramirez s'en charge et il ne rigole pas. Il passe son temps à crier et pourtant, personne ne cille, comme s'ils étaient tous habitués, j'espère que je m'y habituerai aussi un jour. Il m'a parlé des différentes techniques de combat qu'ils utilisent, qui sont fortement similaires à celles que l'on m'a inculquées. Quant à leurs armes, elles sont différentes mais j'en ai déjà fait l'expérience, les nôtres sont juste plus efficaces. Ici, ils remplissent leurs armes de plomb. Chez nous, les armes sont très faciles à manier et elles peuvent être remplies de différents poisons en tous genres ou de balles à différents effets.
Après cette journée qui a été très remplie pour moi, je cherche Lily du regard mais je ne l'ai pas croisée depuis qu'elle est sortie du bureau de Colton. Alors que je suis planté au milieu du couloir, une blonde passe et me sourit. Au même moment, Gabriella nous croise et l'intercepte.
— Hé, lâche l'affaire, lui dit-elle d'un air mauvais. S'il n'a pas voulu de moi, je ne vois pas pourquoi il voudrait de toi.
La fille baisse les yeux, elle semble gênée.
— Laisse-la tranquille, je lui dis.
— Quoi, tu vas la défendre en plus ?
— C'est quoi ton problème, Gabriella ?
— À toi de me dire ton problème. Tu m'as rejetée comme si tu te prenais pour un dieu vivant, ça va, t'es pas non plus le mec le plus sexy de la planète, tu peux arrêter de te prendre autant au sérieux.
— T'as fini ? je lui demande d'un ton sec.
Elle me fusille du regard et au lieu de s'en aller comme une personne sensée, elle avance vers moi comme si elle ne tenait pas à la vie. Parce que je vais lui écraser son joli visage contre le mur si elle continue de me chercher. Je remarque qu'elle a un regard vitreux et qu'elle semble ne pas réussir à se concentrer.
— T'es vraiment qu'un connard, Riley ! Va te faire foutre ! dit-elle sans articuler.
Elle pose sa main sur ma mâchoire et la caresse de ses doigts longs et fins, comme si elle ne venait pas de m'insulter il y a dix secondes. Je la repousse doucement, mais elle ne tient pas sur ses appuis et ça lui fait perdre l'équilibre. Elle se redresse d'un coup et m'envoie une gifle en plein visage. Je ne mets qu'une seconde à réagir, je l'attrape et la neutralise en lui bloquant les bras derrière son dos. J'essaye de ne pas lui faire mal, quelque chose me dit qu'il y aurait des répercussions. Un coup d'œil circulaire m'indique qu'il n'y a personne, la fille de tout à l'heure est partie, nous sommes seuls. Je ne sais pas quoi faire ensuite, j'ai peur qu'elle s'attaque de nouveau à moi si je la lâche, mais Jared arrive en courant, accompagné de la fille qui était probablement allée le prévenir.
— Lâche-la, me dit-il.
— Elle m'a attaqué !
— Je sais, mais elle n'est pas dans son état normal, je vais la mettre en cellule.
— Carrément ?
— Oui, tu vois bien qu'elle est complètement ivre, là.
— Elle est quoi ?
— Riley, je t'expliquerai après.
Il attrape Gabriella par le bras et l'emmène. Je me rends tout juste compte qu'elle sentait une forte odeur étrange, semblable au liquide que j'avais goûté puis recraché dans la forêt au début de mon périple avec Lily.
***
Peinant à trouver le sommeil, j'entends déjà Seth ronfler. Il ne ronflait pas hier et c'était mieux ainsi, j'espère qu'il a juste occasionnellement les sinus bloqués. Je ne sais pas depuis combien de temps j'essaye de dormir, mais je n'y arrive pas et ça doit bien faire dix fois que je me retourne dans mon lit. J'avais même tellement chaud que j'ai décidé de dormir en sous-vêtement en me disant que je me sentirais mieux, mais rien n'y fait.
La porte de la chambre s'ouvre, laissant pénétrer un faible faisceau lumineux dans la pièce. Une silhouette entre et referme la porte. Ensuite, c'est le noir complet, je ne vois plus rien. Est-ce que c'est bien ce que je crois ? Est-ce que Lily se fiche complètement de moi ? Elle crée une scène avant de disparaitre toute la journée, pour débarquer dans ma chambre la nuit tombée ? Je sens son poids se poser sur mon matelas mais je ne bouge pas. On ne me prend pas pour un con aussi facilement, elle va devoir ramper si elle veut mon pardon, et encore, je ne suis même pas sûr qu'elle vienne pour implorer mon pardon. Je pense plutôt qu'en plus de se foutre de moi, elle profite de ma présence pour s'assurer un bon sommeil. Quels signaux ai-je bien pu envoyer pour qu'elle pense qu'elle peut agir ainsi avec moi ?
— Lily, tu te fiches de moi ?
Pas de réponse. Elle s'allonge et se moque bien que je ne me décale pas, elle écrase mon bras sans vergogne, je me déplace pour lui laisser plus d'espace. Elle reste sur le côté et me fait dos. Mon cœur palpite, pourquoi je suis si faible ? Je me concentre sur le silence et je l'entends renifler. Plusieurs fois, même. Elle n'était pas enrhumée ce matin, est-ce qu'elle est en train de pleurer ?
— Tu pleures ? je lui demande.
Elle ne me répond pas mais je sens son corps tressauter et sa respiration devenir saccadée.
Cette chambre blanche m'a toujours donné du mal à m'endormir. Elle ne respire pas la sérénité, elle respire plutôt l'insécurité à cause de ce manque de personnalisation. Ça a beau faire dix-huit ans que j'y dors, je ne me sens pas chez moi ici. J'ai l'impression de dormir chez des inconnus tous les soirs. Et ma sœur ressent la même chose puisqu'elle vient d'ouvrir la porte. Elle se dirige vers moi avec sa peluche à la main et elle monte tant bien que mal dans mon lit ; à chaque fois qu'elle y monte, on dirait qu'elle entreprend l'ascension du mur d'escalade du Centre d'Entrainement et Musculation.
Une fois à mes côtés, elle pose sa tête sur mon épaule et s'agrippe à mon bras. Je me demande si cette fois elle a peur de l'orage qui gronde depuis maintenant une heure ou si elle a fait un cauchemar.
— Qu'est-ce qu'il se passe, Zoe ?
— J'ai peur du noir.
— C'est nouveau, ça ?
D'habitude, elle n'a pas peur du noir mais plus le temps passe et plus des peurs se développent chez elle.
— Tu sais, il fait noir parce que le soleil est parti dormir et ça veut dire que tu dois faire la même chose, je lui dis.
— Tu dis n'importe quoi, le soleil ne dort pas. Quand il fait noir, j'ai l'impression que le moment de mourir est arrivé.
Qu'étais-je censé répondre à ça ? Elle est consciente que ces pilules ne la maintiendront pas en vie éternellement, malgré le fait que l'Asile nous tienne hors de danger. Elle se blottit contre moi et pleure, comme bien trop souvent maintenant. Alors je lui caresse les cheveux et la calme comme je peux.
— Lily, regarde-moi.
— Non.
Alors je ne réfléchis pas plus et je me colle à elle, mon torse contre son dos. J'enroule sa taille de mon bras droit et enfouis ma tête dans sa nuque. J'essaye de ne pas trop penser à ce que je fais parce que c'est franchement trop bizarre et là tout ce que j'essaye, c'est tenter d'être présent. De toute évidence elle a besoin de pleurer, je ne vais pas l'en empêcher. Je ne sais pas vraiment pourquoi elle est venue ou même ce qu'elle attend de moi mais en tout cas, elle ne me repousse pas et continue de pleurer en silence.
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